Collectivités : les pistes de l'IGF pour stimuler les investissements dans la transition écologique
Recours à la trésorerie et à l'endettement, réforme de la contractualisation, refonte de l'allocation des crédits de l'État qui lui sont consacrés… Dans un rapport commandé par le gouvernement dans le cadre de la revue des dépenses, l'Inspection générale des finances (IGF) formule ses recommandations pour amplifier l'investissement local dans la transition écologique.
Si la France veut atteindre ses objectifs environnementaux, les collectivités territoriales devront investir près de 21 milliards d'euros par an dans la transition écologique d'ici à 2030, estime l'Inspection générale des finances (IGF), dans un volumineux rapport réalisé à la demande du gouvernement, dans le cadre des revues de dépenses. Cette étude avait été remise en octobre 2023, mais l'exécutif n'en a partagé les conclusions que tout récemment avec les représentants des associations d'élus locaux. Le rapport vient finalement d'être discrètement publié (sur le site de l'IGF).
Jusque-là, des travaux de l'institut de recherche I4CE évaluaient à près de 12 milliards d'euros par an jusqu'en 2030 les besoins d'investissement des collectivités nécessaires au respect des seuls objectifs de réduction des gaz à effet de serre - l'étude excluait la gestion des déchets, les réseaux d'eau et d'assainissement et la protection de la biodiversité (voir notre article d'octobre 2022).
Abondante trésorerie
D'après les fonctionnaires de l'État, le secteur public local devra dépenser près de 15 milliards d'euros par an pour la réduction des gaz à effet de serre, dont 7,2 milliards d'euros rien que pour la rénovation énergétique des bâtiments. 3 milliards d'euros d'investissements par an seraient nécessaires pour les transports en commun urbains et ferroviaires et 2,6 milliards d'euros pour les pistes cyclables. Simultanément, les collectivités devraient consacrer 6 milliards d'euros à l'adaptation au changement climatique et à la préservation de la qualité de vie et des écosystèmes (dont 2,4 milliards d'euros pour le recyclage des friches et la renaturation et 2,2 milliards d'euros pour les réseaux d'eau et d'assainissement).
Les besoins d’investissement dans la transition écologique représentent au total "environ 40%" du niveau des dépenses d’équipement des collectivités territoriales (54 milliards d'euros en 2022). Une proportion très significative dont le financement nécessitera "des choix de la part des exécutifs locaux", souligne l'IGF, en mettant en avant un certain nombre de solutions et d'atouts.
Les économies faites sur les dépenses "brunes" et la diminution (liée à la baisse des naissances) du nombre d’élèves dans les établissements scolaires vont donner un coup de pouce aux collectivités, pointe-t-elle par exemple. Les collectivités peuvent également puiser dans une trésorerie abondante (plus de 65 milliards d'euros en 2022). Si elles ramenaient leur trésorerie au niveau de 2015, elles pourraient mobiliser environ 20 milliards d'euros.
"Rationaliser les appels à projets nationaux"
Du fait d'une situation saine, les collectivités ont aussi la capacité de s'endetter davantage. Par exemple, si, au regard des comptes de 2022, les communes et intercommunalités remontaient leur délai de désendettement à 5 années, elles pourraient mobiliser 23 milliards d'euros. D'autres marges de manœuvre peuvent aussi découler de certains choix, tels qu'une "mutualisation plus poussée des équipements structurants au niveau intercommunal", ou une mise en œuvre renforcée de l'évaluation des décisions d'investissement (car celle-ci serait pour l'heure "embryonnaire").
Selon l'IGF, l'État pourrait aussi soutenir l'investissement local en matière de transition écologique en mettant ses moyens en matière d'ingénierie à la disposition des collectivités les plus démunies dans ce domaine. De tels moyens d'expertise existent - notamment chez les opérateurs -, mais les élus locaux déplorent "un manque de lisibilité" de leur offre. La mission préconise donc qu’au plan local, "l’ensemble de l’offre de l’ingénierie des agences de l'État soit sous le pilotage du préfet de département".
Véritable porte d'entrée de l'État vis-à-vis des élus locaux, les préfets auraient aussi pour mission de "diffuser l’information sur les appels à projets et signer les décisions d’attribution de subventions aux collectivités". En effet, critiquant ces appels à projets nationaux parce qu'ils favorisent les collectivités bien dotées en ressources humaines, la mission préconise "une meilleure visibilité et une forte rationalisation" de ceux-ci.
Refonte des concours de l'Etat
La visibilité sur les financements de l'État offerte dans le cadre des contrats pour la réussite de la transition écologique (CRTE) est également à améliorer. Selon l'IGF, elle devrait être pluriannuelle – comme le demande Intercommunalités de France. En échange, les collectivités s'engageraient sur des objectifs de résultats en matière de transition écologique.
Par ailleurs, l'IGF estime que les dotations d’investissement de l’État "peuvent être améliorées pour inciter les collectivités territoriales à investir davantage dans la transition écologique". A cette fin, elle préconise de fondre les différents crédits de l'État pour le soutien à l'investissement local dans seulement deux dotations. Consacrée à la transition écologique et "contractualisée dans un CRTE", la première serait allouée selon des critères dépendant de "la performance énergétique des investissements". La seconde serait consacrée à la cohésion des territoires. "Non contractualisée", elle "prendrait en compte les besoins des territoires dans leur variété, ainsi que la capacité financière des collectivités à mener à bien ces investissements".
Ce n'est pas tout. Trouvant beaucoup de défauts au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) - c'est-à-dire le principal vecteur de soutien à l'investissement public local (plus de 6,4 milliards d'euros en 2022) -, l'IGF imagine sa réduction progressive au profit d'un abondement de la dotation de transition écologique. Deux autres scénarios complémentaires sont bâtis : l'affectation d'une partie des sommes à des collectivités en difficulté… et une restitution à l'État, qui ferait ainsi des économies. La proposition devrait susciter un tollé chez les élus locaux.
Départs d'agents à la retraite : "une occasion d’interroger les besoins"Face aux tensions de recrutement, les collectivités ont des marges de manœuvre limitées sur la rémunération des personnels. Mais le "renouvellement massif des effectifs qui se prépare", avec 7% de départs à la retraite chaque année, offre "une occasion d’interroger les besoins et de modifier progressivement la structure des compétences", estime l'IGF dans un second rapport, portant sur la masse salariale et les achats et charges externes des collectivités territoriales. Réalisée elle aussi dans le cadre de la revue des dépenses, cette étude vient également d'être publiée sur le site de l'inspection. Les frais de personnels (75 milliards d'euros en 2022) et les achats et charges externes (51 milliards d'euros) des collectivités et de leurs groupements représentent 60% des dépenses de fonctionnement des collectivités. C'est dire l'enjeu considérable de ces sujets. Un objectif de 10% d’économies en matière d'achat public local "semble pouvoir être poursuivi à moyen terme". Pour l'atteindre, il faudrait que les collectivités appliquent mieux les bonnes pratiques de la commande publique, selon l'IGF. Les fonctionnaires de l'Etat recommandent pour l'essentiel d'améliorer la connaissance des dépenses de masse salariale et d’achats, par l'ouverture et le partage de données avec les collectivités locales. |