Les territoires numériques éducatifs prennent leur envol
L'extension des territoires numériques éducatifs à dix nouveaux départements, annoncée par Jean Castex, est bien en route. Leurs leviers d'action ont été élargis et le rôle des collectivités, tant dans la coconstruction des projets que dans leur financement, est désormais affirmé.
Les choses s'accélèrent dans le domaine du numérique éducatif. Le 8 décembre 2021, soit deux mois jour pour jour après l'annonce par le Premier ministre, à Poitiers, de la poursuite du déploiement des Territoires numériques éducatifs (TNE) à dix nouveaux départements, les porteurs de projets, issus des académies et des collectivités territoriales concernées, étaient réunis pour la première fois à Paris au sein du Hub des territoires de la Banque des Territoires.
Lancée en 2020 par le secrétariat général pour l'Investissement (SGPI) et le ministère de l’Éducation nationale, et mis en œuvre par la Banque des Territoires avec les collectivités partenaires, et en association avec le Réseau Canopé et le GIP Trousse à Projets, le dispositif TNE doit permettre de tester, à grande échelle, la mise en œuvre de la continuité pédagogique, dont la nécessité a été révélée par la crise sanitaire, et de réduire la fracture numérique. À terme, il doit également favoriser une accélération des usages du numérique au service de la réussite des élèves.
Son financement total atteint aujourd'hui environ 200 millions d'euros : 27,3 millions au titre du PIA 3 (plan d'investissement d'avenir) pour les deux premières expérimentations lancées en 2020 dans l'Aisne et le Val-d'Oise, et 172 millions au titre du PIA 4 pour les dix nouveaux départements (Bouches-du-Rhône, Cher, Corse du Sud, Doubs, Finistère, Guadeloupe, Hérault, Isère, Vosges et Vienne), choisis, selon le ministère de l'Éducation nationale, "pour que l’expérimentation soit la plus représentative de la diversité des réalités économique, géographique, sociologique et technologique de nos territoires en matière d’accessibilité au numérique". On notera qu'à l'échelle d'un TNE, toutes les écoles ne sont pas concernées. Leur choix relevant de l'importance de la fracture numérique territoriale constatée mais aussi des projets existants et de leur besoin d'accompagnement.
Quatre leviers
Plus concrètement, l’expérimentation TNE vise à agir sur quatre leviers simultanément dans une logique intégrée, autrement dit en recherchant une approche systémique du numérique éducatif, et à en évaluer les effets in itinere. Ce type d'évaluation qui permet un suivi fin, au fil de l'eau, est l'une des caractéristiques des projets impulsés par le SGPI.
Le premier levier actionné relève des aspects matériels. Il s'agit ici d'assurer un socle minimal d’équipement et de services numériques pour les écoles élémentaires, d'équiper chaque classe du second degré d’un kit d’enseignement hybride, de permettre l’équipement des élèves en état de fracture numérique, mais encore de déployer d’autres équipements en fonction des situations territoriales et des projets.
Il faut s'arrêter sur cet aspect matériel. Si dans un premier temps, à la sortie du confinement du printemps 2020, la capacité à fournir rapidement les écoles en matériel informatique avait été mise en avant dans l'Aisne et le Val-d'Oise, c'est une ambition plus large qui préside au déploiement de 2021. Pour les dix nouvelles expérimentations, on tirera les leçons de ce qui a été fait dans les deux premiers TNE. Les collectivités sont désormais invitées à coconstruire les projets et à cofinancer les équipements. Le conseil départemental pourra, dans ce cadre, être amené à collecter les besoins auprès des communes. Cette implication pourrait mener à une logique de mutualisation d'achats, comme c'est déjà le cas dans le Cher, où un syndicat mixte prend en charge cette question.
Le deuxième levier consiste à mettre à disposition des professeurs un bouquet de services et de ressources en ligne via la plateforme spécifique CanoTech TNE, qui pourront faire l’objet d’une formation associée, mais aussi à proposer des ressources éducatives libres. Là encore, c'est la qualité, à travers, par exemple, des contenus éditorialisés, qui est visée.
Inclure les parents
Le troisième levier est l'une des clés de la réussite du projet puisqu'il a trait à la formation. Il vise à permettre l’acquisition de compétences numériques nécessaires à l’exercice du métier d'enseignant dans le cadre d'un TNE, à favoriser les modes de fonctionnement collaboratif et à partager une culture numérique professionnelle commune au sein d’une école ou d’un établissement, et enfin à engager un processus incrémental d’amélioration continue par l’évaluation. Il est à noter que l’offre de formation devra être coconstruite entre le Réseau Canopé, les services académiques de l'Éducation nationale mais aussi les collectivités afin de mieux l'adapter au contexte et aux besoins locaux.
Dernier levier, qui fait l'une des originalités du dispositif : favoriser la parentalité et l'inclusion. Comment y parvenir ? En enrichissant et en améliorant le lien entre les parents et l’école, en luttant contre les risques de décrochage liés à la situation de fracture numérique de certains élèves et de leurs familles, en créant des alliances vertueuses entre les parents, les écoles et établissements, et le tissu associatif local, et en accompagnant plus spécifiquement les familles en situation de fracture numérique et d’illectronisme. Sur ce volet encore, il sera question de coconstruction. Le GIP Trousse à Projets et les collectivités de chaque territoire devront adapter l’offre d’accompagnement, sur la base du diagnostic établi et des besoins territoriaux.
La collectivité au centre du jeu
Cette phase de diagnostic a justement été franchie par les nouveaux territoires concernés. Dorénavant, c'est la phase II qui est en cours, à savoir la structuration de l'offre et le conventionnement. Cette phase comprend la mobilisation d’une collectivité cheffe de file et des collectivités partenaires, la formalisation des plans d’actions et des budgets territoriaux, les échanges avec la Banque des Territoires pour compléter la convention de financement, et enfin le cadrage du volet parentalité en lien avec le GIP Trousse à Projet.
Avec cette extension de l'expérimentation des TNE, le rôle de collectivité cheffe de file s'avérera primordial. Le plus souvent, il pourrait s'agir du département, voire d'un syndicat mixte dédié au numérique quand il existe. Dans les Vosges, le conseil départemental et l'académie ont déjà rédigé deux "conventions miroirs" afin d'acter la répartition des financements entre eux. Le rôle moteur du département sera encore mis en avant pour actionner le levier de la parentalité numérique et intégrer la dimension interdegrés : les formations parents-élèves-enseignants pourront être menées à l'échelle du TNE tout entier et non d'une seule école. Mais le cas par cas devra l'emporter. Ainsi, dans les Bouches-du-Rhône, ce sont probablement les communes de Marseille et d'Aix qui seront partenaires de l'académie.
À partir de janvier 2022, les TNE entreront dans leur dernière phase. Des temps forts de mobilisation seront alors organisés avec les partenaires territoriaux et les actions portant sur les quatre leviers du projet seront lancées dans les dix départements concernés pour une durée de trois ans.
Il restera alors à assurer l'évaluation in itinere. Au fur et à mesure de leur déploiement, les actions seront examinées sous l'angle de leur pertinence et de leur efficience. Les difficultés à lever seront identifiées ainsi, bien entendu, que les bonnes pratiques à promouvoir. Car c'est bien, à terme, l'ensemble des territoires qui seront amenés à devenir des territoires numériques éducatifs. Quant aux évaluations issues des deux premiers TNE, qui seront publiées prochainement, elles devraient, selon nos informations, s'avérer positives, notamment en faveur des élèves les plus défavorisés.