Comment le Grand Chalon renaît de ses friches
Frappé il y a quelques années par la fermeture des sites Kodak et Philips, le Grand Chalon a profité de l'espace libéré pour faire labelliser deux sites clés en main et se lancer dans une politique de reconquête industrielle qui mêle foncier et compétences. En quelques années, de nombreux industriels ont jeté leur dévolu sur ce territoire de 118.000 habitants qui compte 10.000 emplois industriels. Voyage au cœur de quelques-unes de ces pépites.
De la friche Nordéon (ex-Philips), à Chalon-sur-Saône, il ne restera bientôt plus rien. Les bulldozers s'activent pour abattre les derniers murs de l'usine fermée en 2017. L'arrivée des "Leds" a sonné le glas du site spécialisé dans les néons. Le Grand Chalon qui s'est porté acquéreur en 2021 a déjà procédé à la dépollution des lieux et souhaite à présent vendre l'emprise de 7 hectares en une fois, en évitant les projets de fermes photovoltaïques ou d'entrepôts logistiques, ces derniers représentant "30 à 40% des demandes", explique Martine Granier, directrice de la mission développement économique, numérique, enseignement supérieur et emploi du Grand Chalon, à bord d'une petite navette électrique qui transporte quelques journalistes venus visiter les lieux. La friche a été retenue dans la liste des 55 sites clés en main annoncée par le gouvernement le 16 avril (voir notre article du 17 avril). C'est l'un des deux seuls sélectionnés pour toute la région, au grand dam des élus (le second se situe à Montceau-les-Mines).
"L'objectif est qu'en janvier 2025, le site soit commercialisé (…). Les candidats n'auront rien à faire si ce n'est déposer les dossiers d'ICPE [installations classées pour la protection de l'environnement] et de permis de construire", souligne le président du Grand Chalon, Sébastien Martin. "On a su faire d'une épreuve un atout", se félicite l'élu propulsé à la tête de l'agglomération de 118.000 habitants en 2014. Immédiatement, il a manifesté la volonté de réindustrialiser ce territoire marqué par la fermeture de Kodak en 2005 laissant derrière elle 200 hectares de friches à quelques encablures de là, sur la zone industrielle Saône Or. Et de se lancer dans une politique de sites "clés en main" avant l'heure. "On a souhaité faire de ce choc une vraie opportunité en réaffirmant le positionnement industriel de ce territoire", explique l'élu. A l'époque, le plan d'aménagement de la zone prévoyait l'installation de deux plateformes logistiques "XXL" et quelques petites parcelles pour les PME. Il a fallu tout reprendre à zéro. "On a pris le virage un an après notre arrivée, convaincus que créer des emplois avec de la valeur ajoutée passait nécessairement par l'ADN industriel de ce territoire."
"Nous avons gagné un an"
Depuis, la zone Saône Or a été labellisée avec la première génération de "sites clé en main" en juillet 2020 (voir notre article du 21 juillet 2020). Basée à Rezé, près de Nantes (Loire-Atlantique), la Société générale des techniques (SGT) spécialisée dans la plasturgie a été la première à s'installer sur place, en intégrant à son activité une unité de recyclage de bouteilles de plastique (SGR). L'usine (la septième de cette PME qui est également présente en Algérie) fabrique des "préformes" plastiques calibrées en fonction des exigences de ses clients (les grandes marques d'eau minérale ou de sodas) qui les récupèrent et les transforment dans leurs moules spécifiques pour obtenir les bouteilles que l'on retrouve dans les rayons. "Nous produisons 3 à 4 millions d'euros de préformes par jour, en 2024, on devrait dépasser le milliard de préformes à Chalon", se félicite, sous le bruit des presses à injection, le directeur du site Maxime Durand, arrivé il y a moins d'un an. "L'accompagnement lié au site clé en main nous a fait gagner un an", assure-t-il.
Alors que le plastique a mauvaise presse, le marché du recyclage, lui, est porteur. D'autant qu'un décret du 11 décembre 2021 pris en application de la loi Agec du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire prévoit qu'à partir du 1er janvier 2025, toutes les bouteilles devront incorporer au moins 25% de plastique recyclé (et 30% en 2030). "Cette obligation va permettre de lisser le marché grâce à des volumes beaucoup plus importants", explique Fabien Tabart, chef de produit à la SGT-SGR. D'ailleurs, le site de Rezé devrait suivre le mouvement et se doter d'une deuxième unité de recyclage. Arrivé de Nantes, le jeune cadre ne regrette pas son choix. "Je suis à 3 minutes de mon lieu de travail et peux vivre dans l'équivalent d'une maison à la campagne, j'ai gagné en qualité de vie", confie-t-il.
Diversité industrielle
Le Grand Chalon s'était positionnée pour acquérir 110 hectares de la friche Kodak. Elle a réalisé pour 200.000 euros d'études (diagnostic archéologique, études faune-flore 4 saisons, dossier loi sur l'eau) que les industriels n'auront pas à mener. "C'est un coût financier pour la collectivité (…) mais après, quel bonheur pour les entreprises", s'enthousiasme Martine Granier. La zone a été réaménagée (ouverture du site pour les circulations, création d'une station multicarburants, coulée verte de 20 ha, raccordements aux standards industriels…). L'inauguration d'un "demi-échangeur" (dans le sens Lyon-Paris) à quelques kilomètres de là, sur l'A6, permet un accès rapide au réseau autoroutier.
