Transformation numérique de l'État : la Dinum doit clarifier son assise et affirmer sa légitimité, selon la Cour des comptes

Difficulté à se structurer face à des stratégies changeantes, revirements stratégiques, gestion complexe des financements et des RH… depuis sa mise en place en 2019, les résultats de la direction interministérielle du numérique (Dinum) "restent contrastés et il lui manque encore, cinq ans plus tard, l'assise et la légitimité nécessaires", estime la Cour des comptes qui publie un rapport sur son pilotage de la transformation numérique de l'État.

Depuis sa mise en place en 2019, la direction interministérielle du numérique (Dinum), attachée administrativement au secrétariat général du gouvernement et placée sous l'autorité du ministère de la Transformation et de la Fonction publiques en 2020, est responsable de la conception et de la mise en œuvre de la stratégie numérique de l'État. Le 10 juillet 2024, elle a fait l'objet d'un rapport de la Cour des comptes, intitulé "Pilotage de la transformation numérique de l'État par la direction interministérielle du numérique". Rapport dans lequel les Sages de la rue de Cambon rappellent que la Dimum assure quatre missions "socle" : 
- l'ouverture des données publiques ;
- la conception et la gestion du réseau interministériel de l'État ;
- l'innovation numérique au sein des administrations ;
- l'expertise et la sécurisation des grands projets numériques.

Les résultats de la Dinum restent "contrastés", estime la Cour des comptes dans les observations définitives qu'elle publie mercredi 10 juillet 2024. Il lui manque encore, cinq ans plus tard, l'assise et la légitimité nécessaires pour, notamment, "s'imposer pleinement en matière de sécurisation des grands projets numériques". 

Fréquents revirements stratégiques

Côté constats, la Cour des comptes se montre relativement critique, évoquant la difficulté pour la Dinum "à se structurer face à des stratégies changeantes". Elle en veut notamment pour preuve l'instabilité organisationnelle du pilotage du numérique de l'État depuis la création de la Dinsic (direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État) et d'Etalab en 2011, dont la tutelle n'a cessé d'évoluer, passant des services du Premier ministre au SGMAP (secrétariat général pour la modernisation de l'action publique) - prédécesseur de la DITP (direction interministérielle de la transformation publique) - au ministère chargé du numérique, avant de revenir dans le giron de Matignon. Le lecteur chevronné nous pardonnera cette avalanche de sigles. 

À cette instabilité s'ajoute les "fréquents revirements stratégiques" de l'État en matière de transformation numérique "caractérisée par de nombreuses évolutions, parfois radicales et souvent dépendantes de la personnalité et du parcours professionnel du directeur", chaque renouvellement ayant entraîné depuis 2015 "une nouvelle stratégie" voire "une nouvelle méthodologie de travail" : mise en œuvre d'un État plateforme, centré sur l'ouverture de la donnée et le déploiement des start-up d'État (2015-2018), puis l'époque "Tech.gouv" avec "une stratégie éclatée selon une organisation 'matricielle' arrêtée prématurément sans véritable évaluation" (2019-2022) et, depuis le printemps 2023, "une nouvelle feuille de route sans bilan préalable des stratégies précédentes", qu'il incombe à la nouvelle Dinum, Stéphanie Schaer, de mettre en œuvre. 

"Gestion complexe" des financements et des RH

Signe de l'importance prise par les enjeux numériques au sein de l'administration, le budget de la Dinum a été multiplié par cinq entre 2019 et 2022, avant de retomber à 79 millions d'euros d'autorisations d'engagement (AE) et 138 millions d'euros de crédits de paiement (CP) en 2023 en raison de la fin de l'exécution du plan de relance. "Cette croissance budgétaire a engendré une gestion complexe des financements qui a compliqué l'affectation et la gestion des moyens", estime la Cour des comptes. 
Elle relève par ailleurs une "gestion des ressources humaines de la Dinum complexe, avec une augmentation continue des effectifs mais des vagues de départs liées à des désaccords stratégiques" alors que "la construction d'une filière des ressources humaines du numérique est essentielle dans ce contexte". 

Ouverture des données publiques : peut mieux faire 

Parmi les autres constats critiques, la Cour des comptes estime que, les résultats du socle historique des missions de la Dinum étant "contrastés", la "vigilance" reste de mise. La Cour note par exemple que les objectifs en matière d'ouverture de la donnée publique de la Dinum sont "mieux remplis mais encore insatisfaisants dans la promotion des logiciels libres". Et dans ce domaine, les collectivités territoriales peinent toujours à se soumettre aux obligations légales en matière d'ouverture des données. D'après l'observatoire Open data des territoires, à la fin de l'année 2022, seules 16 % des collectivités territoriales respectaient leur obligation d'ouverture au titre de la "loi pour une République numérique", représentant 1.062 acteurs territoriaux. "Si ce nombre a été multiplié par dix depuis 2016, il reste encore très insuffisant", rappelle le rapport des Sages. 

Plusieurs difficultés autour de "GouvTech"

En matière de logiciel libre, la Cour rappelle la création du "socle interministériel de logiciels libres" (Sill) à la suite de la circulaire de septembre 2012 relative aux logiciels libres, dans le but de référencer toutes les solutions en "open source" que les administrations pourraient utiliser. Mais elle note que la création de "GouvTech", le 1er janvier 2024, a posé plusieurs difficultés : "il a fait doublon avec une partie du Sill" et "a été développé par des équipes du programme 'TECH.GOUV' sans coordination avec les agents chargés de ce sujet au sein d'Etalab". "Malgré un important référencement des codes-sources proposés par l'administration, la promotion des logiciels libres semble encore balbutiante, plus de onze ans après la circulaire dédiée", conclut la Cour.  

Pour finir, le rapport formule neuf recommandations articulées autour de trois grandes orientations : "clarifier l'assise de la Dinum comme pilote et animatrice des différentes communautés numériques de l'État", "clarifier les moyens de la Dinum pour gagner en efficacité au bénéfice de la stratégie de transformation numérique de l'État" et "accroître la qualité et la vigilance dans l'exercice de ses missions historiques par la Dinum".