En Bourgogne-Franche-Comté, les élus croient en leur avenir industriel

La région Bourgogne-France-Comté et les intercommunalités ont accordé leurs violons en matière de réindustrialisation, mercredi 15 mai, dans le cadre d'une déclaration commune, la deuxième du genre après celle signée dans les Hauts-de-France fin décembre. L'occasion aussi pour les élus d'adresser quelques messages au gouvernement, notamment sur la sélection des "sites clés en main" qui a fait peu de cas des projets régionaux, alors que la région fait valoir son "ADN industriel".

Loin des ors de Versailles où se tenait en début de semaine le septième sommet "Choose France" (voir notre article du 14 mai), l'association Intercommunalités de France creuse le sillon de la "réindustrialisation". Son président, Sébastien Martin, était à Dole (Jura), mercredi 15 mai, pour signer avec la présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté, Marie-Guite Dufay, une déclaration commune pour la "réindustrialisation des territoires". Il s'agit de la deuxième du genre, après celle signée dans les Hauts-de-France avec Xavier Bertrand à Béthune, le 18 décembre (voir notre article). Une troisième devrait avoir lieu au mois de juin en Occitanie, avec Carole Delga.

L'accord signé à Dole en présence de nombreux élus et chefs d'entreprises porte sur une "nouvelle méthode de travail" qui vise à "mettre en œuvre concrètement la politique industrielle régionale, au plus près du terrain et des besoins des industriels". "La réindustrialisation, tout le monde à ce mot à la bouche, mais les actes ne sont pas si nombreux", a déclaré à cette occasion Marie-Guite Dufay, défendant ardemment son territoire présenté comme la première région en termes d'emplois industriels en France. "On a conservé malgré toutes les vagues sinistres de désindustrialisation un ADN industriel très fort." "Un chef d'entreprise qui cherche les compétences, le savoir-faire, l'ingénierie… il sait qu'il les trouvera ici", a-t-elle ajouté, citant l'ouverture de plusieurs gigafactories : l'électrolyseur de Mc Phy à Belfort, les microbatteries d'Iten à Chalon-sur-Saône, les réservoirs à hydrogène de Forvia à Bavans…

Mais cette convention a aussi été l'occasion pour les élus d'adresser quelques messages bien sentis aux "élites parisiennes". "Il y a un concept qui circule encore beaucoup dans la tête de nos élites, c'est que l'innovation, c'est Paris. L'innovation, c'est ici", a affirmé Marie-Guite Dufay. Et de se féliciter que la French Tech Bourgogne-Franche-Comté se soit récemment vu décerner le titre de capitale de la French Tech pour 2024. Mais selon elle, les flux financiers sont trop concentrés sur Paris...

Communication "très maladroite"

Pour Marie-Guite Dufay, ce qui fait le sel de cet ADN régional, c'est la "capacité à coopérer". Sébastien Martin a rappelé à cet égard que dès 2018, Intercommunalités de France avait lancé l'idée d'un pacte productif auprès de l'État qui s'est incarné par la suite dans les Territoires d'industrie reposant sur un partenariat intercommunalité, région et chef d'entreprises. Mais l'État ne montre pas toujours l'exemple. La communication gouvernementale autour de la labellisation des sites clés en main France 2030 (voir notre article du 17 avril) a été "très maladroite", juge-t-il, "parce qu'elle donne l'impression qu'en France il n'y a que 55 sites". Le président du Grand Chalon ne cache pas son amertume, élu d'une région qui n'a eu que deux sites retenus sur dix dossiers déposés (à Chalon-sur-Saône et à Montceau-les-Mines). La sélection s'est focalisée "sur les friches", a-t-il regretté, alors que bien d'autres sites cochaient "toutes les cases". Or, à l'approche du sommet Choose France, c'était selon lui un mauvais signal envoyé aux investisseurs. Et Sébastien Martin de rappeler que la Banque des Territoires et le Cerema ont lancé une cartographie des sites prêts à accueillir des industriels. 

À l'annonce de ces résultats, "nous avons été très étonné, notre sang n'a fait qu'un tour", a abondé Marie-Guite Dufay, qui s'en est immédiatement ouverte auprès du préfet. Le sujet n'est pas clos. Le jour de la signature, mercredi, celui-ci lui aurait fait part de "bonnes nouvelles" à venir… 

L'accès au foncier industriel constitue avec les compétences l'une des deux grandes priorités de ce partenariat dans lequel région et intercommunalités font valoir leur complémentarité : "La région décide des aides économiques, coordonne les politiques de mobilités, planifie l’aménagement du territoire, déploie une politique de formation professionnelle et d’orientation" alors que "l’intercommunalité soutient l’immobilier d’entreprise, organise les services de mobilités, planifie l’urbanisme et intervient dans l’animation locale de l’économie". Une répartition qui repose sur le "principe de subsidiarité".

