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Environnement - Transition énergétique : gare à la complexité pour les collectivités, met en garde un rapport sénatorial

Alors que le Sénat commence ce 10 février l'examen en séance du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, sa délégation aux collectivités territoriales vient de publier son rapport sur le texte. Elle critique sa complexité normative et propose une série de mesures de simplification traduites dans des amendements.

A la veille de l'examen en séance au Sénat du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, un rapport fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales de la Haute Assemblée estime que le texte, qui reconnaît le rôle des collectivités dans la politique de l'énergie, traduit aussi "la banalité de la complexité" au regard des normes qu'il contient. "Il conjugue les déclarations d'objectifs dénuées de portée immédiatement identifiable avec un semis de petites dispositions modificatrices dont l'impact technique et financier est difficile à appréhender, estiment les rapporteurs Rémy Pointereau (UMP, Cher) et Philippe Mouiller (UMP, Deux Sèvres). Il surajoute, parfois à la marge, des obligations à d'autres obligations déjà existantes, ne bouleversant rien mais compliquant tout. Indifférent à l'analyse coûts-avantages des normes qu'il crée, il est aussi emblématique du comportement tendanciellement schizophrénique d'un Etat qui impose de nouvelles contraintes coûteuses tout en appelant à la baisse de la dépense locale et en diminuant ses propres concours."
Les sénateurs reprochent aussi au texte d'être "représentatif d'une autre cause majeure de la complexité, qui est l'uniformité centralisatrice de la norme étatique". "Que signifient, par exemple, les obligations d'isolation imposées identiquement d'un bout à l'autre du territoire sans que la profonde diversité des climats soit apparemment prise en compte ?", interrogent-ils. Selon eux, "le projet de loi est ainsi emblématique d'un manque trop fréquent d'appréciation correcte des limites de l'Etat normatif face à la liberté d'administration des collectivités décentralisées".

"Six thématiques de simplification"


Les rapporteurs ont ainsi repéré "six thématiques de simplification". En vue de l'examen en séance, ils comptaient déposer au total 24 amendements mais en ont finalement rédigé 16, "compte tenu des huit amendements satisfaits par le texte des commissions" des affaires économiques et du développement durable, qui les ont auditionnés le 4 février.
La première thématique regroupe les dispositions "qui tendent à imposer aux collectivités des obligations irréalistes ou encadrant leur activité de façon disproportionnée au regard de l'équilibre souhaitable entre l'objectif recherché et les moyens techniques et financiers dont dispose la collectivité territoriale". Les rapporteurs citent ainsi l'obligation, prévue à l'article 5, de réaliser des travaux d'isolation ou d'études à l'occasion de travaux de ravalement en façade, de réfection de la toiture, d'aménagement de nouvelles pièces ou de travaux de rénovation importants. Selon eux, elle "appelle au minimum des correctifs afin d'impliquer les conseils généraux, chefs de file en matière de transition énergétique, dans l'élaboration du décret d'application prévu. Il s'agit de rendre concrètement possible la différenciation territoriale de la réglementation en fonction de la diversité des climats". Au même article, "au vu du coût probable des travaux rendus obligatoires", ils jugent "indispensable d'introduire une disposition écartant le caractère d'obligation quand le coût des travaux d'isolation excède manifestement les capacités contributives de la collectivité territoriale ou d'un groupement de collectivités propriétaire". Autre exemple, le renforcement, prévu à l'article 9, de l'obligation d'achat de 20% de véhicules propres au sein d'un parc de plus de 20 véhicules. Les rapporteurs estiment qu'il sera "insupportable" pour de nombreuses collectivités "si l'on ne réintroduit pas l'atténuation mentionnée dans le droit positif en vigueur, en prévoyant que l'obligation d'achat s'applique sous réserve des contraintes liées aux nécessités du service."

