Un appel à manifestation d'intérêt pour réinventer la forme scolaire
Un appel à manifestation d'intérêt doté d'un montant record de 250 millions d'euros vise à faire émerger des innovations dans la forme scolaire. Organisation scolaire, développement de compétences favorisant l’orientation, nouvelles formes de collaboration entre les acteurs de la communauté éducative : l'ambition est vaste et semble vouloir accélérer un ensemble de politiques publiques déjà l'œuvre.
Et si, dans cinq ans, l'école française ne ressemblait plus du tout à ce que l'on a connu depuis plus d'un siècle ? Un appel à manifestation d'intérêt (AMI) récemment publié par la Caisse des Dépôts dans le cadre du PIA 4 (programme d'investissements d'avenir) et doté de 250 millions d'euros – un record en matière d'éducation – semble vouloir rebattre les cartes. Intitulé "Innovation dans la forme scolaire", il part d'un constat sans concession : "Une forme scolaire inadaptée peut accentuer des phénomènes 'd'exclusion, d'aliénation, d'enfermement, d'inégalités', voire les produire. Les résultats des élèves ne sont pas à la hauteur de ce que le niveau de développement de notre pays pourrait laisser espérer, et le système scolaire français ne parvient pas encore à résorber les inégalités sociales." Pour remédier à ces maux, l'AMI se propose de faire émerger des projets, conduits sur cinq ans, dont l'objectif sera "de concevoir et d'expérimenter de nouvelles formes scolaires qui facilitent les coopérations et les apprentissages pour s'adapter aux besoins des élèves, aux exigences de la société, aux nouveaux savoirs, à la complexité et à l'incertitude".
La demande est née du côté du SGPI (Secrétariat général pour l'Investissement, placé sous l'autorité du Premier ministre), lequel a sollicité la sous-direction de l’innovation, de la formation et des ressources de la Dgesco (Direction générale de l'enseignement scolaire du ministère de l'éducation nationale) afin de la faire contribuer à la rédaction d'un AMI "qui ferait un peu bouger les lignes et engagerait à proposer des projets innovants qui toucheraient à la forme scolaire", selon Cécile Pacchiana-Rossi, cheffe du bureau de l’innovation pédagogique. À ce stade, deux limites doivent être précisées : il n'est pas question de toucher à la pratique pédagogique elle-même ou de refondre les programmes, ni de financer du bâti scolaire.
Ouvrir sur le territoire
Ceci posé, que désigne le syntagme "forme scolaire" ? Pour Cécile Pacchiana-Rossi, "il s'agit de l'ensemble des règles qui régissent l'organisation de l'enseignement dans un établissement scolaire." Une notion qui recouvre à la fois l'organisation des temps scolaires, l'organisation spatiale, le nombre d'élèves par classe, mais aussi l'organisation de la vie de la communauté éducative, dont la définition est elle-même extensible puisqu'elle comprend un premier cercle composé des enseignants, des élèves, des personnels d'encadrement et des parents, puis un second incluant l'établissement dans son territoire, avec des partenaires tels que les associations et les collectivités territoriales. La forme scolaire correspond également à des enjeux comme la manière de faire cours, "une manière qui évolue et doit se mettre en lien avec les nouvelles façons de travailler issues du monde professionnel, pointe Cécile Pacchiana-Rossi. L'école doit aussi préparer les élèves à être capables d'interagir dans ces nouveaux environnements".
Dans son énoncé, l'AMI affiche une ambition balayant de vastes thématiques : "Décloisonner les enseignements disciplinaires, centrer l'enseignement sur les processus d'apprentissage, sur l'acquisition de connaissances et de compétences durables et transposables, favoriser les compétences dites du XXIe siècle, réinvestir tout apprentissage d'un sens immédiatement compréhensible par les élèves, adapter l'enseignement aux caractéristiques et aux besoins particuliers des élèves, renforcer la coéducation avec les parents d'élèves, réaffirmer la place de l'oral dans le processus d'apprentissage et dans sa valorisation…" De cet ensemble se dégagent trois axes thématiques : une organisation scolaire qui garantisse de meilleurs apprentissages, le développement de compétences favorisant l’orientation tout au long de la vie et de nouvelles formes de collaboration entre les acteurs de la communauté éducative. "L'espoir de cet AMI, anticipe Cécile Pacchiana-Rossi, est qu'en lançant un projet sur une des thématiques, ou les trois, on arrive à engager des changements assez profonds dans la manière dont la vie de l'école, sur une journée ou sur une année, s'organise, qu'elle soit plus ouverte sur le territoire et ses potentialités."
