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Développement des territoires - Une étude préconise de remettre l'innovation au coeur des territoires

Une étude intitulée "Territoires et innovation" lancée en 2009 par la Datar, la Caisse des Dépôts et l'ANR propose des pistes pour favoriser l'émergence de l'innovation dans les territoires, en associant à la réflexion les habitants, les élus, les chercheurs et les entreprises.

Mieux comprendre les liens entre territoires et innovation, alors que les régions françaises sont à la peine. C'est le but que se sont fixés la Datar, la Caisse des Dépôts et l'Agence nationale de la recherche (ANR) dans une étude-action engagée en 2009 "Territoires et innovation", qui a été présentée le 4 mai 2011, à l'occasion d'un colloque de l'ANR. L'idée force de cette étude, réalisée par le cabinet CM International et Sciences Po, est que tout territoire a des capacités d'innovation et de croissance qu'il convient de mieux identifier et de mobiliser. "Chaque territoire a des potentiels, comment les exploiter et les renforcer ?", a questionné Marc Desforges, directeur associé de CM International, lors de la présentation de l'étude. Et pourtant ces potentiels sont mal exploités. Comme l'a souligné en juillet 2010 l'étude sur l'évolution des diagnostics et des stratégies régionales d'innovation dans les régions françaises dans le cadre des programmes opérationnels Feder 2007-2013, "la France est classée au dixième rang des pays européens dans les tableaux de bord européen de l'innovation" et "la majorité des régions françaises présentent un risque de décrochage en termes d'innovation". Seules trois régions sont classées au-dessus de la moyenne européenne en 2006 : l'Ile-de-France, Rhône-Alpes et l'Alsace. Les investissements sont trop faibles, et les politiques d'innovation pas assez efficientes. "Notre conviction est que tous les territoires disposent de ressources pour accélérer l'innovation, il faut leur faire confiance, a détaillé Frédéric Gilli, directeur délégué de la chaire Ville à Sciences Po, mais ça ne se décrète pas, il faut suivre une démarche qui implique les acteurs locaux très progressivement." Et leurs propositions s'appuient justement sur cette implication des acteurs locaux, que ce soit les habitants, les communautés du territoire, les élus, les chercheurs ou les entreprises.

Des sociétés de co-développement

"Il ne s'agit pas de la territorialisation d'une politique nationale industrielle ou d'innovation, mais bien de la mobilisation et de la mise en mouvement des ressources propres au territoire comme fondement et levier principal de ce processus innovant complètement endogène", précise l'étude. Partant de ce principe, les auteurs de l'étude ont identifié trois outils majeurs pour chaque étape de l'innovation : l'initialisation (comment amorcer la pompe à projets dans un territoire), la structuration (comment organiser le processus d'innovation) et l'ancrage/ré-amorçage (comment capitaliser la dynamique). Pour réussir la phase d'initialisation, l'étude table sur la création de réseaux orientés vers la conquête de nouveaux marchés, des "réseaux de valeurs". Le principe consiste à identifier dans un territoire les acteurs "pionniers complémentaires (du fournisseur de matière première au client, éventuellement sur des marchés et techniques différents)". En se regroupant, ces acteurs sont susceptibles de capter, ensemble, de nouveaux marchés. D'après l'étude, un chiffre d'affaires d'au moins 100 millions d'euros pourrait ainsi être généré à l'horizon de cinq ans . En Bretagne, un réseau de valeur s'est ainsi constitué sur le thème de la pêche durable. Les différents acteurs de la filière (distributeurs, armateurs, mareyeurs…) se sont réunis pour réfléchir aux problématiques auxquelles ils ont à faire face. "Il a suffi d'une première question posée par Leclerc : comment puis-je assurer au client une date de fraîcheur ? Les douze personnes étaient autour de la table, elles étaient obligées de réfléchir ensemble. Un réseau s'est constitué, qui devrait d'identifier 20% de gisements de valeur ajoutée à capter ensemble, au profit des pêcheurs, et d'assurer un gain de 60 millions d'euros de chiffre d'affaires", a détaillé Marc Desforges. Les auteurs de l'étude estiment que le déploiement de 100 réseaux de ce type permettrait d'accroître le taux de croissance annuel de la France de 0,1 point pendant cinq ans et de créer durablement 108.000 nouveaux emplois directs ou induits.
Deuxième outil, concernant la phase de structuration : la création de sociétés de portage "pour structurer et démultiplier l'effet de levier des réseaux", les sociétés de co-développement. Ces sociétés, issues d'un partenariat public-privé entre les entreprises, les collectivités et les banques, auraient un double rôle : celui d'incubateur privé de solutions nouvelles avec un fonds d'amorçage dédié et une prise de participation possible des actionnaires initiaux au sein des nouvelles entreprises, et celui de cadre privilégié pour mutualiser des services et équipements et réaliser des économies.

"Faire prendre la mayonnaise localement"

A Epinal, une dizaine d'entreprises ont été fédérées au sein d'un Ecopark avec l'ambition d'être les leaders sur l'amélioration de la performance énergétique de l'habitat grâce aux éco-matériaux. Une société de co-développement, "Eco-dev", a également été créée. Elle devrait s'autofinancer grâce à des services mutualisés et permettre la génération d'une trentaine d'idées, de 18 projets et de 13 activités nouvelles pour 100 millions d'euros de chiffre d'affaires et 300 à 400 emplois. A la clé également : la création d'un fonds d'amorçage de 10 millions d'euros de capitalisation, un écosystème local optimal qui permettra de tester les produits dans des quartiers d'expérimentation et 2 millions d'euros d'économies… Dans ce type d'approche, "l'idée n'est pas de remplacer les dispositifs existants mais de réfléchir à la façon de faire prendre la mayonnaise localement", a expliqué Frédéric Gilli. Enfin, la mise en place d'ateliers territoriaux est proposée, "pour élaborer, avec la population locale, le projet de territoire qui va sous-tendre, réalimenter et amplifier ce processus d'innovation". Les auteurs partent ainsi du principe que confronter les opinions des usagers/citoyens, des entreprises, des chercheurs et des élus permettra de faire émerger en continu de nouveaux espaces de marché et de nouvelles pistes d'innovation. "On n'est plus dans le projet industriel mais on part du territoire, a détaillé Marc Desforges, l'idée est de mettre le territoire au centre de la démarche." D'autres expérimentations de ce type ont lieu dans plusieurs territoires, comme la mise en place de plusieurs réseaux, dont "gastronomie créative", sur l'axe Bourgogne/Rungis/Paris ou d'un réseau de valeur sur la logistique innovante sur l'axe Seine-Oise. Les auteurs recommandent de soutenir ces initiatives expérimentales sur le plan national, avec un dispositif de suivi et de capitalisation.