Le télétravail réinterroge le modèle urbain
Selon deux experts interrogés le 1er avril par la délégation à la prospective du Sénat, le télétravail accélère la désaffection vis-à-vis des quartiers d'affaires onéreux. Si le travail à distance permet de s'installer plus loin de son lieu de travail en périphérie, ils contestent le scénario d'un exode massif.
Le télétravail sera-t-il une opportunité pour redynamiser les villes moyennes ? De quelle manière réinterrogera-t-il les politiques d'aménagement du territoire ? Jeudi 1er avril, la délégation à la prospective du Sénat s'est penchée sur ces questions complexes soulevées par la généralisation inédite du travail à distance.
Déclin des quartiers d'affaire
S'il est difficile de se projeter sur ce que sera l'ampleur du télétravail après la crise, plusieurs évolutions ne font guère de doute selon les deux experts interrogés par les sénateurs. "Les quartiers d'affaires ont vraiment du plomb dans l'aile, notamment dans les zones tertiaires les plus onéreuses", estime Morgan Poulizac, conseiller scientifique de Futuribles International. Dans certaines villes comme Londres ou Tokyo, "on voit qu'il y a un désintérêt progressif des fonds d'investissement sur les grandes surfaces de bureaux tertiaires", signale-t-il.
La Fédération nationale des agences d'urbanisme prévoit aussi le déclin de certains quartiers d'affaires. Outre la tendance au rétrécissement des espaces de bureaux qui s'accélère, "il y a une vraie question sur le devenir des espaces situés en deuxième ou troisième rideau urbain, qui sont déconnectés ou mal connectés, avec un déficit de mixité qui était déjà reconnu depuis longtemps mais qui est devenu une évidence", précise sa déléguée générale, Brigitte Bariol-Mathais. De ce fait, "on va aller vers un enjeu de reconquête des quartiers d'affaires pour les reconstruire en quartiers mixtes", estime-t-elle.
Pas d'exode massif vers les villes moyennes
Quels territoires sortiront gagnants ? Si la tentation de quitter les grandes villes s'exprime de plus en plus, celles-ci ne sont pas près de se vider. Les départs concernent soit les cadres qui ont la possibilité de télétravailler, soit les familles en quête de surfaces supplémentaires, pour qui vivre en métropole est devenu trop onéreux. "L'attractivité des métropoles restera extrêmement forte. On ne sortira pas du syndrome londonien, c'est-à-dire que les jeunes générations sont toujours prêtes à investir plus de 50% de leurs revenus pour habiter à proximité de toutes les aménités urbaines", selon Morgan Poulizac.
"Nous sommes convaincus qu'il n'y aura pas d'exode massif vers des espaces moins denses, mais plutôt des structurations de systèmes efficaces entre métropoles et centralités moyennes qui seront les armatures de ces nouveaux modes de travail", prévoit Brigitte Bariol-Mathais. "Il y a un intérêt pour les villes moyennes, mais à condition qu'elles soient extrêmement connectées à la ville centre", confirme Morgan Poulizac.
Une nouvelle donne à intégrer
Pour ce dernier, les villes vont devoir apprendre à penser autrement leurs espaces. "Le télétravail nous amène à penser la ville non pas comme la mise en tension d'un lieu de résidence et d‘un lieu de production mais à penser la ville campus : l'espace de travail, c'est la ville entière. Donc ça veut dire sans doute penser de nouveaux espaces qui s'exonèrent de la définition traditionnelle du bureau", détaille-t-il.
"On assiste à un enjeu d'hybridation des espaces de logement et de travail avec la nécessité d'avoir des logements beaucoup plus évolutifs, plus vastes" remarque aussi Brigitte Bariol-Mathais. Il faudrait que les logements puissent prévoir soit une pièce supplémentaire dédiée, soit un lieu mutualisé "à l'échelle d'un immeuble ou d'un ilot". Reste à trouver le bon modèle. De telles expériences, déjà menées dans le passé par des bailleurs ou des promoteurs immobiliers, "avaient moyennement fonctionné", souligne-t-elle.