Stéphane Chatenet (Andiiss) : "Il faut trouver des solutions tous ensemble pour les piscines publiques"

Président de l'Andiiss Bretagne (Association nationale des directeurs et des intervenants d'installations et des services des sports) et référent "piscines" de l'association jusqu'en décembre 2023, Stéphane Chatenet vient de publier, avec Yves Rouleau, une tribune sur la situation des piscines publiques. Pour Localtis, il revient sur les enjeux actuels dans ce domaine.

Localtis - À l'hiver 2022/2023, en pleine crise énergétique, on a commencé à parler de fermetures de piscines. Comment les équipements publics se portent-ils deux ans plus tard ?

Stéphane Chatenet - Les piscines sont pour beaucoup en grande difficulté, en particulier financière. Leurs structures ont été déséquilibrées par la crise énergétique. On est, à l'orée de 2025, à l'approche de la relance d'une grande partie des marchés énergétiques. Je pense qu'on aura un peu plus de visibilité dans le courant de l'année. 

A-t-on un bilan du nombre de fermetures de piscines depuis deux ans ?

On a une situation assez complexe. C'est une information locale qui n'est pas forcément relayée par tous les médias. L'information est sporadique, on apprend que certaines piscines ferment définitivement, d'autres pour une période, par exemple en janvier, février et mars, pour pouvoir offrir une eau chauffée, des choses comme ça...

Selon le rapport annuel de l'Agence nationale du sport, 70.000 enfants ont bénéficié du dispositif "J'apprends à nager" en 2023, contre 100.000 en 2017, année de son lancement. Comment expliquez-vous cette baisse ?

Ces dispositifs nationaux sont complexes à appréhender. Nous l'avons installé chez nous en 2022/2023 puis nous sommes passés à autre chose en raison des difficultés économiques. Ce mode d'apprentissage est intéressant pour appréhender le milieu aquatique de manière active, il reprend des idées considérées comme excellentes depuis longtemps mais nécessite des ruptures organisationnelles parfois difficiles à maintenir quand on n'a pas le flux de personnel nécessaire. 

Justement, où en est-on de la crise des recrutements de maîtres-nageurs sauveteurs (MNS) ? La possibilité offerte depuis 2023 aux titulaires du BNSSA (brevet national de sécurité et de sauvetage aquatique) de surveiller les bassins en autonomie porte-t-elle ses fruits ?

Le métier de MNS et le métier de surveillant-sauveteur devraient aujourd'hui diverger. C'est une nouveauté qui constitue un changement de paradigme dans nos piscines. Il faut laisser vivre les choses avant de pouvoir réellement réorienter les fonctions de maître-nageur et celles de sauveteur et, peut-être, de les différencier davantage. Aujourd'hui, les MNS s'interrogent sur leur métier. Il faudra quelques évolutions sur les fonctions d'enseignement et d'encadrement, vers une responsabilité plus engagée, pour que ce métier retrouve une attractivité. Selon les régions, cela reste difficile de trouver des MNS. La présence de BNSSA permet à plus d'équipements d'être ouverts plus régulièrement. Mais on ne peut pas être BNSSA toute sa vie, il faut que les collectivités aient une volonté de formation. On est au début d'un changement, d'une vraie rupture.

Dans la tribune que vous venez de publier, vous parlez de la piscine comme d'un véritable service public. Alors pourquoi en attendre une forme de rentabilité qu'on ne demande ni aux écoles ni aux hôpitaux ?

Je suis d'accord, mais je ne suis pas à la place des élus qui gèrent des budgets avec d'extrêmes tensions. Il faut aussi continuer à chauffer les écoles, les hôpitaux, etc. Il y a des priorités. La piscine en est-elle une ? C'est la question qui est posée au niveau national. Il faut trouver des solutions pour que le modèle économique change. Aujourd'hui, les collectivités sont interrogées sur la notion de service public même, elles sont mises en concurrence dans beaucoup de domaines. Le secteur privé intervient dans des domaines où le service public n'est plus en capacité de répondre. Il y a aujourd'hui 10% de délégations de service public (DSP) dans les piscines.