Pour rendre cette ambition plus concrète, l'AMI met en lumière plusieurs pistes. Ici, il est question de positionner les enseignements disciplinaires sur un semestre pour favoriser le travail par projets. Là, on parle de valoriser des outils numériques conçus par des enseignants eux-mêmes. Ailleurs, on évoque un apprentissage précoce et massif de l'anglais ou encore l'acculturation des parents d'élèves au numérique scolaire par des jeunes en service civique sur les temps scolaire ou périscolaire.
Impliquer les enseignants
Conçus dans une logique de territoire et de partenariat, les projets peuvent être portés par une académie, une collectivité, un établissement public de coopération locale ou un syndicat mixte, une association, une entreprise ou une fondation du secteur de l'éducation ou de l'économie sociale et solidaire, ou un groupement d'intérêt public (GIP). En outre, ils doivent associer a minima deux personnes morales sur un territoire bien identifié et inclure au moins une école ou un établissement scolaire. Cécile Pacchiana-Rossi attire l'attention sur ce dernier point: "Pour l'instant l'AMI suscite de l'intérêt de la part des collectivités et des académies, mais il n'a pas encore été rendu visible auprès des enseignants. C'est un point important et il faut communiquer en leur direction car ce sont eux, au final, qui vont concrètement porter des projets et les mettre en œuvre. Ils doivent être force de proposition et être associés à la réflexion."
Autre défi à relever : celui de l'évaluation. "Ce n'est pas au bout de trois ans qu'on se posera la question de savoir si cela fonctionne, prévient Cécile Pacchiana-Rossi. On envisage la procédure d'évaluation dès le départ, on l'intègre intimement au projet de sorte que cela puisse produire un retour d'expérience et que cette information serve à tous. Charge à nous de mutualiser l'information." Afin de s'assurer d'une évaluation in itinere, la capacité des projets à "embarquer des équipes de recherche" sera donc cruciale. L'enjeu est bien que cet AMI "puisse éclairer des choix de politiques éducatives à long terme".
Enfin, un troisième défi, plus collectif, consistera à faire valoir la capacité des projets à se constituer en réseau. "Il ne faut pas que ces expérimentations ne produisent des informations que sur leur territoire, plaide Cécile Pacchiana-Rossi. L'enjeu sera aussi de réussir à créer un réseau, une notion qui est bien mentionnée dans l'AMI et placée comme un objectif important."
Alignement de planètes
Cet AMI est incontestablement ambitieux du fait de son montant global, ainsi que du montant minimal qui sera octroyé à chaque projet : deux millions d'euros. Il s'agit bien de pousser à une démarche d'envergure. Mais c'est une démarche qui, loin de constituer une rupture, apparaît comme l'accélération d'une vision et d'expérimentations déjà à l'œuvre. Qu'il s'agisse des Cités éducatives, lancées fin 2019, des établissements de services, labellisés en mars 2021, ou des territoires numériques éducatifs (TNE), dont l'extension est actuellement en cours dans dix nouveaux départements, les partenariats entre acteurs de la communauté éducative sont partout sollicités et l'école cherche à s'ouvrir sur son environnement.
De son côté, dans sa dernière note sur les Enjeux structurels pour la France (lire notre article du 14 décembre), la Cour des comptes anticipe certaines propositions qui pourraient naître de l'appel à manifestation d'intérêt. Quand elle écrit que "la continuité de l’organisation du parcours de l’élève est rompue de manière assez brutale entre l’école et le collège", elle fait écho à ce constat, issu de l'AMI : "Le parcours de l'élève peut se trouver fragilisé lors des moments charnières que sont les passages de l'école au collège." Quand elle invite les chefs d’établissement à "veiller à la qualité des rapports de coopération entre les enseignants, les élèves et leur famille, lesquels peuvent améliorer la performance, s’agissant notamment des élèves défavorisés", elle rappelle que l'AMI vise explicitement à "développer la coopération entre enseignants" afin d'"apprendre les uns des autres […] et, en fin de compte, améliorer leurs cours et le soutien qu'ils peuvent apporter à leurs élèves".
Certains évoqueront "l'air du temps", d'autres, peut-être, un "alignement de planètes". "J'aime à croire que cet AMI suscitera de l'espoir et de l'enthousiasme, qu'il montrera l'école vers laquelle on voudrait aller, qui pourrait être plus souple dans ses modalités, de sorte que tout le monde, élèves ou enseignants, y trouve son compte. Le cœur est là, autour du souhait que l'école accompagne au mieux chacun. Qu'on se souvienne vingt ans plus tard de l'école comme de l'endroit où l'on a pu commencer à grandir en toute sécurité", conclut Cécile Pacchiana-Rossi.