Transition climatique et finances publiques : I4CE suggère des transferts de charges

Jugeant nécessaire de renforcer les investissements en faveur de la transition écologique, l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) suggère de transférer une partie des charges pesant sur les pouvoirs publics — en particulier celles pesant sur l’État —,  aux ménages et aux entreprises. Mais aussi… aux collectivités, en dépit des faibles marges de manœuvre de ces dernières. Un transfert qui n’est pas sans limites.

Quelle place pour le climat dans le prochain budget et au-delà ? Les efforts peuvent-ils être mieux répartis entre acteurs publics et privés ? L’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), organisait une conférence de presse ce 9 juillet pour présenter son nouveau rapport sur le financement de la transition climatique, en s'efforçant de tirer les conséquences des résultats des législatives pour le climat. Un exercice peu aisé, vu le contexte, comme en a convenu son directeur général, Benoît Leguet : "L’éclaircissement demandé par le président de la République n'a peut-être pas complètement eu lieu" et, sur le front de la transition écologique, "l’avenir est incertain, avec des risques de blocage réels". 

Quelques certitudes

Le responsable du think tank relève néanmoins quelques certitudes : "La nécessité d’agir pour le climat", car "indépendamment de la couleur politique de l'exécutif à venir, celui-ci va changer. Il va donc falloir que la France s'adapte." I4CE rappelle surtout que le pays s’est fixé des objectifs — et a pris des engagements — en matière d’atténuation, lesquels nécessitent de "combler un déficit d’investissement, dans les conditions fiscales et réglementaires actuelles" qu’il estime désormais à 71 milliards d’euros de dépenses publiques additionnelles par an à l’horizon 2030, dont 52 milliards pour l’État.

Autre certitude, donc : "Nous aurons besoin d’argent public". Lequel, au vu des finances publiques, fait cruellement défaut (voir notre article du 26 mars). Fort de ce constat, I4CE cherche les différentes voies qui permettraient "de transférer une partie de l’investissement aujourd’hui pris en charge par les pouvoirs publics vers les ménages et les entreprises". Et ce, en "renforçant la réglementation, recentrant les aides sur les bénéficiaires les plus modestes, éliminant certaines dispositions fiscales favorables aux alternatives fossiles, s’appuyant sur les certificats d’économie d’énergie (CEE) ou les tarifs des services rendus par les usagers". En combinant toutes ces mesures, I4CE estime que les besoins minimaux de dépenses publiques supplémentaires pourraient alors s’établir à 39 milliards d’euros, dont 18 milliards pour l’État. "Il reste un besoin de financement public assez incompressible, parce qu’une partie de la transition se concentre dans les équipements publics, comme les bâtiments ou les infrastructures de transport", expliquent ses experts.  

Faibles marges de manœuvre pour les collectivités

C’est singulièrement le cas pour les collectivités, pour lesquelles les marges de manœuvre sont particulièrement réduites.  Leurs "dépenses pourraient être plus ou moins financées par l’État, un recours accru aux CEE et à d’autres instruments financiers sectoriels mais la majorité d’entre elles resteront à [leur] charge", observe ainsi I4CE — les autres marges de manœuvre tenant aux "financements qu’elles apportent aux porteurs de projet, notamment dans le transport et le logement social".

Ces marges de manoeuvre apparaissent d’autant plus limitées que pour moins dévêtir l’État, I4CE propose en partie de solliciter davantage les collectivités. C’est ainsi le cas pour la rénovation de leurs bâtiments, l’institut leur suggérant, "pour limiter la contribution de l’État", d’employer "des instruments financiers tels que les contrats de performance énergétique à paiement différé [voir notre article du 5 octobre 2023], ou la mise en commun de biens immobiliers au sein d’une foncière publique". De même s’agissant de la modernisation de l’éclairage public, pour laquelle l’institut estime que "le financement public pourrait être réduit en faveur d’instruments financiers parce que la plupart des opérations de modernisation sont financièrement rentables en moins de dix ans" (voir notre article du 19 avril 2023). Idem encore en matière d’aménagements cyclables, I4CE jugeant que l’ État pourrait là encore "diminuer voire arrêter [son] soutien, à condition de renforcer la réglementation dans ce secteur pour s’assurer que les collectivités locales investissent à hauteur des besoins", ce que les acteurs locaux n'entendent pas de cette oreille (voir notre article du 19 janvier dernier). Ou en matière d’infrastructures de recharge électrique, où I4CE considère notamment que "le renforcement de l’obligation (d’installation de points de recharge) et son extension au-delà de 2025 pour les entreprises et les collectivités assurerait la création de nouveaux point de recharge (…), en limitant le recours aux subventions".

