EDITION SPECIALE - Une réforme capitale ?
La réforme territoriale. Il y a exactement un an, dans notre précédente "édition spéciale été", nous lui décernions le titre de "grande invitée surprise" du premier semestre 2014. La surprise étant venue de l'annonce par François Hollande d'un redécoupage de la carte de France en nouvelles grandes régions, à un moment où l'on venait à peine de venir à bout de la première loi de cette réforme, la loi Maptam de janvier 2014.
L'invitée s'est attardée et a trouvé le moyen de rester, un an plus tard, au centre de toutes les attentions. L'année 2015 a en effet démarré à la fois par la publication au JO de la loi dessinant une nouvelle carte à treize régions et par le début de l'examen parlementaire du troisième texte du triptyque, le projet de loi "portant nouvelle organisation territoriale de la République" (Notr).
En cette fin juillet, une double étape a été franchie. Ce texte sur les compétences des collectivités a été définitivement adopté le 16 juillet et devrait tout prochainement être promulgué, dès que le Conseil constitutionnel aura apporté sa réponse au recours déposé sur l'une des dispositions concernant la métropole du Grand Paris. Il aura occupé une place de choix dans le menu parlementaire de ce premier semestre 2015 avec, à chaque lecture, toutes les circonvolutions, variantes et levées de boucliers que l'on sait… Avec sur certains points des divergences telles que l'on avait jusqu'au bout pu penser qu'un accord entre députés et sénateurs serait impossible. L'accord – ou plutôt le compromis – est finalement intervenu.
Parce que réforme territoriale et réforme de l'administration territoriale de l'Etat sont menées en parallèle, le gouvernement a par ailleurs confirmé ce 31 juillet en conseil des ministres la liste des chefs-lieux correspondant aux treize nouvelles régions de métropole. Sans réelle surprise, les capitales des régions appelées à fusionner sont "les villes les plus peuplées des nouvelles régions", à savoir Bordeaux, Dijon, Lille, Lyon, Rouen et Toulouse.
Au-delà de cette liste, pas mal de précisions ont été apportées sur ce qui est désormais prévu en matière d'organisation de l'Etat. "Dans chaque région fusionnée, il y aura l'an prochain un seul préfet de région, un seul recteur de région académique, un seul directeur général d'agence régionale de santé et un seul directeur régional pour chaque réseau ministériel", souligne notamment la communication en conseil des ministres, qui détaille comment les choses vont se passer sur le terrain de l'éducation (nouvelles régions académiques), de la jeunesse et des sports (renforcement des directions départementales) ou de la culture. En sachant que "le tiers des sièges des directions régionales sera implanté hors chefs-lieux", question d'"équilibre des territoires". La même logique prévaudra par exemple pour les ARS (avec des sièges à Montpellier ou à Caen).
Dès la rentrée de septembre viendra le temps de la mise en œuvre, étape par étape, de cet ensemble de trois lois dont il reste encore à mesurer les complémentarités, interférences et contradictions… même si le gouvernement affiche sans relâche une vision claire de l'édifice. "Nous sommes en train de dessiner la nouvelle France des territoires : des grandes régions fortes qui portent l'aménagement, le développement économique, des départements qui doivent assurer la cohésion sociale, une intercommunalité et des communes qui sont là pour maintenir cette indispensable proximité", a ainsi encore résumé Manuel Valls ce 30 juillet lors d'un déplacement en Picardie. "C'est ce lien entre grandes régions, métropoles, intercommunalité, communes et départements qui doit bien fonctionner avec des compétences claires", a insisté le Premier ministre.
Parmi les pierres angulaires de cet ensemble, la ministre Marylise Lebranchu a souvent fait valoir le rôle des conférences territoriales de l'action publique (CTAP) créées par la loi Maptam. Si le dispositif peut en effet théoriquement renouveler la question de l'organisation des compétences entre collectivités, la petite enquête que nous avons consacrée au démarrage de ces nouvelles instances régionales montre toutefois que dans les faits, rien n'est gagné.
