Piscines publiques : des services publics à conforter
Cet été encore, plusieurs collectivités sont contraintes de fermer ou de restreindre l'accès à leurs piscines pour cause de facture énergétique qui flambe, de pénurie de maîtres-nageurs, de sobriété dans la consommation d'eau, de vétusté des équipements… Pourtant les 4.000 piscines publiques devraient, au contraire, être des services publics à conforter, estime le think tank Sens du service public dans une note publiée en juillet.
C'est souvent à l'heure où le thermomètre grimpe que les piscines sont plébiscitées. Et pourtant cet été encore, nombreuses sont celles qui n'ont pas pu ouvrir. On imagine la double peine pour ceux qui n'ont déjà pas la chance de pouvoir prendre le large : privés de vacances et de rafraîchissement. La piscine publique, porte d'accès au bien-être, à la détente, à la convivialité, aux loisirs, au sport… évaporée alors qu'elle devrait être justement le "service public à conforter". C'est la thèse que défend le think tank le Sens du service public dans sa récente note "Piscines publiques, attention aux fermetures", publiée en juillet 2023 (à télécharger ci-dessous).
"Pour éviter l'essor des piscines individuelles, des piscines hors-sol écologiquement peu soutenables ou de complexes nautiques privés gourmands en eau et aux prix d'entrée excessifs", le think tank considère qu’il faut "renouer avec une grande ambition nationale en matière d'accès à des lieux de baignade et de rafraîchissement, comme cela fut le cas par exemple dans les années 1960". Et si les Jeux olympiques Paris 2024 offraient "l'occasion de promouvoir cette dynamique collective à l'échelle du pays et des territoires" ? suggèrent les auteurs.
La natation a le vent en poupe
Pour la plupart construites dans la deuxième moitié du 20e siècle et gérées par des collectivités locales, les plus de 4.000 piscines publiques constituent un service public très prisé des usagers. Car la natation est l'une des premières activités sportives et de loisirs des Françaises et des Français. Et ce, avant même que le Français Léon Marchand n'explose le record du monde du 400 mètres quatre nages lors des championnats du monde, ce qui va sans doute susciter encore plus de nouvelles vocations à la rentrée. Plus prosaïquement, les piscines publiques sont apparues comme le deuxième équipement public le plus fréquenté par les femmes vivant en zones rurales, après les bibliothèques et les médiathèques dans le cadre d'une autre récente enquête du Sens du service public (voir notre article du 21 juillet 2023).
Le Sens du service public assigne aussi d'autres objectifs aux piscines publiques. Si l'on pense volontiers à la santé publique liée à la pratique d'une activité physique, la piscine publique est aussi le lieu de l'apprentissage de la natation, alors que le fléau des noyades reste encore la première cause de décès par accident de la vie courant chez les moins de 25 ans. Raison pour laquelle les politiques publiques en faveur de l'aisance aquatique et du savoir nager n'ont eu de cesse d'être régulièrement confortées (voir notre article du 22 juin 2023).
Le Sens du service public mentionne une autre fonction, moins évidente et pourtant non moins ancestrale. "Parce qu'elle est un lieu très normé et réglementé mais aussi généralement très abordable financièrement et culturellement, la piscine publique est un lieu d'apprentissage de règles de vie en collectivité, de vivre ensemble et de brassage social", rappelle le think tank.
Moins de piscines dans les QPV
Malgré son succès et tous ces avantages, le maillage du territoire national en équipements aquatiques reste encore inégal, "avec une présence plus faible dans certains territoires, tels que le péri-urbain ou les quartiers politique de la ville (QPV)", relèvent les auteurs. Dans son rapport public de 2018, la Cour des comptes, citée dans la note, indique que le taux d’équipement par habitant est inférieur de plus de 40% à la moyenne nationale dans les communes disposant d’un QPV.
L'accessibilité ne se limite pas à la proximité géographique. Les horaires d’ouverture, le prix ou encore l'habitude de fréquenter ce type de lieu déterminent la possibilité pour les usagers de se rendre dans une piscine. Au final, très souvent, cet équipement sur-sollicité doit proposer des horaires d'ouverture extra-larges pour satisfaire écoles, grand public, nageurs sportifs, bébés-nageurs, aquabike, aquagym, clubs... Ce grand puzzle étant régulièrement chamboulé, selon que l'on est en période scolaire, de petites ou grandes vacances, par des fermetures ponctuelles pour cause de compétition, de vidange annuelle obligatoire, de problèmes techniques plus ou moins récurrents, voire de crise sanitaire.
