Tempête Alex : une mission flash tire les premiers enseignements de la reconstruction
Identifier les bonnes pratiques transposables à d’autres territoires frappés par une catastrophe similaire, tel est l’objectif poursuivi par une mission flash sur le bilan des mesures de reconstruction dans les trois vallées des Alpes-Maritimes dévastées par la tempête Alex d'octobre 2020 et dont les travaux ont été présentés ce 14 juin. Culture du risque, méthodes de reconstruction, utilisation de démarches simplifiées et des procédures d’urgences, sont autant de leçons à dupliquer pour faire face aux événements climatiques extrêmes.
La mission flash de l'Assemblée nationale conduite par Alexandra Masson (RN, Alpes-Maritimes) et Philippe Pradal (Horizons, Alpes-Maritimes) pour opérer un bilan des mesures de reconstruction et de réaménagement après la tempête Alex d’octobre 2020, qui a dévasté les vallées de la Vésubie, de la Basse Tinée et de la Roya dans les Alpes-Maritimes, a remis ses conclusions ce 14 juin. Au-delà du constat de la réactivité des pouvoirs publics et des collectivités territoriales lors de la phase d’urgence, ces travaux visent "à identifier ce qui serait transposable si une autre partie du territoire était frappée par une catastrophe similaire, en raison du dérèglement climatique".
L’aspect le plus marquant est "la rupture des communications (…) dépourvues de tout téléphone satellitaire, les mairies sont dans l’incapacité de prévenir la préfecture de la situation dans les vallées", relève Philippe Pradal. La mission en tire un premier enseignement : la nécessité de doter les préfectures et les communes isolées, par leur géographie ou leur desserte, de téléphones satellitaires. L’apport de certains équipements et de technologies (hélicoptères, drones…) "sans lesquels les secours d’urgence et le rétablissement de l’électricité n’auraient pu être aussi rapides" est globalement souligné.
Autre conséquence des intempéries : la rupture de la majeure parties des voies de communication terrestre et des ouvrages d’art. L’expérience de la tempête Alex pourrait donc "inviter les préfectures des zones montagneuses à établir une liste des voies de communication secondaires mobilisables (sentiers pédestres, chemins militaires...) en cas de catastrophe", préconise également le rapporteur.
À situation exceptionnelle, dispositif exceptionnel
Avec 10 morts, 8 disparus et environ un milliard d'euros de dommages, la tempête Alex a mobilisé un dispositif exceptionnel. La "culture du risque" des collectivités territoriales du département des Alpes-Maritimes a néanmoins "permis de sauvegarder des vies et de réagir rapidement", constate la mission. La clef de l’engagement de l’Etat a reposé sur un préfet délégué à la reconstruction, pour rétablir les services publics essentiels et accompagner les territoires sinistrés, notamment les petites communes dépourvues d’expertises techniques et juridiques, sur tous les volets de la reconstruction. Et de son côté l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) a appuyé la mise en place d'une "dynamique territoriale" plus large que de simples reconstructions.
La phase d’urgence avec un cadre juridique dérogatoire aux dispositions du code de la commande publique ou du code de l’environnement a duré environ quinze mois (d’octobre 2020 jusqu’au 31 décembre 2021) avant "un retour à des modes d’actions de droit commun". Plus de 200 opérations de rétablissement des infrastructures et de sécurisation des biens ont ainsi été assurées, "grâce à des dossiers simplifiés". Les marchés à bons de commande se sont également révélés un outil pratique, qui a "bien fonctionné". Leur mécanisme a facilité les travaux d’urgence, du déblaiement au rétablissement de l’électricité et de l’eau notamment, et les premières reconstitutions du réseau routier. Des marchés sous la procédure d’urgence impérieuse - déjà utilisée à la suite de la tempête Xynthia de 2009 - ont par ailleurs été souscrits en relai pour une large partie des travaux, en particulier pour la reconstruction de stations d’épuration. La tempête Alex a ainsi démontré "la pertinence" de disposer de procédures d’urgence, "qui ont permis de conduire rapidement des travaux portant sur le comblement de 200 brèches, la remise en service de huit ponts en moins de trois mois, 50 km d’ancrage ou 23.000 m3 de murs de soutènement etc.", relève Alexandra Masson. Plus de 80% du réseau et des ouvrages ont été réparés, mais il reste encore certains chantiers comme celui du tunnel routier de Tende. Et la restauration complète des stations d'épuration ne sera pas achevée, pour certaines, avant 2025.
Ne pas reconstruire à l’identique
S’agissant de l'indemnisation, la mission salue la mobilisation du fonds Barnier à une hauteur de 120 millions d’euros pour 420 bâtiments, une proportion jamais atteinte pour une catastrophe dans l’hexagone. Des crédits qui ont financé des mesures d’indemnisation des biens détruits ainsi que des délocalisations d’habitations situées en zone de danger. Le choix de réaménager les vallées en tenant compte des cours d’eau, a parfois conduit à l’abandon inévitable d’habitations en front de fleuve, pour prévenir les conséquences de crues futures. Et de même à rebâtir les infrastructures aux nouvelles normes, ce qui a généré "un coût supplémentaire", souligne la mission, qui appelle "à ne pas se fonder sur une logique par trop comptable en de telles circonstances et plutôt considérer qu’il s’agit d’une véritable politique d’aménagement du territoire".
Quant aux collectivités territoriales, qui ne sont pas assujetties à la TVA, elles ont reçu une compensation au titre du fonds de compensation de la TVA, estimée à 100 millions d’euros.
Un système assurantiel en tension
Le dispositif assurantiel a quant à lui fonctionné "avec les difficultés inhérentes à ce type de situation et à la complexité de certains dossiers". D’après la fédération professionnelle France Assureurs, 96% des 13.620 dossiers de sinistres recensés avait été totalement ou partiellement réglés en août 2022, avec toutefois "encore de fortes divergences sur certains dossiers d’indemnisation entre les collectivités territoriales, les assurés et les compagnies d’assurance". La mission relève ainsi des conflits entre collectivités et compagnies d’assurance, comme à Breil-sur-Roya - la commune qui a subi les plus gros dégâts sur ses biens assurés - pour chiffrer les dommages en raison de divergences sur le fait générateur. France Assureurs et le préfet délégué chargé de la reconstruction avaient rapidement convenu après la catastrophe de la mise en place d’une cellule d’accompagnement spécifique. Une structure analogue a d’ailleurs été utilisée depuis après des évènements climatiques, comme dans l’Aisne en 2021 ou dans l’Indre en 2022.
Pour l’instant, les compagnies "font face à leurs obligations, mais il faut rappeler qu’elles reposent sur l’augmentation des primes d’assurance", insistent les rapporteurs, tout en alertant sur une facture climatique qui "s’alourdit années après années, 2022 ayant constitué une année record, avec 10,6 milliards d’euros d’indemnisation". La multiplication et l’aggravation des aléas climatiques rendraient utile, selon eux, d'élargir la réflexion, y compris sur le montant des indemnisations en cas de catastrophe naturelle. En application du droit des assurances, les compagnies ne peuvent actuellement indemniser leurs assurés au-delà de la valeur du bien avant une catastrophe, le contraire étant considéré comme un enrichissement sans cause. "Or, les réparations ou reconstructions d’équipements publics afin de les rendre plus résilients peuvent avoir pour effet d’augmenter leur valeur et il peut en être de même pour des habitations faisant l’objet du dispositif 'Mieux construire après inondation' (Mirapi)", expliquent-ils entre autres.