Différents chemins, tous parsemés d'embûches

Benoit Leguet insiste sur le fait qu’I4CE n’entend toutefois pas donner une marche à suivre, mais seulement "explorer les différents chemins possibles pour atteindre la neutralité carbone, en termes de répartition des efforts d’investissements entre les acteurs". Et de préciser qu’il n’y a pas "un bon chemin et des mauvais chemins, mais différents chemins possibles".

Toutes ces pistes partagent néanmoins un point commun : elles sont particulièrement escarpées. Benoit Leguet  tient en effet à mettre singulièrement en lumière le fait qu’"il n’y a pas d’argent magique. Ni public,  vu la situation des finances publiques,  ni privé", l’expert rejetant le "mirage" du "il y a suffisamment d’épargne".  Et il y en aura d’autant moins que les capacités d’emprunt de la France sont jugées "préoccupantes" : "C’était déjà une préoccupation dans notre rapport de décembre dernier" (voir notre article du 20 décembre 2023), souligne-t-il. Depuis le phénomène n’a fait que prendre de l’ampleur, en particulier depuis la dissolution. 

Circuit fermé

Autre difficulté, le fait que certaines pistes qui pourraient paraître séduisantes prises isolément pourraient se révéler intenables une fois cumulées. "Beaucoup de dispositifs fiscaux auxquels on pourrait recourir reposent sur les prix des énergies. Si on active tous ces leviers sans bien les piloter, on peut se retrouver avec une hausse assez importante des prix", admet Hadrien Hainaut, co-auteur de l’étude. Avec les risques que l’on sait, d’autant que le sujet a, pour le coup, fortement animé la dernière campagne électorale.

Autre limite, tue cette fois, le fait que ces transferts de charge fonctionnent finalement en circuit fermé, certes plus ou moins courts. On relèvera par exemple que, considérant que les investissements pour le développement des transports en commun urbains pourraient rapidement fragiliser l’équilibre budgétaire des autorités organisatrices de la mobilité (AOM), I4CE estime qu’"une partie de la solution pourrait venir de l’augmentation des contributions des collectivités locales". Ou que "pour maîtriser le risque de surendettement des AOM et d’envolée des contributions locales, des mesures pourraient être prises pour augmenter les financements venant des contribuables et/ou des usagers". On observera encore, par exemple, que les dépenses supplémentaires que l’on imposera d’un côté aux entreprises se traduiront de l’autre par une baisse de leurs bénéfices, et donc de leur capacité contributive aux budgets publics.

Rénovation des logements privés : la piste de la consigne ?

Pour favoriser la rénovation des logements privés, I4CE suggère d’ "introduire une obligation de rénovation à l’achat à travers un système d’abondement récupérable", une somme consignée qui serait restituée à l’acheteur une fois les travaux de rénovation globale de son nouveau logement effectués. "Ces sommes consignées peuvent être financées par un prêt immobilier étalé sur une longue durée à des taux relativement bas", vantent ses experts. L’idée paraît séduisante. Restera à mesurer ses effets de bord, au moment où les potentiels acheteurs peinent déjà à emprunter, notamment du fait du plafond de verre du taux d’usure. Ou encore, c’est moins connu, lorsque le bien convoité a le malheur d’être "énergétiquement mal classé", l’apport initial de l’acquéreur exigé par les banques — au moins certaines d’entre elles — étant majoré, empêchant alors la transaction. Une conséquence indirecte du bilan carbone, lequel invite les établissements financiers à mesurer et réduire l’impact climatique de leurs investissements, qui pourrait renforcer encore une crise du logement déjà prégnante en faisant sortir un petit peu plus encore ces biens "mal notés" du marché.