Statut des sapeurs-pompiers volontaires : les départements demandent de la "souplesse"
Une récente décision du tribunal administratif de Strasbourg, assimilant les volontaires du Sdis de la Moselle à des "travailleurs", jette le trouble chez les départements. Principaux financeurs des Sdis, ces derniers estiment que cette décision relève d'un cas d'espèce et "ne saurait entraîner de conséquences globales sur le volontariat". Selon eux, "les besoins des différents territoires doivent s'apprécier localement et ne sauraient être convenablement pris en compte par une réglementation nationale trop rigide".
"Il ne faut pas faire d’une décision juridique locale, une vérité nationale", avertit Christophe Guilloteau, président du département du Rhône, dans un communiqué de Départements de France du 7 juin, faisant suite à une récente décision du tribunal administratif de Strasbourg qui jette une fois de plus le trouble sur le statut des sapeurs-pompiers volontaires. Saisi par la CFDT Interco Moselle, le juge a en effet considéré, le 24 mai, que le Sdis avait implicitement rejeté la demande du syndicat de fixer une limite maximale d'heure effectuées par les sapeurs-pompiers volontaires, méconnaissant ainsi les dispositions de l'article L. 723-8 du code de la sécurité intérieure. En conséquence, il a enjoint le Sdis de déterminer ce nombre maximal d'heures de gardes "dans le délai de trois mois" à compter du jugement.
Pour les syndicats, c'est bien la preuve que les sapeurs-pompiers volontaires doivent être reconnus comme des "travailleurs". "Il n’était plus acceptable que les abus de certains Sdis n’entraînent pas cette reconnaissance", se félicite la CFDT Interco. Sachant que 80% des 250.000 sapeurs-pompiers en France sont volontaires, une telle jurisprudence pourrait faire trembler tout l'édifice financier de la sécurité civile en France. "Si la priorité absolue sera toujours la protection de nos volontaires et leur sécurité, il est impératif de conserver la souplesse de notre modèle pour faire face notamment aux enjeux exceptionnels auxquels nous sommes de plus en plus confrontés, tels que les mégafeux", s'inquiète Christophe Guilloteau, alors que les départements sont les principaux financeurs des Sdis.
Relation de subordination
Dans son rendu, le tribunal s'appuie sur la jurisprudence "Matzak" selon laquelle la Cour de justice de l'Union européenne a précisé, en 2018, que devait être considérée comme "travailleur" toute personne "qui exerce des activités réelles et effectives, à l'exclusion d'activités tellement réduites qu'elles se présentent comme purement marginales et accessoires". Les sapeurs-pompiers volontaires, qui perçoivent notamment des indemnités horaires, se trouvent pendant leurs gardes "dans une relation de subordination à l'égard de la hiérarchie de leur Sdis", ce qui en fait des "travailleurs" au sens de la directive du 4 novembre 2003 sur le temps de travail, "dont le délai de transposition est expiré, et relèvent, par voie de conséquence, de son champ d'application", argue le tribunal.
Mais pour Départements de France, cette décision "ne peut avoir de portée générale". "Les besoins des différents territoires doivent s'apprécier localement et ne sauraient être convenablement pris en compte par une réglementation nationale trop rigide", insiste l'association. D'autant que dans une précédente affaire, le tribunal administratif de Lyon avait rejeté, en 2020, la demande de volontaires visant à ce que leurs gardes soient rémunérées au même titre que le temps de travail des professionnels (voir notre article du 2 mars 2020). Jugement confirmé en février dernier par la cour d'appel de Lyon.
Cette décision "ne saurait entraîner de conséquences globales"
C'est aussi le message que la Commission – qui se refuse à légiférer à nouveau – entend faire passer. "Chaque cas d'espèce doit être examiné en fonction de ses caractéristiques propres. Il incombe en particulier aux tribunaux nationaux de se prononcer sur ce point, dans chaque cas particulier dont ils sont saisis", avait-elle indiqué au ministère de l'Intérieur qui l'avait saisie à l'automne 2020. "L'arrêt de la Cour de justice [Matzak] n'implique aucunement que tout sapeur-pompier volontaire doive automatiquement être considéré comme un 'travailleur' au sens de la directive 2003/88/CE" sur le temps de travail, avait-elle souligné, dans ce courrier cité par Départements de France.
La décision du tribunal de Strasbourg "ne saurait entraîner de conséquences globales sur le volontariat, pilier du modèle français de sécurité civile", en conclut donc Christophe Guilloteau, par ailleurs président du Conseil national des sapeurs-pompiers volontaires.
L'affaire souligne en tout cas le besoin d'une consolidation juridique. Le sujet était bien au programme de la "mission Falco" sur la modernisation de la sécurité civile, dont les conclusions tardent à venir (voir notre article du 17 novembre 2023), sans doute pour des raisons qui relèvent plus des cantines que de la sécurité civile.