Vers une rapide généralisation de la vidéoprotection algorithmique ?

Le discours de politique générale du Premier ministre a pu laisser entendre que la vidéoprotection algorithmique, en cours d’expérimentation, sera rapidement généralisée. L’heure semble pourtant encore au bilan, même si le préfet de police de Paris ou le maire de Nice plaident d’ores et déjà en faveur de l’outil. La remise d’un rapport d’évaluation est d’ailleurs prévue par la loi "au plus tard le 31 décembre prochain". Son contenu devait être fixé par décret, dont la publication était attendue en septembre 2023. Mais il fait toujours défaut.  

Prévue par la loi relative aux Jeux olympiques et paralympiques du 19 mai 2023 (loi JOP) à titre expérimental jusqu’au 31 mars 2025, "à la seule fin d'assurer la sécurité de manifestations sportives, récréatives ou culturelles qui, par l'ampleur de leur fréquentation ou par leurs circonstances, sont particulièrement exposées à des risques d'actes de terrorisme ou d'atteintes graves à la sécurité des personnes", et mise en œuvre par un décret du 28 août 2023, la "vidéoprotection algorithmique" va-t-elle être généralisée très prochainement ?

Enthousiasme…

C’est ce que d’aucuns auront compris en écoutant le discours de politique générale du Premier ministre : "Nous généraliserons la méthode expérimentée pendant les Jeux olympiques et paralympiques", a déclaré Michel Barnier – sans préciser toutefois quelle méthode il avait précisément en tête. Ainsi de France info, qui annonçait le 2 octobre que l’usage de cette technologie allait "être généralisée par le gouvernement Barnier". Ainsi également du maire de Nice, et président de la commission consultative des polices municipales, Christian Estrosi : "Je me réjouis évidemment de l’annonce faite par le Premier ministre qui appelle à la généralisation de la vidéoprotection algorithmique. Depuis des années, nous étions bloqués par des positions dogmatique, notamment de la Cnil, alors que l’intelligence artificielle est partout sauf là où elle serait vraiment indispensable", s’est-il empressé de déclarer dans un communiqué publié le même jour. Et d’en profiter pour mettre en avant le fait que sa ville a déjà expérimenté plusieurs "outils et nouvelles technologies", comme la reconnaissance faciale lors du carnaval de Nice en 2019, une "solution de comptage et classification basée sur l’intelligence artificielle" pour détecter les véhicules stationnés sur les pistes cyclables, des caméras à détection des feux de forêts ou de dépôts sauvages de déchets.

… à tempérer

Interrogé par AEF info le 2 octobre, le ministère de l’Intérieur nuançait toutefois fortement l’affirmation : "C’est bien l’intention du ministre de tirer les enseignements des JO. Ce point en fait partie et la nécessité d’une loi est incontournable." Bref, rien de nouveau sous le soleil. D’une part, la nécessité de tirer les enseignements d’une expérimentation est inscrite dans les gènes de cette dernière. Ladite évaluation est d’ailleurs en cours, le gouvernement ayant nommé par décret le 28 novembre dernier le conseiller d’État – et notamment ancien directeur de cabinet d’Élisabeth Guigou et de Christiane Taubira place Vendôme –, Christian Vigouroux président du comité d’évaluation de ce dispositif. D’autre part, son éventuelle généralisation implique nécessairement l’adoption d’une loi.

Bilan en cours, décret manquant

Il faudra donc encore se montrer patient, le temps que le bilan de l’expérimentation soit tiré. Patience normalement limitée, puisque la loi JOP dispose que le gouvernement doit remettre un rapport d’évaluation au Parlement (et à la Cnil) "au plus tard le 31 décembre 2024" (soit avant le terme de l’expérimentation, qui pour mémoire court jusqu’au 31 mars 2025). Reste à connaître "la nature du bilan qui sera porté sur cette vidéosurveillance (sic) algorithmique", alertait le député Roger Vicot (PS, Nord) lors de l’audition par la commission des lois de l’Assemblée nationale, le 25 septembre dernier, du préfet de police de Paris, Laurent Nuñez. Et l’élu, ancien président du Forum français pour la sécurité urbaine, de redouter un "bilan succinct [qui] se contenterait de nous dire : 'Finalement les choses ce sont très bien passées, c’est très positif'". La loi JOP aurait dû contribuer à dissiper cette crainte, puisqu’elle dispose qu’un décret en Conseil d’État fixe, après avis de la Cnil, le contenu de ce rapport. Las, si la publication du texte était envisagée "en septembre 2023", elle fait, à ce jour, toujours défaut.

Avis favorable du préfet de police de Paris

Positif, c’est justement l’avis exprimé par Laurent Nuñez lors de cette audition sur ce dispositif. "Je pense qu’il a démontré son utilité", a-t-il indiqué, non sans s’être préalablement employé à en relativiser la portée : "C’est une aide aux opérateurs qui regardent les caméras de vidéoprotection en continue", apportée pour un "nombre d’événements qui sont limitativement énumérés par la loi – huit cas*, pas un de plus. Par exemple, quand on détecte un individu qui circule dans une zone où les personnes sont interdites, quand on détecte une densité de personnes supérieure à ce qui est prévu dans une zone, quand on détecte un flux de personnes qui va contresens du flux qui est prévu, l'opérateur a une alerte qui lui permet de vérifier ce qui se passe. Il n’y a pas de reconnaissance faciale. Il n’y a pas de surveillance généralisée. Cela n’existe pas." 

Il précise que la préfecture de police de Paris, parmi d’autres (citant la RATP et la SNCF), a testé l’outil "sur un peu plus d'une dizaine de sites, dans une logique d'expérimentation technique – il a fallu qu'on apprenne à paramétrer l'outil, à définir nos besoins, à former nos opérateurs en salle pour avoir la bonne alerte – et dans un process d’apprentissage, sous le contrôle du comité d'évaluation qui est venu nous visiter à plusieurs reprises". Il indique également qu’à sa connaissance, aucune interpellation n’a été réalisée grâce à ce dispositif pendant les Jeux, en ajoutant que "ce n’était pas son but".

Outil de surveillance et d’élucidation 

Cela pourrait toutefois le devenir, puisque l’ancien secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur a rappelé que les "dizaines de milliers de caméras" auxquelles ont accès les services de la préfecture de police sont un "outil de surveillance des voies publiques", mais aussi "d’élucidation". "C'est beaucoup plus facile de confondre les auteurs, parfois même de les retrouver quand ils sont recherchés, avec la vidéoprotection", observe-t-il, en précisant que "30% des interpellations que nous réalisons dans les transports en commun sont réalisés grâce à la vidéoprotection". À en juger par les réactions de la salle, l’utilité de cette dernière solution, plutôt en vogue dans les collectivités, reste encore fortement discutée chez les députés.

* Présence d'objets abandonnés ; présence ou utilisation d'arme ; non-respect par une personne ou un véhicule, du sens de circulation commun ; franchissement ou présence d'une personne ou d'un véhicule dans une zone interdite ou sensible ; présence d'une personne au sol à la suite d'une chute ; mouvement de foule ; densité trop importante de personnes ; départs de feux.