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Logement - Surenchère de chiffres sur la lutte contre le mal-logement

La question du mal-logement fait, depuis plusieurs années, l'objet de querelles de chiffres entre les pouvoirs publics et les associations. Déjà, après le lancement du "chantier national prioritaire 2008-2012 pour le logement des personnes défavorisées" par le Premier ministre, en janvier 2008, gouvernement et associations avaient chacun mis en place leur propre baromètre. Les premières vagues de ces baromètres n'ont pas manqué de donner des résultats totalement antagonistes, le premier concluant à un large engagement - sinon à un quasi-achèvement - des mesures du plan, tandis que le seconde affirmait que seul un nombre infime de mesures était en phase d'engagement. Pour ne rien simplifier, les pouvoirs publics et les associations ne raisonnaient pas sur le même document de départ (voir nos articles ci-contre du 5 mars 2009 et du 26 septembre 2008).
Cette querelle de chiffres vient de franchir une nouvelle étape à l'occasion de l'édition 2009 de la "Nuit solidaire pour le logement", organisée, le 27 novembre, par un collectif de 31 associations spécialisées. Dans les messages des associations, on trouve ainsi de nombreuses données contradictoires ou peu cohérentes. L'Association des cités du Secours catholique cite ainsi le chiffre de 3,5 millions de personnes mal logées, mais la Fondation Abbé Pierre évoque pour sa part une notion beaucoup plus large, avec "10 millions de personnes [qui] souffrent du logement en France", soit un habitant sur six. Certes, ces chiffres recouvrent parfois des périmètres différents, mais cette cacophonie - alors même que les associations se retrouvent au sein du collectif - nuit à la lisibilité du discours associatif. Au sein même de chaque sous-ensemble, les chiffres avancés ne coïncident d'ailleurs pas avec ceux de l'Insee. Par exemple, la Fondation Abbé Pierre compte 4,5 millions de personnes vivant en situation de surpeuplement du logement, quand l'Insee en dénombre 1,7 million. De même, la Fondation estime à près d'un million le nombre de personnes hébergées en situation précaire (habitat de fortune, sous-location, camping, hôtel) - auxquelles elle ajoute 820.000 personnes hébergées chez des tiers faute de logement -, alors que l'Insee chiffre à 700.000 les personnes en précarité d'occupation. Seul le nombre de personnes effectivement sans domicile semble faire consensus au sein des associations comme chez les pouvoirs publics, autour de 100.000 personnes.
Si le gouvernement a l'avantage de parler d'une seule voix, il n'échappe pas pour autant à la surenchère. Soucieux de ne pas laisser le champ libre au discours des associations, le ministère du Logement a ainsi publié, le 27 novembre, un communiqué dont le titre ne laisse pas de surprendre : "36 milliards d'euros pour l'hébergement et l'accès au logement des personnes sans abri". Pour mémoire, on rappellera que le montant des crédits de paiement des trois programmes dédiés au logement au sein de la mission "Ville et logement" dans le projet de loi de finances pour 2010 (prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables, aide à l'accès au logement et développement et amélioration de l'offre de logement) s'élèvent à 6,66 milliards d'euros... De même, le chantier national prioritaire 2008-2012 pour le logement des personnes défavorisées a été doté, pour l'année 2008, d'une enveloppe de 250 millions d'euros... Des chiffres sans rapport avec les 36 milliards avancés par le communiqué du ministère, même si cette somme correspond aux exercices 2009 et 2010 (soit 18 milliards pour chaque exercice). Le communiqué ne fournit pas la décomposition de ces 36 milliards, mais il est évident qu'elle englobe les dépenses concernant le logement social, voire les dispositifs fiscaux en faveur du développement de l'offre locative privée et ceux pour l'accession à la propriété. Certes, permettre à un locataire en HLM dont les revenus augmentent d'accéder à un logement du parc locatif privé ou de devenir propriétaire libère un logement HLM, qui peut à son tour libérer un logement très social ou d'insertion, qui peut à son tour permettre à une personne sans logement d'accéder à un hébergement stable, qui libère ainsi une place en hébergement d'urgence. Mais placer toutes ces étapes - et les financements qui les accompagnent - sous le chapeau de "l'hébergement et l'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées" peut sembler un peu simplificateur.
Toujours pour mémoire, on rappellera que l'une des 46 mesures du grand chantier national consistait à donner aux préfets des instructions pour qu'ils élaborent un diagnostic partagé des besoins dans chaque département. Bien que cette mesure soit classée comme réalisée dans le baromètre du gouvernement (les instructions ont bien été données), on peut douter qu'elle ait déjà produit son plein effet...

 

Jean-Noël Escudié / PCA