Territoires d'industrie : des sénateurs proposent de pérenniser le dispositif avec un financement dédié et une vraie stratégie

Un bilan local positif mais un bilan global en demi-teinte. Dans un rapport d'information sur les Territoires d'industrie publié le 19 décembre, des sénateurs pointent les manques de financement, le besoin de stratégie et plaident pour un plus grand recours aux dérogations.

Après la Cour des comptes (voir notre article du 22 novembre 2024), c'est au tour du Sénat de s'intéresser aux Territoires d'industrie. Et la conclusion du rapport sur le sujet, publié le 19 décembre 2024, qui s'est intéressé à trois territoires en particulier (Albert-Amiens-Somme, Grand Chalon-Saône-et-Loire, Vallée de la Maurienne en Savoie) est à peu de chose près la même, à savoir un bilan en demi-teinte. "Le bilan local est plutôt positif, le bilan global est quant à lui mitigé", explique à Localtis Rémi Cardon, rapporteur, sénateur socialiste, écologiste et républicain de la Somme. Parmi les points positifs de ce dispositif lancé en 2018, qui comptabilise aujourd'hui, dans sa deuxième phase (2023-2027) 183 territoires labellisés, rassemblant 630 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) : une logique ascendante d'élaboration de projets et un pilotage assuré par un binôme élu local et industriel qui permettent le développement d'une dynamique coopérative entre tous les acteurs, publics et privés, et l'animation des chefs de projets nommés dès la première phase. "Cela marche bien quand les projets viennent des territoires et qu'ils ne sont pas imposés", assure Martine Berthet, rapporteure, sénatrice Les Républicains de la Savoie.

Pas d'évaluation et pas de moyens financiers dédiés

Mais la mise en œuvre du dispositif reste toutefois hétérogène dans les territoires, observent les sénateurs "d'autant que la première liste des Territoires d'industrie avait été désignée sans concertation avec les industriels et élus locaux". Les régions n'ont pas été associées par l'Etat au lancement du programme, alors qu'elles sont cheffes de file en matière de développement économique, et les chambres de commerce et d'industrie (CCI) sont peu impliquées.

Autre point faible : l'absence d'évaluation et le manque de moyens financiers dédiés. Le programme bénéficie d'un faible budget (quelques millions d'euros) pour le financement des chefs de projets et de l'ingénierie. Les territoires sont aussi destinataires, comme les autres, des mesures de soutien à l'activité économique déployées durant la crise Covid et dans le cadre du plan France 2030. Et 100 millions d'euros par an d'ici 2027 déployés dans le cadre du fonds vert opéré par l'Ademe avaient été budgétés. Mais le fonds vert a subi de lourdes restrictions en 2024 (30% sur les enveloppes régionalisées, et l'annulation des crédits réservés au niveau national). Le montant est réduit à 63 millions d'euros… Par ailleurs, "il est très difficile de savoir combien l'Etat a réellement mis dans le dispositif, détaille Rémi Cardon, lors des auditions on n'avait pas les mêmes versions sur les dépenses (par qui, comment, pourquoi) selon les interlocuteurs… Ce n'est pas forcément très clair !"

Le programme devrait être pérennisé

"Très peu coûteux, pour les finances publiques, le programme devrait être pérennisé et doté d'une ligne de financement pluriannuelle sécurisée", affirme le rapport, qui avance d'autres propositions pour améliorer le dispositif. Il s'agirait notamment d'aller au-delà du seul aspect foncier, sur lequel s'est recentré le programme lors du passage à la phase 2. "L'attractivité industrielle doit être pensée comme un tout", insiste le rapport, en incluant l'offre de logements abordables pour les salariés et les apprentis, le développement de solutions de mobilité pour l'accès aux lieux de production, et le soutien au développement des compétences industrielles. Sur ce dernier point, les sénateurs, relevant les aspects très positifs des écoles de production qui permettent à des jeunes décrocheurs de se remettre en selle, proposent que ces élèves obtiennent les mêmes droits, y compris en matière de gratification, que les autres.

Sur le thème du foncier, facteur clé pour la réindustrialisation, constatant le manque de soutien spécifique pour les collectivités qui acquièrent, viabilisent et aménagent des zones industrielles "clé en main" et l'insuffisance des crédits de l'ex Fonds friche, ils demandent la sécurisation d'une ligne spécifiquement dédiée.

Plus globalement, les auteurs estiment qu'il manque une stratégie nationale, avec une véritable priorisation dans l'accès aux dispositifs de droit commun. "On a l'impression que l'Etat a voulu labelliser plein de territoires sans cibler ni créer une valeur à ce label, explique Rémi Cardon, labelliser c'est bien, mais accompagner financièrement et dans une démarche collective, c'est mieux !"

Les sénateurs recommandent de privilégier la constitution de filières industrielles locales, qui permettent de structurer l'écosystème et de fédérer les forces vives du tissu industriel. Enfin, les Territoires d'industrie "doivent être encouragés à se servir davantage des facultés de dérogation qui existent au niveau local pour lever les freins à la réalisation de projets industriels", estiment les rapporteurs.