Risque de contentieux

La deuxième thématique visée dans le rapport regroupe les dispositions qui "tendent à imposer aux collectivités des obligations supplémentaires dans une formulation insuffisamment normative ou insuffisamment précise susceptible de donner lieu à des contentieux ou à une réglementation d'application disproportionnée". La disposition de l'article 19 sur la promotion du tri à la source des déchets organiques et de la tarification incitative appartient à ce groupe de normes, pointent les sénateurs qui suggèrent sur ce point de supprimer les délais et les objectifs chiffrés fixés par le projet de loi, qui sont selon eux "intenables au vu de l'impréparation des filières de traitement des déchets triés".
La troisième thématique regroupe les dispositions qui "tendent à créer ou à compléter des procédures disproportionnées au regard de l'équilibre approprié entre l'objectif recherché et les moyens techniques et financiers dont la collectivité territoriale dispose". Le rapport vise l'article 56 bis, qui crée une obligation d'insérer dans le projet d'aménagement et de développement durables du plan local d'urbanisme (PLU) des orientations générales des réseaux d'énergie. La délégation souhaitait proposer de ne pas appliquer cette obligation aux PLU existants. Cette proposition a été satisfaite par le texte adopté par les deux commissions des affaires économiques et du développement durable, saisies au fond, se félicitent les rapporteurs.

Compétence obligatoire sans moyens appropriés

La quatrième thématique regroupe les dispositions qui tendent à créer une compétence locale obligatoire "dont les conditions de mise en oeuvre ne sont pas réunies au regard des moyens techniques, juridiques ou financiers dont la collectivité dispose". Les sénateurs citent sur ce point les dispositions de l'article 19 quater qui attribuent au maire de nouveaux pouvoirs à l'égard des véhicules abandonnés stockés sur la voie publique ou sur le domaine public, avec obligation de recours à un expert automobile. Plutôt que de supprimer ces dispositions qu'ils jugeaient a priori "complexes et peu applicables", les rapporteurs ont finalement estimé "souhaitable" de transformer l'obligation en simple faculté "afin que les maires que ce texte pourrait intéresser l'aient à leur disposition".
La cinquième thématique regroupe les dispositions "qui tendent à diminuer les délais prévus initialement pour la mise en oeuvre de dispositions complexes ou coûteuses, ou introduisant des éléments hétérogènes dans des dispositifs orientés vers d'autres objectifs". Dans ce groupe de normes, les rapporteurs ont retenu à titre d'illustration les dispositions de l'article 21 bis prévoyant l'insertion d'objectifs de performance en matière de réduction du gaspillage alimentaire dans le plan de prévention et de gestion des déchets non dangereux ou encore, à l'article 22septies A, la modulation de la dotation de solidarité rurale en fonction de l'éclairage nocturne du domaine public des communes. La commission du développement durable a finalement devancé les souhaits de la délégation en supprimant ces dispositions.
Enfin, la dernière thématique regroupe les dispositions "ayant pour effet de brouiller la compréhension des compétences des collectivités et l'articulation des schémas et documents de planification au moyen desquels elles organisent l'exercice de ces compétences". Les rapporteurs visent tout particulièrement l'article 22 bis A, qui prévoit l'élaboration d'un schéma régional de biomasse par le préfet de région et le président du conseil régional, dans les 18 mois à compter de la promulgation de la loi. Là encore, la commission du développement durable a devancé la délégation en supprimant cet article.

Compte tenu des changements apportés au texte par les sénateurs notamment par la commission des affaires économiques sur la question du nucléaire (lire notre article ci-contre), on peut s'attendre à un bras de fer avec le gouvernement. La ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, ne désespère pas "de revenir au texte initial qui a déjà fait l'objet de nombreux débats". "Je vais écouter les arguments, et je m'accorde toujours une marge d'adaptation par rapport au débat parlementaire", a-t-elle dit en indiquant qu'elle allait "continuer dans la co-construction de la solution du meilleur mix énergétique pour la France". "Le texte, qui sera présenté au vote des sénateurs, est à un tel point vidé de ses principales avancées, qu'il se révèle pour moi inacceptable", a déclaré de son côté le président de la commission du Développement durable de l'Assemblée, Jean-Paul Chanteguet (PS).