L'accessibilité passe aussi par "l'épineuse question du recrutement et de la pénurie des maîtres-nageurs sauveteurs (MNS)". Pour combler le manque de 5.000 MNS en France, le Sens du service public estime incontournable de traiter la question de leur formation longue et coûteuse, de stopper la baisse tendancielle du nombre de CRS sur les plages (plus de 700 en 2002 contre à peine plus de 300 actuellement) et de réviser les règles d'accès. En juin 2023, le ministère des Sports a publié un décret pour mettre sur un pied d'égalité les titulaires du brevet national de sécurité et de sauvetage aquatique et les MMS pour la surveillance des baignades pour lutter contre la pénurie de personnel (voir notre article du 5 juin 2023).
70% des piscines publiques construites avant 1995
Rappelons qu'en France, 70% des piscines publiques ont été construites avant 1995 et consomment beaucoup d’énergie. D'après l'Ademe, citée dans la note, "une piscine peut représenter environ 10% de la consommation énergétique totale d’une commune", "15% pour une commune de plus de 50.000 habitants et jusqu’à 30% - 40% de la consommation énergétique pour les groupements à fiscalité propre". L'un des principaux postes de dépense énergétique résidant dans le traitement de l’air et le chauffage de l’eau. Ainsi, les difficultés pour les piscines publiques n'ont pas attendu l'été pour émerger. On se souvient de l'épisode Vert Marine, durant lequel la société délégataire de service public avait annoncé unilatéralement la fermeture d'une trentaine de piscines pour cause de flambée du coût de l'énergie (voir notre article du 8 septembre 2022). Depuis, les collectivités ont expérimenté différentes stratégies - réduire les horaires, baisser la température des bassins - pour passer la vague (voir notre article du 5 septembre 2022).
Pistes pour l'avenir
Mais ces solutions n'ont été que des pansements ponctuels. Pour se projeter dans l'avenir, le think tank liste plusieurs pistes. Il évoque tout d'abord "la nécessité de convertir le parc existant pour disposer de piscines plus écologiques en adaptant les pratiques à la nécessaire sobriété" (optimisation des vidanges, optimisation de la filtration, baisse des températures de l’eau et de l’air, travail sur les créneaux d’ouverture…). Il préconise aussi de "miser sur la modularité des équipements" (bassins extérieurs, piscines avec fond amovible pour réduire la profondeur des lignes de nage et donc le volume d'eau à chauffer…). Il ajoute qu'il faudrait "mobiliser les énergies renouvelables pour tendre vers des bâtiments à énergie positive" (panneaux solaires, géothermie…) et "optimiser les flux et les fluides" (chauffer l'eau par le réseau de chaleur de la ville, gestion intelligente des flux, isolation des tuyaux de traitement de l'eau, récupération des calories des eaux perdues, récupération de l’eau pour la propreté urbaine…).
Vers une approche intercommunale
Autant de pistes qui donneront aux piscines publiques "une stratégie nationale ambitieuse". Le think tank plaide pour "démarche volontariste et planificatrice" qui "devra nécessairement poser la question de l’implantation des équipements, de la tarification mais aussi de l’offre de services proposée". Il préconise de s'appuyer sur une "approche intercommunale à l’échelle de bassins de vie pour mutualiser les moyens et les équipements, mais aussi organiser le transport vers les lieux de pratique".
Enfin, en complément des piscines publiques, le Sens du service public suggère que "la réflexion englobe la reconquête des fleuves et des rivières, avec en filigrane l’enjeu d'améliorer la qualité des eaux de surface et d’accélérer les travaux d’assainissement". Dans un pays qui compte 137 fleuves, plus de 500 rivières, ce ne sont pas les possibilités qui manquent. Ce souhait, les Parisiens l'ont déjà vu exaucé avec l'ouverture du bassin de la Villette et trouveront, après les Jeux olympiques 2024 encore plus de points de baignade à compter de 2025.