Sobriété hydrique des sites industriels : le cadre pour l’utilisation des eaux "non-conventionnelles" est fixé
Partie intégrante du plan eau, la valorisation "des eaux non conventionnelles", notamment pour certains usages dits "domestiques", fait partie des leviers pour répondre aux tensions sur la ressource en eau. Cette utilisation pourra désormais être réalisée dans les établissements industriels, en remplacement de l'eau potable, en respectant certaines conditions bien définies par un décret et un arrêté parus ce 15 mars.

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Un décret et un arrêté parus ce 15 mars, pris en application de l’article L.1322-14 du code de la santé publique et poursuivant la mise en œuvre du plan eau lancé fin mars 2023, fixent le cadre réglementaire s’agissant du recours à des eaux impropres à la consommation humaine pour des usages domestiques au sein des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).
Plusieurs chantiers ont été menés en parallèle : un pour la réutilisation des eaux usées traitées - REUT (décret n°2023-835 du 29 août 2023 et arrêtés des 14 et 18 décembre 2023 pour les espaces verts et les usages agricoles) ; un autre relatif aux eaux réutilisées dans les entreprises du secteur alimentaire (décret n°2024-33 du 24 janvier 2024 et décret n°2024-769 du 8 juillet 2024) ; et un troisième concernant les eaux impropres à la consommation humaine (EICH).
Pour ce dernier chantier, le premier volet - décret n°2024-796 du 12 juillet 2024 et arrêté pris en application de l’article L.1322-14 du code de la santé publique - est d’ores et déjà fixé. Il ne concerne toutefois pas les ICPE, pan sur lequel une consultation publique (voir la synthèse des contributions) s’est déroulée courant juin sur un projet d’arrêté relativement similaire mais offrant plus de souplesse sur certains points.
Il a par ailleurs été décidé de scinder le décret relatif à l’utilisation d'EICH pour des usages domestiques - sur lequel une autre consultation s'était tenue du 26 décembre 2023 au 26 janvier 2024 - en deux textes distincts. Ainsi, le décret n° 2024-796 du 12 juillet 2024 ne contient que les dispositions modifiant le code de la santé publique (CSP).
Le second décret - n°2025-239 du 14 mars 2025 - comporte quant à lui des modifications des articles R.211-123 à R.211-127 du code de l’environnement afférents aux usages non domestiques des eaux usées traitées et des eaux de pluie, nécessaires afin d’assurer la cohérence avec les dispositions réglementaires insérées dans le CSP. Les rédactions introduites ne modifient pas le cadre des usages déjà possibles des eaux de pluie et des eaux usées traitées. En particulier, l’utilisation des eaux de pluie pour des usages non domestiques reste possible sans besoin d’autorisation.
Usages domestiques listés
Pour les ICPE et les installations nucléaires de base, le décret renvoie à l'arrêté les critères de qualité et les conditions techniques à satisfaire lorsque les EICH sont utilisées pour différents usages dits domestiques, qui n’étaient jusqu’alors pas permis, tels que lavage du linge, des sols intérieurs, évacuation des excreta, alimentation de fontaines décoratives, nettoyage des surfaces extérieures, arrosage des jardins potagers et des espaces verts.
Il précise par ailleurs les modalités de surveillance et les conditions techniques à respecter pour leur utilisation. Il définit enfin les éléments de procédure à suivre auprès du préfet par les industriels porteurs de projets d’utilisation de ces eaux non potables au sein d’ICPE. "En définissant ces règles, son objectif est de favoriser la sobriété hydrique des installations classées pour la protection de l'environnement par la réutilisation d'eau non potable afin de préserver la ressource en eau provenant du réseau d'alimentation en eau potable ou du milieu naturel", souligne la notice de l’arrêté. L’EICH ne peut être utilisée "que si elle n'a aucune influence sur la santé de l’usager", relève t-il. Il appartient à l’exploitant de prendre "toutes les dispositions nécessaires pour s'en assurer".
Critères de qualité en fonction des usages
Outre les usages domestiques permis, l’arrêté précise les types d’eaux non potables qui peuvent être utilisés (eaux de pluie, eaux douces, eaux des puits et des forages à usage domestique, eaux grises, eaux issues des piscines à usage collectif, mélanges de ces eaux, auxquelles sont ajoutées les eaux d'exhaure). Il fixe également les critères de qualité attendus pour l’utilisation de ces eaux, en fonction des usages domestiques mis en œuvre.
Les classes de qualités sont modifiées avec la classe A qui reste identique à celle du texte pour la réglementation hors ICPE mais qui introduit une classe de qualité +A avec un niveau d’exigence assez fort notamment pour les usages d’eaux brutes naturelles pour le lavage du linge ou encore d’eaux grises et d’eaux de vidanges de piscines pour l’alimentation des fontaines décoratives et l’alimentation de chasses d’eau. La majorité des usages d’eaux brutes naturelles n’ont pas de critères de qualité à atteindre sauf le lavage du linge. Pour les usages domestiques des "autres eaux impropres à la consommation humaine", les critères sont à déterminer dans un dossier d’utilisation transmis au préfet (qu’il peut soumettre à l’avis de l'agence régionale de santé).
Pour le réseau Amorce cela soulève plusieurs interrogations. "Une fois le dossier transmis, le porteur de projet peut-il commencer son utilisation ?", questionne-t-il. Il aurait été judicieux de donner une limite de temps aux services de l’état pour publier l’arrêté pour que les projets ne restent pas en suspens pendant plusieurs mois sans pouvoir démarrer. "Comment une harmonisation de traitement des dossiers sera-t-elle réalisée pour éviter que deux projets similaires soient traités différemment d’un département à l’autre?", s’interroge également Amorce.
Une harmonisation à encourager
Globalement, l’arrêté offre plus de souplesse que dans les autres textes encadrant les eaux non conventionnelles. Il permet également une approche "plus englobante" pour toutes les eaux, dont les eaux pluviales, ce que le réseau Amorce avait demandé et "reçoit positivement". La multiplication des textes "avec des approches différentes pour les mêmes usages/types d’eaux rend la lecture du cadre réglementaire de plus en plus complexe", déplore toutefois l’association qui rappelle "qu’il est essentiel d’aller vers une réglementation pour toutes les eaux non conventionnelles qui soit désilotée et permette le multisource et le multiusage". Amorce se félicite que les exigences de qualité soient moins fortes pour la plupart des usages, "ce qui est une bonne chose et mériterait d’être harmonisé plus largement pour tous les textes, en tout cas pour les usagers professionnels dont les collectivités qui ont la capacité de mettre en place les mesures de protection et de suivi des exigences".
Références : décret n°2025-239 du 14 mars 2025 relatif à l'utilisation d'eaux impropres à la consommation humaine pour des usages domestiques au sein des installations classées pour la protection de l'environnement et des installations nucléaires de base et modifiant les dispositions relatives à l'utilisation des eaux usées traitées et des eaux de pluie pour des usages non domestiques ; arrêté du 14 mars 2025 relatif à l'utilisation d'eaux impropres à la consommation humaine pour des usages domestiques au sein des installations classées pour la protection de l’environnement, JO du 15 mars 2025, textes n°24 et 25. |