Ramener les jeunes vers les métiers de l'industrie

Concrètement, la région s'engage à associer les intercommunalités dans un "dialogue inter-territorial régulier" et à les faire participer à l'élaboration de ses choix stratégiques en matière industrielle. Dans la perspective du zéro artificialisation nette (ZAN) à horizon 2050, "la bonne participation des intercommunalités à l’élaboration du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité territoriale (Sraddet), et la territorialisation de ses objectifs paraissent essentiels", mentionne le document. Marie-Guite Dufay en a profité pour demander un élargissement de la liste des 424 projets d'envergure nationale ou européenne retenue par l'État dans le cadre du ZAN en ajoutant six projets régionaux : un centre de stockage et traitement des déchets dangereux, un site clé en main France 2030, l'aménagement de la RN19, la création d'une usine de production de pièces pour un centre de recherche de Framatome au Creusot, la fabrications de composants destinés aux futurs générateurs de  la start-up industrielle Jimmy sur le site de Coriolis (gare TGV du Creusot), la décarbonation de l'aciérie Arcelor au Breuil… Pour rappel, ces projets d'envergure nationale ou européenne seront retranchés de la consommation d’espace imputable aux collectivités pour la période 2021-2031 (voir notre article du 11 avril).

En matière de formation, la déclaration s'attache en particulier au développement des filières spécifiques à la Bourgogne-Franche-Comté, le nucléaire et l’automobile, qui "nécessitent un effort et une coordination sans précédent afin de faire émerger de nouvelles compétences permettant l’éclosion de ces activités industrielles très spécifiques". Fervent défenseur de l'idée "d'académies industrielles" (voir notre article du 18 avril 2023), Sébastien Martin a plaidé pour sa paroisse, tout en invitant les universités à réinvestir le champ de l'industrie après s'être tournées vers la tertiarisation. Mais "après trente ans de désindustrialisation" il ne va pas être facile d'amener les jeunes vers les métiers de l'industrie, a-t-il prévenu. "L'orientation des jeunes vers les métiers de l'industrie" est un "sujet très important" a appuyé Marie-Guite Dufay. Mais c'est la condition pour que le renouveau industriel "ne soit pas qu'un sujet d'incantation".

"Il faudra plusieurs décennies"

Cette déclaration commune a le mérite d'être en adéquation avec les besoins des entreprises exprimés dans une étude sur l'industrie et les territoires publiée le même jour par Bpifrance, qui estime que le rééquilibrage de la balance commerciale en produits manufacturiers implique de faire passer la part de l'industrie dans le PIB de 9,7% à 12% d'ici à 2035. Ce qui suppose de gagner "233 milliards de valeur ajoutée manufacturière", "d'accélérer fortement la production industrielle" et "d'anticiper la création de 600.000 à 800.000 emplois salariés supplémentaires". Un marche "haute" mais "atteignable". Pour cette étude "inédite par son ampleur", la Banque publique d'investissement a interrogé 2.800 chefs d'entreprises et 5.000 Français de décembre 2023 à mars 2024. Il en ressort que la pénurie de main-d'oeuvre locale est considérée par les chefs d'entreprises comme le premier frein local à leurs projets (frein très fort et plutôt fort pour 82% des répondants), devant la raréfaction du foncier (57% des répondants) et le manque d’infrastructures adaptées (35%). Un quart des répondants considère aussi la faible qualité du dialogue avec les élus comme un handicap, au même niveau que l'acceptabilité sociale. En matière de foncier toujours, l'étude montre qu'à rebours des idées reçues, les industriels cherchent surtout du "petit foncier" de moins de 2 hectares. Les PME privilégient "l’expansion de proximité" quand les ETI ont des besoins plus importants, entre 5 et 10 hectares.

"Ainsi, les territoires pourvus en foncier et en talents sont particulièrement prisés", souligne Bpifrance. L'étude montre aussi que l'objectif de réindustrialisation est largement partagé par les Français : 82% y sont favorables et 83% estiment que l’industrie française est "une fierté pour les territoires". "Seulement, l’industrie ne pourra plus choisir son territoire comme avant", estiment les auteurs de l'étude. "La sobriété foncière qu’impose l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN), l’impératif d’une gestion plus sobre de l’eau, la pénurie des compétences bouleversent le rapport de l’industrie aux territoires. Il est désormais urgent d’apprécier le facteur local, longtemps évoqué mais peu analysé."

Sébastien Martin a, à cet égard, soulevé la question de "l'acceptabilité sociale" de la réindustrialisation. "Les personnes qui sont prêtes à venir travailler dans une usine pourraient bien demain être les premiers adversaires de l'implantation d'une usine à côté", a-t-il dit. "Je ne veux pas que notre région devienne la Bretagne où on ne peut plus installer une usine car la sociologie a évolué. (…) La Bourgogne-France-Comté a un avenir industriel énorme." Mais "il faudra plusieurs décennies pour rattraper ce qui s'est passé" en France où 2 millions d'emplois industriels ont été détruits.

 

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