Habitat - Villes de France lance son observatoire de l'habitat. Une mine !
Caroline Cayeux, sénatrice-maire de Beauvais et présidente de Villes de France, Jean-Louis Dumont, président de l’Union sociale pour l’habitat, et Marc Abadie, directeur du réseau et des territoires de la Caisse des Dépôts ont lancé, le 11 mai à l'hôtel de Pomereu à Paris, "l’Observatoire de l’habitat des villes de France".
A destination des élus, des services en charge de l’habitat, ainsi que de leurs partenaires (notamment les organismes Hlm, mais pas seulement), cette plateforme en ligne donne accès, pour 528 villes et leurs intercommunalités (*), à une mine de statistiques réunies dans un même support numérique (**). Il y a évidemment : le nombre de logements privés et sociaux ; le nombre de logements construits par an ; le nombre des mises en chantiers ; le nombre d'habitants sur le territoire ; la part des jeunes, des personnes âgées et celle des familles monoparentales ; la croissance démographique ; les niveaux de revenus ; le taux de chômage...
Mais aussi : le rapport entre la croissance démographique et la croissance des emplois ; la part des actifs travaillant dans la commune ; les montants des loyers dans le parc privé et social ; les prix de vente des logements ; la vacance dans le parc social et dans le parc privé, avec l'évolution de cette vacance ; le taux de sur-occupation des logements, le profil des demandeurs de logements sociaux...
Le tout comparé aux chiffres de l'EPCI dont la ville est membre, aux chiffres des 13 villes-centres appartenant aux métropoles (hors Paris) et ceux de la France métropolitaine (hors les 13 ville-centres des métropoles, hors Paris et sa petite couronne).
Des indices de vigilance pour alerter sur les situations locales
Mais l'outil d'observation de Villes de France fait un peu plus que compiler les données. Sa véritable innovation est d'établir des indices de vigilance pour chacune des communes ainsi qu'à l'échelle départementale et régionale. L'idée n'est pas tant de distribuer des mauvais points mais d'alerter sur les situations locales en termes d'offre de logement et de fragilité sociale, pour orienter les politiques locales de l'habitat en toute connaissance.
Pour chaque commune est calculé un indice de vigilance de l'offre de logements (***), un indice de fragilité sociale (****) et un indice de vigilance globale. Plus l'indice est élevé, plus la vigilance doit être importante, sachant que l'indice 100 représente le niveau national. Parmi les 10 premières villes les plus "en fragilité", 7 sont situées en Nord-Pas-de-Calais-Picardie : Denain (indice globale : 176, l'indice le plus élevé), Roubaix (170), Abbeville (152), Saint-Quentin (148), Boulogne-sur-Mer (146), Maubeuge (144), Béthune (144). Deux sont en Languedoc-Midi-Pyrénées : Béziers (159) et Alès (154). Et une en Bourgogne-Franche-Comté : Montceau-les-Mines (150).
La carte des nouvelles régions met d'ailleurs sous vigilance "rouge" le Nord-Pas-de-Calais-Picardie et Bourgogne-Franche-Comté (respectivement : 122 et 119). A l'opposé, les Pays de la Loire et l'Ile-de-France affichent un indice de vigilance "bleu" (respectivement : 81 et 84).
Fragilité sociale, vigilance habitat
Chaque région fait l'objet d'un graphe dans lequel sont positionnées les villes selon leur degré de "vigilance habitat" et de "fragilité sociale". En région Nord-Pas-de-Calais-Picardie par exemple, il apparaît que la grande majorité des villes cumulent les deux, même Lille. Des villes comme Dunkerque, Beauvais, Creil ou encore Compiègne et Grand-Synthe apparaissent fragiles socialement mais sans vigilance habitat à signaler. En revanche six villes du Nord (dont Marcq-en-Baroeul, Lambersart...) souffriraient d'un manque de logements tandis que ses habitants se portent plutôt bien socialement. Deux villes seulement, Senlis et Villeneuve-d'Ascq, ont une offre de logements suffisante et un indice de fragilité sociale négatif.
En région Pays de la Loire, la majorité des villes ne nécessite aucune vigilance, ni en matière sociale, ni en matière d'habitat (c'est le cas de Nantes, de Saint-Herblain, de Carquefou dont l'indice global s'élève à 52...). Trois n'ont pas de problème d'offre de logements mais accueillent une population en fragilité sociale : Saint-Nazaire, La Roche-sur-Yon, Angers. Et quatre cumulent les difficultés : Saumur, Laval, Le Mans, La Flèche.
Eclairer la décision publique
Cet indice de vigilance associé à l'ensemble des données compilées par l'observatoire fournit une base objective de dialogue entre la collectivité et les acteurs locaux de l'habitat (organismes HLM, opérateurs du parc privé, associations d'habitants, professionnels de l'immobilier...) mais aussi avec l'Etat. Et "rendre publiques des données partagées par tout le monde permet ensuite de définir des politiques partagées", comme le souligne Marc Abadie pour qui "être d'accord sur le diagnostic du fonctionnement du marché local de l’habitat constitue la base d'un débat constructif".
Villes de France et ses partenaires ont en effet par cet outil pour première ambition "d’éclairer la décision publique en matière d’aménagement", notamment dans le cadre de l'élaboration des programmes locaux de l'habitat (PLH), mais aussi des documents d'urbanisme (Scot, PLU, et PLU intercommunaux). Pour Caroline Cayeux, l'observatoire sera également un outil opportun pour les intercommunalités dans lesquelles le maire de la ville-centre n'est pas le président de l'EPCI (ce qui n'est pas son cas, elle-même étant présidente de la communauté d'agglomération du Beauvaisis qui s'apprête à accueillir la communauté de communes rurales du Beauvaisis).
