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Sociétés d'économie mixte : les petits arrangements dénoncés par la Cour des comptes

Constatant de nombreuses dérives et lacunes dans le fonctionnement des sociétés d'économie mixte, la Cour des comptes invite le gouvernement à revoir leur cadre légal.

A Levallois-Perret, le président du conseil d'administration de la Semarelp (société anonyme d’économie mixte d’aménagement, de rénovation et d’équipement de Levallois-Perret) pouvait bénéficier de 60.000 euros de "jetons de présence" par an. Les deux vice-présidents, eux, avaient droit à 24.000 euros. Dans l’Essonne, l’ancien directeur général de la Semardel (société d’économie mixte d’actions pour la revalorisation des déchets et des énergies locales) de Vert-le-Grand, percevait une rémunération de 580.000 euros, dont 300.000 euros de prime exceptionnelle... sans que les assemblées délibérantes des collectivités et de leurs groupements, pourtant actionnaires, aient eu leur mot à dire. Cette même Semardel a créé quatre filiales, une société conjointe avec un partenaire étranger, pris des participations dans une Scic. Là encore, les assemblées délibérantes n’ont pas eu voix au chapitre. Devenue holding d’un groupe d’entreprises du traitement des déchets, elle enregistre des coûts de 8,5% supérieurs aux meilleures performances enregistrées dans la région. Voilà quelques-unes des nombreuses dérives observées par les cours régionales des comptes qui, depuis 2015, ont passé au crible une cinquantaine d’entreprises publiques locales (EPL), les Sem (sociétés d’économie mixte) étant les plus répandues. Sur la base de ces retours de terrain, le premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, a adressé un référé au Premier ministre le 15 juin dernier pointant "les insuffisances du cadre juridique et comptable applicable aux entreprises publiques locales". Selon ce document d’une quinzaine de pages publié ce 27 septembre, leur cadre légal "ne paraît plus adapté au développement de ce secteur". 

Des dettes qui pèsent sur les collectivités concédantes

Rénovées en 1983, les EPL sont devenues après la décentralisation, "l’un des outils majeurs des collectivités territoriales et de leurs groupements dans l’exercice de leurs compétences et la production de services publics locaux". La gamme de ces sociétés (qui doivent obligatoirement comporter un actionnaire public local) s’est progressivement élargie : aux Sem sont venues s’ajouter, en 2006, les SPL (sociétés publiques locales) puis, en 2014, les Semop (sociétés d’économie mixtes locales à opération unique). On en comptait au total 1.243 en 2016. Or la Cour des comptes s’inquiète des risques que les EPL font peser sur les finances des collectivités. Les actionnaires "privés" de ces sociétés "sont rarement conviés à assumer financièrement les conséquences financières des difficultés rencontrées", constate la cour. Mais la situation est parfois catastrophique. Le contrôle de la Séquano Aménagement (société du département de la Seine-Saint-Denis), par exemple, a permis de montrer qu’elle détenait une dette de 47 millions d’euros, le tout sur le dos de la collectivité. De même, Montélimar Sésame Développement (Drôme) s'est avérée endettée à hauteur de 13,4 millions d’euros…
La cour s’inquiète aussi du cumul d’activités des EPL : une activité pouvant servir à couvrir les pertes d’une autre, au détriment des intérêts des usagers. Un tel mécanisme mis en place par la Semeco (société d’économie mixte pour l’étude et l’exploitation d’équipements collectifs) de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, a ainsi abouti à une surfacturation de 18 à 23% du service public de chauffage. Le droit européen exige "que l’étanchéité des conditions de financement de certaines activités puisse être assurée", rappellent les magistrats.
Par ailleurs, si les collectivités peuvent confier à leur EPL des marchés et concessions sans publicité et mise en concurrence (dans le cadre d’une relation de quasi-régie ou "in house"), elles s’exposent à un "délit de favoritisme". Enfin, la cour relève que la dispersion de l’actionnariat accroît les risques de conflits d’intérêts : "Les acteurs locaux n’ont pas encore pris la pleine mesure de ces risques en présence de cumuls des mandats notamment et de multiplicité des niveaux d’actionnariat."

Redéfinir les règles

Or dans ce contexte périlleux, les assemblées délibérantes des collectivités semblent sous-informées. Normalement, celles-ci doivent être destinataires d’un rapport dit "du mandataire" qui doit les éclairer sur la situation financière de l’entreprise. Mais "dans les faits, cette disposition est appliquée de manière très variable", constate la cour. Elle suggère, parmi six recommandations, de mettre en place "une procédure d’information au profit des assemblées délibérantes" concernant les rémunérations de toutes natures des mandataires. Et aussi de renforcer les obligations d’information des commissaires aux comptes des EPL et de leurs filiales à l’égard des préfets et des juridictions financières. Sachant que la dernière réforme territoriale a redistribué les cartes en matière de compétences et développé l’intercommunalité, elle demande de redéfinir les règles relatives à la composition de l’actionnariat public local dans ces sociétés et de préciser leur champ d’intervention.