Service public de la petite enfance : les maires demandent une compensation financière à la hauteur de l'ambition
En matière d’accueil du jeune enfant, "les nouvelles obligations imposées par la loi aux communes et intercommunalités ne sont pas financées à hauteur de leur coût réel", a alerté l’Association des maires de France ce 30 janvier. Alors que la publication de décrets d’application de la loi du 18 décembre 2023 se fait attendre, l’AMF insiste sur la nécessité pour l’État de soutenir les territoires dans leur diversité, d’informer suffisamment l’ensemble des élus sur ces nouvelles compétences et d’agir pour faciliter le recrutement de professionnels tout en préservant la qualité d’accueil.
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© Capture vidéo / Daniel Cornalba et Clotilde Robin
Le service public de la petite enfance (SPPE) est entré en vigueur au 1er janvier 2025 (voir notre article), mais les communes, désormais autorités organisatrices de l’accueil du jeune enfant, sont loin d’avoir obtenu toutes les réponses aux questions qu’elles se posent. Coprésidents du groupe de travail "petite enfance" de l’Association des maires de France (AMF), Clotilde Robin, adjointe au maire de Roanne, et Daniel Cornalba, maire de L’Étang-la-Ville, en ont rendu compte ce 30 janvier 2025 devant la presse, deux jours après avoir réuni les élus du groupe de travail.
Compensation financière : l’AMF attend davantage
Le premier sujet de préoccupation est bien entendu financier. Identification des besoins sur le territoire, planification de l’offre d’accueil, information des familles, travail sur la qualité d’accueil… "pour atteindre ces ambitions-là, il faut des moyens", met en avant Daniel Cornalba. Or, pour l’AMF, le montant de 86 millions inscrit actuellement dans les annexes du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 est largement insuffisant. "Cela ne couvrirait que 50 à 80% de la réalité du coût pour les communes", indique le maire de L’Étang-la-Ville, citant une estimation du gouvernement tout en précisant que l’AMF considère que cela correspondrait plutôt à 50% du coût et certainement pas à 80%. L’AMF s’oppose également à l’"exclusion" des villes de moins de 3.500 habitants et des intercommunalités, qui ne bénéficient pas à ce stade du dispositif de compensation. Et l’association demande également que les critères de répartition des financements prennent en compte le nombre d’enfants de moins de trois ans habitant dans chaque commune et certaines spécificités territoriales (ruralité, quartiers politique de la ville…), et non pas seulement le nombre de naissances et le potentiel financier des communes comme ce qui est prévu actuellement.
"Beaucoup de communes vont découvrir ces compétences"
Deuxième enjeu pour l’AMF : faire en sorte que les maires soient bien au fait de leurs nouvelles obligations. "Il y a encore beaucoup de communes qui vont découvrir ces compétences", alerte Clotilde Robin. L’AMF s’appuiera donc sur ses associations départementales pour diffuser l’information. "Nous prendrons notre part mais nous ne devons pas être les seuls à le faire", pointe Daniel Cornalba, appelant le gouvernement à jouer son rôle en la matière.
L’ancienne ministre de la Famille et de la Petite Enfance Agnès Canayer était volontaire pour participer à cet exercice de pédagogie, à travers le "SPPE tour" qu’elle planifiait pour cette année 2025 (voir notre article)… Mais désormais, la petite enfance n’a plus d’interlocuteur gouvernemental spécifiquement dédié. Catherine Vautrin, ministre en charge au large périmètre, devrait pouvoir s’appuyer sur un haut-commissaire ou délégué ministériel à l’enfance (voir notre article) mais ce dernier tarde à être nommé.
Et les représentants de l’AMF eux-mêmes n’ont pas encore toutes les informations en mains. Ils déplorent à la fois la lenteur du processus réglementaire et le fait de ne pas être toujours associés dans de bonnes conditions par les administrations et le gouvernement. "Les décrets arrivent au compte-gouttes et, pour certains, nous sont transmis extrêmement tardivement", regrette Daniel Cornalba.
Crise des recrutements : public, privé, "on tire dans le même camp"
Le dernier point d’alerte de l’association d’élus porte sur le "besoin urgent en termes de recrutement", puisqu’il est rappelé que 10.000 professionnels manquent aujourd’hui à l’appel pour ne serait-ce que maintenir le nombre actuel de places – de l’ordre de 60.000 berceaux seraient "gelés" du fait de cette pénurie. Sur ce sujet, la position de l’AMF relève d’un exercice d’équilibriste : il faut recruter pour maintenir et créer des places et ainsi accueillir davantage de bébés, mais sans pour autant diminuer la qualité d’accueil. L’association indique dans son communiqué "qu’elle a toujours plaidé pour le maintien des exigences de qualification des professionnels de la petite enfance et l’amélioration de leurs conditions de travail pour renforcer l’attractivité des métiers".
Sur la proposition de loi qui vient d’être adoptée sur les crèches privées (voir notre article), les coprésidents du groupe de travail ne se prononcent pas vraiment, relevant surtout l’intérêt du dernier article qui prévoit un rapport sur l’évolution des modes de financement par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) – une refonte que l’association d’élus "appelle de ses vœux" depuis longtemps.
L’AMF a par ailleurs émis un avis favorable sur le projet de décret visant à supprimer, à compter de 2026, les dérogations accordées jusqu’à présent aux microcrèches en matière de taux d’encadrement, tout en appelant à préserver financièrement les microcrèches publiques - gérées par des communes ou des intercommunalités. Pour Clotilde Robin, "l’application des nouvelles règles ne doit pas aboutir à des destructions de places".
Ce texte est fortement rejeté par quatre fédérations d’entreprises de crèches et de services à la personne (la FFEC, la Fédésap, le Remi et FESP) qui annoncent une grève dans leurs crèches le 3 février prochain, pour alerter sur ces risques de destruction de places. Ces fédérations ont également écrit massivement aux communes. Face à cette fronde, "les maires tiennent bon sur cette demande de qualité", assure Clotilde Robin. Mais ils veulent aussi préserver le secteur privé, principal pourvoyeur de nouvelles places d’accueil (voir notre article) et implanté dans un grand nombre de communes. L’AMF affirme ainsi son "attachement à la diversité des modes d’accueil" et considère que le secteur privé est tout autant concerné par l’exigence de qualité. Et, sur l’impérieuse nécessité de recruter, "on tire dans le même camp", affirme Daniel Cornalba.
Dans un communiqué du 18 janvier, le comité de filière petite enfance a appelé à une "mobilisation collective" des acteurs de la petite enfance pour "rompre ce cercle vicieux" de la crise d’attractivité du secteur. Le comité insiste en particulier sur le chantier des revalorisations salariales, "à engager sans délai" concernant les agents de la fonction publique territoriale et à envisager d’élargir aux professionnels "exerçant à domicile et dans les microcrèches Paje". Sur ce sujet, l’AMF n’a actuellement pas de visibilité sur la part des collectivités gestionnaires de crèches qui auraient déjà voté les hausses de salaires mais envisage d’interroger ces adhérents.