Des éléments pour négocier avec l'Etat
Caroline Cayeux ne cache pas non plus que les données de l'observatoire peuvent être utilisées "dans le cadre des négociations avec l'Etat", lequel est, on le sait, parfois prompt à appliquer des directives nationales sans toujours tenir compte des situations locales. Une ville mettra en avant sa jeunesse ou la forte proportion de ses personnes âgées pour orienter la réalisation de logement social plutôt vers ce public, une autre avancera la vacance dans son parc social pour limiter (voire réduire) son extension, une autre encore fera valoir le faible pourcentage des actifs cadres supérieurs qui y habitent pour justifier une offre adaptée en leur direction... Et l'Etat pourra aussi s'y référer pour argumenter dans son sens.
A noter que les données de l'observatoire peuvent être extraites de la plate-forme en ligne pour venir nourrir les observatoires locaux de l'habitat prévus par la loi du 13 août 2004, ou aider leur installation là où ils ne sont pas encore en place.
Valérie Liquet
(*) Les 528 villes sont réparties dans 272 EPCI.
(**) Quinze sources sont utilisées aujourd'hui : Insee, DGUHC, Filocom, répertoire sur le parc locatif social, système national d'enregistrement (SNE) de la demande de logement social, fichier Caf, Clameur, Sit@del2...
(***) L'indice de vigilance de l'offre de logements est construit à partir de 5 indicateurs : taux de vacance, nombre de logements mis en chantier rapporté au taux de vacance, parc construit avant 1949, logements en section cadastrale 7 et 8, pression de la demande en logement social.
(****) L'indice de fragilité sociale est construit à partir de 6 indicateurs : part des jeunes, des familles monoparentales, des actifs en emploi, des bénéficiaires des minima sociaux, des foyers fiscaux imposés, des revenus inférieurs à 30% des plafonds HLM.
Valérie Liquet
L'habitat dans les villes moyennes, au risque du portrait-robot
En complément de la plateforme en ligne, l’Observatoire publie une "synthèse nationale et régionale 2016" constituant un portrait-robot de la ville moyenne. Un portrait très simplifié en l'occurrence, l'exercice consistant à rendre publiques des moyennes gommant par définition les spécificités (spécificités mises par ailleurs en avant à travers les "indices de vigilance", voir notre article ci-dessus) (*)
La commune étudiée par l'observatoire de Villes de France, souvent ville-centre d'une agglomération, est plutôt jeune et le vieillissement de sa population est moins prononcé qu'au niveau national (*).
La proportion d'actifs est plus importante qu'au niveau national (63% contre 57%) mais le taux de chômage est plus élevé (15,3% contre 12,3%). Le niveau de ressources de ses habitants est plus faible : le revenu net imposable par foyer fiscal imposable s'établit à 35.288 euros en moyenne par an, contre 36.833 euros au niveau national. La part des bénéficiaires de minima sociaux est de 27%, contre 23% au niveau national, et celle des ménages sous 30% des plafonds HLM est de 13% contre 10% au niveau national. Les cadres supérieurs représentent 18% des actifs, à comparer aux 17% de la moyenne nationale, mais aussi aux 26% des 13 villes-centres appartenant aux métropoles (hors Paris). Les ménages aux ressources faibles occupent plus souvent un logement locatif social (45% contre 30% au niveau national), alors que dans les villes-centres des métropoles ces ménages habitent plus souvent le parc locatif privé (47% contre 34% dans les villes observées).
Les villes analysées comptent une part de propriétaires très inférieure à la moyenne nationale et aux autres communes de leur EPCI (respectivement : 45%, 58% et 53%). Elles sont aussi mieux dotées du point de vue de l'offre locative sociale qui représente 25% des résidences principales (16% au niveau national). Seules 26 villes sur les 528 étudiées sont carencées en logement social au titre de la loi SRU.
Le taux de vacance (parc privé et public confondus) s'établit à 7,6% c'est-à-dire presque au niveau de la moyenne nationale (7,3%). Les loyers privés sont moins chers d'environ 2 euros par m2 (10,7 euros/m2 dans les villes observées, 12,6 euros/m2 au niveau national). Il apparaît aussi que la vacance dans le parc social est identique à la moyenne nationale (3,1%). A noter la très faible proportion de logements classés en catégorie cadastrale 7 et 8 (immeubles de qualité médiocre et très médiocre) : 2% contre 3% à l'échelle nationale. A noter que les données de l'observatoire ne descendent pas à l'échelle du quartier (et ne permettent donc pas d'avoir des indicateurs de dévitalisation et de dégradation du bâti des centres-ville).
L'indice de construction est, lui, bien plus faible qu'au niveau national (4,26 contre 5,18). A noter qu'il se construit davantage de logements collectifs que de logements individuels comparativement au niveau national (67% contre 45%) et comparativement aux EPCI dont ces villes sont membres (52%).
La pression de la demande en logements locatifs est, quant à elle, équivalente au niveau national (3,7).
V.L.
(*) Il s'agit des données en France métropolitaine hors les 13 ville-centres des métropoles, hors Paris et sa petite couronne (et hors Dom donc).
(**) Voir aussi l'étude que l'association d'élus (qui s'appelait alors la Fédération des villes moyennes) avait publiée en 2013 intitulée "Les villes moyennes et l'habitat : portraits de territoires et stratégies habitat" (voir notre article ci-contre du 7 juin 2013). Elle proposait une typologie distinguant cinq familles de villes moyennes : les territoires fragilisés, les territoires dans un environnement favorable, les villes moyennes en tension, les villes moyennes dynamiques, les territoires en déprise. Une typologie toujours d'actualité.