Sapeurs-pompiers volontaires : le TA de Lyon offre une bouffée d'oxygène
Le tribunal administratif de Lyon vient de juger que le régime des sapeurs-pompiers volontaires est conforme au principe d'égalité. Plus encore, il juge qu'il ne méconnaît pas en l'espèce la directive de 2003 relative au temps de travail, repoussant – pour l'heure ? – la menace de l'arrêt Matzak. Une éclaircie bienvenue d'autant que la Commission vient d'indiquer qu'elle n'entend pas proposer de directive spécifique aux volontaires des services de protection et de sécurité civiles.
À l'appui du célèbre arrêt Matzak de la Cour de justice de l'Union européenne, trois sapeurs-pompiers volontaires (dont un également professionnel) demandaient notamment que les gardes et astreintes qu'ils avaient effectuées dans ce cadre soient rémunérées comme le temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels, considérant illégale la non-rémunération de ces heures en raison de la discrimination qu'elle introduit avec ces derniers. Le tribunal administratif de Lyon rejette leurs demandes.
Le régime des sapeurs-pompiers volontaires est conforme au principe d'égalité…
Dans sa décision du 27 février 2020, le tribunal a d'abord jugé que la législation relative aux sapeurs-pompiers volontaires – "qui vise à répondre aux contraintes de continuité propres aux missions des services d'incendie et de secours et à la variété des situations dans lesquelles ceux-ci sont amenés à intervenir" – n'est contraire ni au principe d'égalité devant la loi ou devant les charges publiques énoncé par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ni au principe d'égalité de traitement ou de non-discrimination énoncé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (pas plus qu'aux stipulations de la convention n° 100 de l'Organisation internationale du travail ou du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, celles de la Charte sociale européenne n'étant en outre pas invocables en l'espèce).
Le tribunal relève en effet que les sapeurs-pompiers professionnels, qui occupent un emploi public et exercent leurs missions à titre d'activité professionnelle principale, et les sapeurs-pompiers volontaires, "y compris lorsqu'ils sont amenés à assurer un remplacement par la conclusion d'un engagement contractuel", qui concourent au service public bénévolement et à titre accessoire, sont placés dans des situations différentes justifiant que le législateur les traite différemment. La solution est on ne peut plus classique.
… et ne méconnaît pas la directive Aménagement du temps de travail
Inédite était en revanche la question de la conformité du même régime à la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, au cœur de la jurisprudence Matzak. Le tribunal la règle en deux temps.
- Qui dit travail ne dit pas rémunération. D'abord, si, logiquement, il ne conteste pas que "les périodes au cours desquelles les sapeurs-pompiers doivent, même s'ils sont à domicile, se tenir en permanence prêts à intervenir" sont à considérer comme du "temps de travail" (comme l'a récemment jugé le Conseil d'État - v. notre article), le tribunal estime que "cette circonstance ne saurait […] fonder la prétention du requérant à être rémunéré".
S'appuyant sur la décision Matzak (3e question, pts 49 et 50), il rappelle que la directive de 2003 "ne règle pas la question de la rémunération des travailleurs […] de sorte que les États membres ne sont pas contraints de fixer la rémunération en fonction des notions de "temps de travail" et de "période de repos" de cette directive (cette dernière ne connait que ces deux notions, la seconde n'étant définie que négativement par rapport à la première, comme "toute période qui n'est pas du temps de travail"). Le tribunal précise ainsi que la directive n'empêche pas, "pour l'établissement de cette rémunération, de tenir compte des périodes d'inaction". - Qui dit "sapeur-pompier volontaire" dit "volontaire". Ensuite, après avoir convenu que "le dépassement de la durée maximale de travail […] est susceptible de porter atteinte à la sécurité et à la santé des intéressés en ce qu'il les prive du repos auquel ils ont droit et de leur causer un préjudice", le tribunal juge "toutefois" que "l'engagement volontairement pris pour l'exercice accessoire de l'activité de sapeur-pompier doit en tout état de cause être regardé […] comme traduisant l'expression individuelle par l'intéressé de son acceptation des restrictions susceptibles d'être apportées, du fait de cet engagement volontaire, aux droits que lui confère l'article 6 de cette directive" – relatif à la durée maximale hebdomadaire de travail (dérogation prévue par l'article 22 de la directive).
Pas de directive pour les volontaires de la sécurité civile
La décision sera d'autant plus savourée par les tenants du système de sécurité civile français que la Commission a récemment éteint les espoirs d'une directive spécifique, réclamée notamment par les élus des Territoires unis (voir notre article) et du Sénat (voir notre article) et promue par le par le ministère de l'Intérieur. En réponse à une question du député européen Brice Hortefeux, le commissaire Nicolas Schmit à l'Emploi et aux droits sociaux a en effet indiqué le 30 janvier dernier qu'"à ce stade, la Commission n'a pas l'intention de présenter une proposition de directive spécifiquement consacrée aux volontaires dans les services de sécurité et de protection civile", pas plus qu'elle n'envisage de proposer une révision de la directive 2003/88/CE. Le commissaire y expliquait toutefois également que "l'arrêt [Matzak] n'implique pas que tout sapeur-pompier volontaire dans l'UE puisse être automatiquement qualifié de 'travailleur'. Il revient en premier lieu aux juridictions nationales de trancher chaque cas particulier dont elles sont saisies, en tenant compte des critères établis par la jurisprudence de la Cour, notamment concernant l'existence d'un lien de subordination et d'une rémunération du travail". CQFD
Référence : TA de Lyon, 27 février 2020, M. X et autres, n°s 1807900, 1807901 et 1808159 |