Depuis, les candidatures affluent. La seule exception à la règle que s'est fixé l'agglomération : un logisticien "local", Alainé, est aussi présent sur le site. "Il en faut de la logistique mais ce n'est pas la même chose de transporter des produits locaux que des produits Made in China", justifie Sébastien Martin. Les autres nouveaux venus présentent une grande diversité. "Un territoire qui n'est pas monoindustriel a plus de chance de résister aux chocs", insiste le président du Grand Chalon. Rikksen, spécialisé dans les garde-corps et l'étanchéité de toiture, s'apprête à inaugurer une usine "4.0" adossée à un entrepôt, des bureaux, un bureau d'étude... Près de 6.500 m2 où seront employés 23 salariés au départ et 50 à terme. La toiture sera couverte de panneaux photovoltaïques afin de rendre le site autonome en énergie. A côté, l'espagnol Vicky Foods, fabricant spécialisé dans la viennoiserie et la boulangerie industrielles disposera de près de 23.000 m2 avec 80 salariés, 120 en fin de première phase et 250 à terme, sur des profils très variés : électromécaniciens, conducteurs de ligne, caristes, préparateurs de commandes… Le groupe compte approvisionner le marché français et les marchés voisins tels que l'Italie du Nord, la Suisse, l'Allemagne et le Benelux. Récemment, le groupe français Atlantic a annoncé la création d'une usine de pompes à chaleur de 19 ha qui créera 300 emplois d'ici 2027 : logisticiens, soudeurs, agents de fabrication, conducteurs de machines automatisées, etc. Enfin, l'entreprise lyonnaise Iten a choisi d'ouvrir une nouvelle usine sur la friche pour produire des micro-batteries lithium-ion. Des centaines d'emplois pourraient être créés.
Parmi les pépites locales : Aérométal, une PME de 20 salariés spécialisée dans le recyclage et la valorisation des métaux critiques comme le nickel ou le cobalt, issus des rebuts de l'industrie. Basée à Gergy, quelques kilomètres au nord de Chalon, elle va pouvoir s'étendre sur la zone avec six emplois à pourvoir en 2025. "On travaille avec tous types d'industrie, l'aéronautique, le médical avec les prothèses, le spatial… On récupère les déchets métalliques pour les refondre. C'est un enjeu de souveraineté nationale. Notre seule mine, c'est le recyclage", plaide sa dirigeante Clarisse Maillet, qui copilote avec Sébastien Martin, le Territoire d'industrie local.
Une "Usinerie"
Au fil des ans s'est recréé un véritable tissu industriel dans ce territoire qui comprend quelque 10.000 emplois dans ce domaine et où le taux de chômage est passé sous la barre des 6,5%. "Six usines sont en train de sortir de terre et on a eu zéro recours (...) ça veut dire qu'il y a une acceptation de la population", constate Sébastien Martin, qui oppose sa région aux territoires qui "ne veulent plus d'industrie" comme la Bretagne. La filière nucléaire, avec Framatome, y est également bien représentée. En comptant les sous-traitants, elle représente la moitié des emplois industriels de l'agglomération. Le groupe a d'ailleurs récemment annoncé l'agrandissement de son usine d'assemblage des cuves de réacteurs à Saint-Marcel, avec 27.000 m2 supplémentaires, afin d'accélérer les cadences et répondre à la demande française et internationale. 500 emplois y sont attendus.
Mais les acteurs locaux, industriels et élus, insistent sur l'importance des compétences pour réussir cette réindustrialisation. "La crise de 2008 a accéléré la désindustrialisation. Sont partis ceux qui pouvaient partir. Les cadres, les ingénieurs (…). Il faut tendre vers un rééquilibrage sociologique", martèle Sébastien Martin. Pour répondre à ces besoins, une "Usinerie" a été créée sur les bords de la Saône, face au site de formation de Framatome, dans une ancienne sucrerie. Ce pôle d'innovation et de digitalisation pour l'industrie du futur a été inauguré en 2022, en partenariat avec le Cnam régional, l'UIMM71 et l'Ensam. Il s'agit d'"accompagner les entreprises locales vers l'industrie 4.0 en proposant des formations continues et professionnelles jusqu'à Bac+5", explique sa directrice Laurence Rosselin. L'Usinerie offre aussi des services aux entreprises tels qu'un "live lab", une imprimante 3D...
Le Grand Chalon a l'ambition de passer de 2.500 à 3.000 étudiants d'ici à 2030. "La difficulté des villes moyennes comme la nôtre, c'est qu'on n'a pas de campus, on a un enjeu à travailler sur la vie étudiante, c'est-à-dire proposer tout ce qu'un étudiant est en droit d'attendre dans une ville étudiante", estime Sébastien Martin. La communauté d'agglomération a aussi lancé une étude pour "corréler les perspectives de création d'emploi avec les besoins de logement". "Il n'y a pas d'urgence mais il faut anticiper."