En attendant, il faudra bien commencer par digérer toutes les nouveautés introduites par la loi Notr, qui auront un impact considérable sur le fonctionnement des collectivités dans bien des domaines, des transports à la culture en passant par l'économie, l'environnement ou le tourisme. Localtis refera le point à la rentrée, une fois la loi promulguée. Et vous invite pour commencer un rapide retour sur les principales évolutions du texte intervenues lors de la dernière étape de son parcours parlementaire, celui de la commission mixte paritaire.C. Mallet
Des régions confortées dans leur rôle de définition de la stratégie
- En matière de développement économique et d'aides aux entreprises, l'affirmation de la compétence des régions a été confortée en associant à l'élaboration du schéma régional de développement économique d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) les intercommunalités et les chambres consulaires (articles 2 et 3).
- Un schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) se substituera aux divers schémas régionaux existants dans ce domaine (article 6). Il aura une valeur prescriptive envers les documents infrarégionaux, confirmant ainsi le chef de filat de la région en matière d'aménagement et de développement durable du territoire. La procédure d'élaboration et la liste des documents constituant le schéma faisaient l'objet d'un désaccord entre l'Assemblée et le Sénat. Les députés qui, en seconde lecture, s'étaient inspirés de travaux conduits par plusieurs associations d'élus locaux, ont finalement réussi à imposer leurs vues.
- Après bien des hésitations, les transports scolaires seront finalement de la responsabilité des régions. Mais celles-ci auront la possibilité de les déléguer aux départements (article 8). C'est d'ailleurs ce que la plupart d'entre elles feront, de l'avis de plusieurs sénateurs et députés, les départements ayant pour eux l'expérience et la proximité. Les régions seront ainsi aux commandes de quasiment l'ensemble des transports interurbains (à l'exception des transports des enfants handicapés pour lesquels les départements demeurent compétents). La concession des sénateurs est "énorme" a lâché le rapporteur Jean-Jacques Hyest lors de la réunion de la commission mixte paritaire (CMP).
- "En retour", les sénateurs ont bénéficié d'un geste de l'Assemblée nationale : les départements concernés qui le souhaiteront, pourront conserver leur compétence sur les ports maritimes et fluviaux (article 11), comme l'a rappelé Olivier Dussopt. On se souvient aussi que les députés, en concertation avec le gouvernement, avaient renoncé en première lecture au transfert aux régions des collèges et de la voirie départementale.
- La région ne sera finalement pas chef de file dans le domaine du tourisme (article 4). Le Sénat y était trop réticent. Le schéma de développement touristique que les collectivités territoriales d'une même région devaient élaborer ensemble disparaît aussi, alors qu'en seconde lecture, il avait suscité un accord des deux chambres. Le tourisme demeurera une compétence partagée entre les collectivités.
- La CMP n'a pas non plus retenu le projet sénatorial devant conduire à "une vraie décentralisation" de la politique de l'emploi au bénéfice des régions (articles 3 bis et 3 ter).
- Autre renoncement de la part du Sénat : les régions ne verront pas leur rôle renforcé dans l'élaboration de la carte des formations supérieures et de la recherche (article 12 bis A). Les sénateurs voulaient leur confier un rôle d'approbation de la carte, une option que la CMP n'a ainsi pas retenue.
Des intercommunalités plus grandes aux compétences étendues
- Les intercommunalités à fiscalité propre devront comporter au moins 15.000 habitants (article 14). Alors que les deux chambres campaient sur leurs positions (20.000 habitants pour les députés, 5.000 pour les sénateurs), la proposition formulée par les sénateurs socialistes et centristes en deuxième lecture a donc fait son chemin.