Vous évoquez aussi le manque d'ingénierie des collectivités. Quelles compétences nouvelles les collectivités devraient-elles posséder en matière de piscines ?

Dans la piscine des années 1970, on n'avait regardé ni le côté énergétique ni le côté dépenses, puisque, justement, on avait intégré que c'était un service public. Ayant travaillé dans ces piscines, je peux vous dire que les conditions thermiques, de renouvellement d'air et de confort étaient différentes. Aujourd'hui, c'est très complexe. Si on veut une piscine qui fonctionne correctement et un confort pour tous les publics, on fait appel à des solutions technologiques et il faut des gens qui connaissent cela parfaitement. On a des contrôles d'accès de plus en plus sophistiqués, des réservations en ligne, il faut là aussi du personnel extrêmement bien formé. Les bureaux d'études font du très bon travail mais les élus ne sont pas forcément formés, ils n'ont pas forcément les clés pour faire des choix. Il faut aussi des perspectives, pouvoir évoluer en permanence, et le système des marchés publics fige parfois ces éléments. 

Vous parlez d'un rapport de forces défavorable, en particulier pour de petites collectivités, dans le cadre des DSP. L'accompagnement d'une société privée ne peut-il pas être bénéfique ?

C'est toujours au détriment de la fiscalité. On paie des impôts pour financer la part de service public que fournit la DSP. Il y a toujours un problème de reste-à-charge pour la collectivité, et cela peut parfois être exorbitant. Dans notre tribune, nous demandons une dynamique de rupture au niveau national pour fournir des éléments décisionnels plus complets, plus affinés sur des détails intelligibles pour un élu qui prend ses fonctions. Sinon, quand vous avez construit une piscine et que vous n'avez pas les résultats que vous aviez projetés, que le prix de l'énergie grimpe, que vous ne pouvez pas faire évoluer l'équipement, comment faites-vous si cela n'a pas été prévu dès le lancement du projet ? Sur certaines piscines, on a tellement serré les coûts d'investissement afin de créer une marge pour le constructeur qu'on ne peut pas installer de panneaux solaires sur le toit. C'est dommage !

Vous plaidez pour un référentiel technique national pour les piscines. L'Andes (Association nationale des élus en charge du sport) et EDF ont publié un guide complet début 2021. Est-il déjà dépassé ?

Oui, il est un peu dépassé. Il y a eu depuis le choc énergétique, tout simplement. Tant que le kilowatt est à 11 centimes, tout va bien. Mais ce n'est pas la même donne quand il est à 26 ou 30 centimes. Et des règles ont évolué. On n'a plus les mêmes obligations de vidanges, grâce à l'Andes, d'ailleurs. C'est tellement complexe qu'on peut être confrontés à des situations différentes entre des piscines situées à Rennes et d'autres sur le littoral, des piscines situées dans des secteurs paupérisés et des piscines situées dans des villes plus riches. Chaque piscine est particulière. Un référentiel donnerait des éléments comptables, financiers précis et évolutifs, mis à jour en permanence.

Vous préconisez un droit plus souple et un allègement des contraintes pour les piscines. Quelles normes visez-vous ?

Il y a encore des contraintes sur les débits de filtration, les puissances d'éclairage. Il y a des tas d'éléments qui permettent d'avoir un peu de marges pour faire des économies, mais aussi pour pouvoir continuer à assurer le service public des piscines. Il faut aller vers des obligations de résultat. Là, on est dans une obligation de moyens. Quand on a un projet de piscine, on réalise des investissements pour des débits minimum de bassin, ce qui consomme énormément d'électricité, idem pour les débits d'air. Ce sont des règles qui datent des années 1980. Il y a peut-être des choses à faire évoluer, il y a de nouveaux types de filtration, avec la perlite, le sable de verre, etc. C'est aussi pour cela qu'il faut un référentiel technique national, une mise en commun des compétences et des connaissances. Il faut mettre ces normes à plat collectivement. Pour le déconfinement des piscines après le Covid-19, on a travaillé tous ensemble. Puis on a travaillé ensemble pour les états généraux de la surveillance des piscines, puis à nouveau sur la crise énergétique. On est sur le même bateau, il faut trouver des solutions tous ensemble.