Le télétravail pourrait accentuer les inégalités territoriales

Loin de détendre le marché immobilier des métropoles, l’essor du télétravail s’accompagne d’une pression accrue sur certains marchés de la location et de l’accession à la propriété. Il pourrait même expliquer la perte d’attractivité de certains territoires périurbains ayant misé sur l’immobilier tertiaire, selon une étude conjointe de France Stratégie et de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable.

Depuis la crise sanitaire, le télétravail s’est durablement installé dans les habitudes : en 2023, 19% des salariés ont travaillé à distance au moins un jour par semaine, contre seulement 4,2% en 2019. Une révolution dont les impacts territoriaux sont auscultés pour la première fois par France Stratégie et l’IGEDD (Inspection générale de l’environnement et du développement durable), dans une note d’analyse publiée jeudi 14 novembre. 

Le télétravail a-t-il eu un effet sur les choix de lieu de résidence en accentuant les départs hors des centres urbains ? Ce ressenti peine à être confirmé sur le plan statistique. "L’exode urbain n’a pas eu lieu", résume l’une des autrices de l’étude, Brigitte Baccaïni, lors d’un point presse. En réalité, le télétravail a conforté une tendance déjà identifiée avant la crise de mobilités résidentielles vers des villes plus petites et des couronnes péri-urbaines de plus en plus éloignées liées au désir d’un autre mode de vie mais aussi à la cherté du logement et du foncier. Par ailleurs, des actifs déjà éloignés de leur lieu de travail se sont emparés du travail à distance à la faveur de la souplesse accrue permise par les entreprises. 

Hausse de la pression dans les zones centrales ou touristiques

Ainsi, "l’hypothèse selon laquelle le télétravail viendrait détendre le marché immobilier des métropoles à la faveur du déménagement de télétravailleurs dans le périurbain ou les villes moyennes n’est pas vérifiée pour le moment". C’est peut-être même l’inverse ! Les entreprises réduisent leurs surfaces et réinvestissent les centres les plus attractifs, afin de favoriser le retour au bureau de leurs salariés. Visible à Paris, Lyon, Rennes et Toulouse, mais aussi dans des intercommunalités de taille moyenne comme Vitré, cette tendance induit néanmoins "un risque d’éviction du logement dans les quartiers centraux ou les mieux connectés".

Ces pressions sur les marchés de la location et de l’accession à la propriété concernent également les territoires à forte intensité touristique. Et pour cause : le télétravail soutient "l’engouement pour les résidences secondaires et pour la location en courte durée d’une partie du parc de logements", peut-on lire dans l’étude. 

Des zones tertiaires à réinventer 

Du côté de l’immobilier tertiaire, l’essor du télétravail accompagne également la perte d’attractivité de certaines zones d’activités dans les territoires périurbains. En petite couronne de la région parisienne, le taux de vacance des bureaux continue de progresser. Idem pour certains parcs d’activités de l’est de la Métropole de Lyon ainsi que les zones tertiaires périphériques des agglomérations rennaise et toulousaine qui sont aujourd’hui délaissées. A noter toutefois qu’au-delà de ces cas particuliers, il n’y a pas de mouvement plus global de déprise du marché de bureaux.

La reconversion de ces zones en logement n’est pas aisée car elle se heurte à différents freins techniques, fiscaux et économiques… A l’exception de Paris, ces transformations restent encore anecdotiques, selon la mission, et sont dans la majeure partie des cas initiées par les bailleurs sociaux. 

Quant aux tiers-lieux qui se sont fortement développés ces dernières années, ils ne sont guère utilisés par les télétravailleurs. Un constat "logique", selon Brigitte Baccaïni : d’une part parce que l’habitat résidentiel est plus grand dans ces territoires et d’autre part en raison des progrès dans la couverture internet de ces zones. 

Des opportunités en matière de développement ?

Conclusion : pour l’heure, le télétravail "peut poser de vraies questions sur l’aménagement, avec des risques de création d’inégalités", souligne lors du point presse Anne Faure, de France Stratégie. Faute de données et connaissances plus approfondies au niveau territorial, les acteurs locaux peinent encore à s’emparer du sujet. Le télétravail, jamais cité dans les documents d’urbanisme, relève encore d’un "angle mort" des politiques publiques. 

La transformation de ces défis en nouvelles opportunités n’est pas perdue. Selon la mission, le télétravail pourrait tout de même "jouer, sous certaines conditions, un rôle dans le rééquilibrage des territoires et l’adaptation au changement climatique", estiment les experts. Les télétravailleurs peuvent être en effet un levier de développement local s’ils recentrent leur consommation et leurs loisirs à proximité de leur logement. Un atout qui viendrait s’ajouter à celui de la baisse des émissions des gaz à effet de serre, mais à condition d’adapter, en conséquence, l’offre de transport urbain. 

Une baisse des déplacements domicile-travail mais des trajets plus longs

Le télétravail entraîne mécaniquement une baisse de la fréquence des trajets domicile-travail mais les télétravailleurs se distinguent aussi par le fait qu'ils résident plus loin de leur lieu de travail et parcourent donc des distances plus longues lorsqu'ils s'y rendent (28 km en moyenne contre 14 km pour les autres actifs). Or, les déplacements les plus longs sont le plus souvent effectués en voiture, pointent France Stratégie et l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) dans leur note d'analyse et leur rapport conjoints sur "Les impacts territoriaux du télétravail : angle mort des politiques publiques ?" publiés ce 14 novembre. En revanche, les jours de télétravail, les déplacements de ceux qui le pratiquent s'effectuent dans un rayon réduit autour du domicile et davantage par le recours à des modes doux, marche en tête. 63% des déplacements des télétravailleurs sont alors réalisés en voiture contre 71% un jour de travail au bureau. Les auteurs de la note d'analyse citent le Cerema qui a estimé que si 10% des actifs étaient en télétravail un jour donné, on pourrait s'attendre à une baisse de 5% des kilomètres parcourus en voiture.

En région parisienne, le télétravail n'a pas diminué le trafic routier, mais il a conduit à réduire la fréquentation des transports en commun en particulier certains jours de la semaine (lundi, mercredi et vendredi). En revanche, il a peu d'effet sur les heures de pointe du mardi et du jeudi. A la RATP, le trafic a globalement baissé entre octobre 2019 et octobre 2023 et près de la moitié de cette baisse s'expliquerait par le développement du télétravail. Des tendances similaires sont observées dans d'autres grandes métropoles comme Lyon, la circulation automobile baissant en revanche à Rennes ou Toulouse, sans que cette diminution puisse être directement imputée au télétravail. 

La fréquentation des TER a, elle, fortement augmenté (21% entre 2019 et 2023) bien que cette hausse ne puisse être attribuée au seul télétravail, 70% des usagers de ces trains n'ayant pas d'emploi télétravaillable ou ne travaillant pas. D'autres facteurs expliquent le surplus de voyageurs (élévation du prix du carburant, montée des préoccupations écologiques, politiques tarifaires et d'adaptation des offres). Sur les lignes ferroviaires longue distance (TGV et Intercités), les déplacements professionnels n'ont pas encore retrouvé leur niveau d'avant 2019, "probablement en lien avec une baisse de la mobilité subie grâce notamment au développement des visioconférences", observent les experts de France Stratégie et de l'IGEDD. Anne Lenormand/Localtis