Dans les 57 départements dont la densité est inférieure à la moyenne nationale, les intercommunalités dont la densité démographique est inférieure à la moitié de la densité nationale bénéficieront d'adaptations. Ce sera aussi le cas des communautés dont la densité démographique est inférieure à 30% de la densité nationale et des communautés de montagne si la moitié de leurs communes se situent dans ce milieu géographique. Dans tous les cas, les communautés qui bénéficieront d'adaptations devront cependant compter au moins 5.000 habitants. Enfin, les communautés de communes créées par une fusion postérieure à 2012 seront exonérées de regroupement si elles ont plus de 12.000 habitants.
- Voulue par le groupe socialiste de l'Assemblée nationale, la fixation d'un rendez-vous législatif pour déterminer avant le 1er janvier 2017 les modalités de l'élection des organes délibérants de toutes les intercommunalités à fiscalité propre (article 22 octies) constituait un "chiffon rouge" pour le Sénat. La disposition disparaît du texte.
- Le Sénat a aussi fait échec à la tentative opérée par les députés de revenir sur la minorité de blocage (25% des communes correspondant à 20% de la population) concernant le transfert à l'intercommunalité de l'élaboration du plan local d'urbanisme (PLU) prévu par la loi Alur. Les députés avaient proposé d'exiger une majorité qualifiée de communes pour faire obstacle au transfert du PLU.
- Le calendrier de réalisation des schémas départementaux de coopération intercommunale est celui adopté par les députés, à savoir une mise en œuvre intégrale au 31 décembre 2016, date qui a semblé "irréaliste" à l'Assemblée des communautés de France (AdCF).
- La CMP a reporté à 2020 le transfert obligatoire aux communautés de communes et aux communautés d'agglomération des compétences communales en matière d'eau et d'assainissement (articles 18 et 20).
- Les conseils communautaires auront jusqu'au 31 décembre de cette année pour adopter le projet de schéma de mutualisation prévu par la loi de réforme des collectivités territoriales (article 22 bis AA).
- La procédure de délégation ou de transfert de compétences départementales aux métropoles est celle qu'ont voulue les députés (article 23). Neuf compétences sont concernées dans les domaines du social, des personnes âgées, des routes, du tourisme et des collèges. À défaut de convention entre le département et la métropole au 1er janvier 2017 sur au moins trois groupes de compétences (routes mises à part), la totalité des compétences départementales prévues à l'article est transférée de plein droit à la métropole (à l'exception des collèges).
- Sur la métropole du Grand Paris, les députés ont pu imposer leur version (article 17 septdecies). La création de la métropole reste fixée au 1er janvier 2016, alors que les sénateurs voulaient la reporter d'un an. On notera toutefois que le nouvel EPCI à fiscalité propre n'exercera réellement ses compétences qu'à partir du début de 2017. La CMP a opté pour une gouvernance resserrée avec une assemblée de 210 élus. Présente à la réunion, Nathalie Kosciusko-Morizet n'a pas pu empêcher ses collègues d'exclure sa participation du conseil de la métropole.
Dispositions diverses
- Les députés ont de nouveau échoué à mettre sur pied le Haut Conseil des territoires, instance censée améliorer le dialogue entre l'Etat et les collectivités territoriales (article 1er bis). Les sénateurs ont eu peur qu'elle fasse concurrence à leur assemblée (puisque le Sénat est chargé par la Constitution de représenter les collectivités territoriales). Avec les règles pour l'opposition des communes au transfert du PLU et le principe de l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires, la création de l'instance par la loi constituait un "casus belli" pour le Sénat.
- La culture, le sport, le tourisme, la promotion des langues régionales et l'éducation populaire seront des compétences "partagées entre les communes, les départements, les régions et les collectivités à statut particulier" (article 28). Les conférences territoriales de l'action publique créées par la loi Maptam de janvier 2014 n'auront pas pour obligation de créer des commissions en charge du sport et de la culture.
- Le droit à compensation des charges d'investissement transférées par le projet de loi sera égal à la moyenne des dépenses constatées sur une période d'au moins cinq ans précédant le transfert de compétences (article 37). Cette période sera de sept ans en cas de désaccord des membres de la commission locale pour l'évaluation des charges et des ressources transférées.