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Culture - Une proposition de loi pour financer le passage au numérique des petits cinémas

Jacques Legendre, le président de la commission des affaires culturelles du Sénat, et Jean-Pierre Leleux, sénateur des Alpes-Maritimes, viennent de déposer une proposition de loi relative à l'équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques. Il ne s'agit pas là d'une démarche isolée, mais du probable couronnement d'un processus engagé depuis plusieurs mois. Certaines salles de cinéma - tout particulièrement dans les petites villes - risquent en effet de ne pouvoir faire face au passage à l'équipement en projecteurs numériques, dont le coût est de l'ordre de 80.000 euros par écran (projecteur et serveur numériques). Si les diffuseurs doivent ainsi supporter un coût important pour équiper leurs salles, les distributeurs profitent en revanche du passage au numérique, avec la disparition des coûts de fabrication et de transport des copies photochimiques. Dans un premier temps, la profession a tenté de répondre à ce déséquilibre par les solutions contractuelles, avec la mise en place de la "contribution numérique" ou VPF (Virtual Print Fee ou frais de copie virtuelle), qui peut être versée soit directement par le distributeur à l'exploitant, soit par l'intermédiaire d'un investisseur proposant une solution de financement à l'exploitant et qui prend à sa charge la collecte des contributions des distributeurs. Mais ce système, qui fonctionne avec les salles de première exclusivité ou les complexes offrant plusieurs écrans, se révèle mal adapté aux salles dites "de continuation", qui exploitent les films plusieurs semaines après leur sortie, ou aux établissements ne disposant que d'un petit nombre d'écrans. Or ceci est le cas de nombre de salles dans les petites villes ou dans les zones rurales. Le Centre national de la cinématographie et de l'image animée (CNC) - poussé en particulier par les exploitants et les associations de collectivités (voir notre article ci-contre du 9 février 2010) - a donc proposé la création d'un fonds spécifique de mutualisation, ouvert à l'ensemble des exploitants et des distributeurs. Le gouvernement a toutefois voulu s'assurer auparavant de la position de l'Autorité de la concurrence sur la mise en oeuvre d'un tel système. Dans un avis du 2 février 2010, celle-ci a considéré que "la numérisation des salles de cinéma est un objectif d'intérêt général qui justifie sans doute une intervention publique", tout en recommandant de "rechercher les voies les moins restrictives de concurrence".
La proposition de loi sénatoriale se situe dans le prolongement de ces démarches. Elle vise donc deux objectifs complémentaires : permettre à l'ensemble du parc de salles français de s'équiper en numérique, afin "de préserver l'aménagement culturel du territoire", et garantir la diversité de l'offre cinématographique, (notamment en évitant que le système de financement favorise le placement de copies numériques au détriment des autres films pendant la période de transition et entraîne une accélération de la rotation des films préjudiciable à leur bonne exposition). En pratique, le texte instaure une contribution obligatoire des distributeurs livrant leurs films sous forme de copies numériques, avec une extension de ce régime aux autres diffusions en salles (événements sportifs ou culturels). Bien qu'obligatoire, cette contribution est négociée entre les parties "à des conditions équitables, transparentes et objectives", les litiges éventuels étant réglés par le médiateur du cinéma. En matière de préservation de la diversité culturelle, la proposition de loi prévoit la mise en place d'un comité de concertation professionnelle, animé par le président du CNC et chargé "d'élaborer des recommandations de bonne pratique permettant d'assurer, dans le cadre de la projection numérique, la plus large diffusion des oeuvres cinématographiques conforme à l'intérêt général ainsi que la diversité des oeuvres cinématographiques et des établissements de spectacles cinématographiques".
Cette proposition de loi - qui n'a sans doute pas été déposée sans l'accord du gouvernement - devrait franchir sans difficulté l'étape de l'examen en commission et être inscrite prochainement à l'ordre du jour.

 

Jean-Noël Escudié / PCA

 

Référence : proposition de loi relative à l'équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques (enregistrée à la présidence du Sénat du 27 avril 2010).