Jeunesse - Service civique : il va falloir mettre les moyens !
"Dans un contexte budgétaire contraint, nous allons dégager un effort exceptionnel de 100 millions d'euros sur le budget triennal 2015-2017, pour accompagner la montée en charge du service civique", a annoncé à l'AFP la ministre de la Jeunesse, Najat Vallaud-Belkacem, à laquelle François Chérèque, président de l'Agence du service civique (ASC), remettait le 11 juillet le rapport "Liberté, égalité, citoyenneté : un service civique pour tous".
Fort de 29 propositions pour consolider et assurer l'avenir de cette initiative créée en 2010 à destination des 16-25 ans, le rapport rappelle que pour satisfaire l'ambitieux objectif des 100.000 volontaires dès 2017, annoncé par François Hollande le 24 juin dernier lors de son discours "La France s'engage", il va falloir repenser les crédits dédiés au dispositif. En 4 ans, les chiffres sont éloquents : de 6.000 volontaires au lancement, il est question de 35.000 jeunes qui sont en mission d'intérêt général en 2014 dans les structures d'accueil agréées (1) par l'ASC. Un franc succès qui n'a de limites que le budget alloué au dispositif.
Tripler le budget
Dès 2011 (lire notre article ci-contre), le manque de moyens financiers était avancé, annonçant un dispositif qui ne pouvait satisfaire sa montée en charge rapide. Dans son rapport, le président du think-tank Terra Nova et accessoirement ancien secrétaire général de la CFDT confirme trois ans plus tard que "le service civique est aujourd'hui victime de son succès", et que l'Agence du service civique ne peut offrir une mission à tous les jeunes désireux de s'engager (cinq demandes pour une mission).
"La quasi-totalité du budget du service civique étant destinée au financement direct des missions (indemnité, protection sociale, aide à l'accompagnement et à la formation civique et citoyenne), le service civique doit tripler son budget, qui est de 140 millions en 2014, à l'échéance 2017", affirme François Chérèque, qui, s'il ne souhaite pas remettre en cause la part prépondérante de l'Etat, envisage d'autres pistes de financement.
"Depuis 2010, 99,4% du budget de l'agence est abondé par les crédits du budget de la jeunesse et de la vie associative, le programme 163 "jeunesse et éducation populaire". En 2014, la part du service civique représente plus de 60% du programme budgétaire. Dès 2015, les crédits nécessaires pour suivre la courbe de la montée en charge représentent la totalité du programme (environ 200 millions d'euros pour 50.000 volontaires), relève François Chérèque. Le compte est alors rapidement fait : "Soit le budget de la jeunesse est abondé, soit des lignes complémentaires viennent abonder le budget de l'agence."
Modifier l'assise budgétaire
Il va donc falloir revoir les sources de financement pour que le dispositif survive à l'objectif des 15% d'une classe d'âge dès 2017. Le rapport met entre autres en cause la non-participation de certains ministères pourtant utilisateurs "massifs" du dispositif. Plus précisément, cite-t-il : l'Education nationale qui, pour lutter contre le décrochage scolaire, utilise depuis 2012 le service civique et qui en 2013 a accueilli 3.600 jeunes décrocheurs tout en planifiant pour 2014 de raccrocher 5.000 jeunes. Or la participation de l'Education nationale au dispositif s'élève à ce jour à 0 euro quand son budget avoisine les 63,5 milliards d'euros en 2014 pointe le rapport...
François Chérèque souligne de même la participation symbolique (deux ETP mis à disposition, valorisés à hauteur de 160.000 euros dans le budget) du ministère de la Ville qui puise également dans le dispositif pour sortir des jeunes non diplômés ou en errance des quartiers. "Chaque année, entre 3.000 et 4.000 jeunes qui relèvent de la politique de la ville sont accueillis en service civique, soit 17% environ des volontaires en service civique, ce qui correspond à peu près à leur proportion parmi les jeunes. Un objectif de 25% a été fixé à l'agence par le ministère de la Ville", est-il ainsi rappelé.
En résumé, la diversité des champs d'intervention des missions offertes aux volontaires, qu'elles se déroulent dans les domaines de la solidarité (plus de 15.000 missions depuis 2010), de la santé, de l'environnement, de la lutte contre les discriminations... devrait s'assoir sur un financement interministériel.
Des montages financiers pour abonder les crédits du service civique
"Il faut garder à l'esprit que près de 50% des jeunes qui commencent un service civique se déclarent demandeurs d'emploi", rappelle François Chérèque en soulignant que le service civique était intégré dans les solutions possibles pour préparer un retour à l'emploi des jeunes. Listant différents montages financiers, le rapport préconise entre autres "d'ouvrir la possibilité d'abonder le budget du service civique par des crédits destinés à favoriser l'emploi des jeunes (programme 102), afin de porter plus collectivement l'effort en direction de l'insertion des jeunes. Le coût de la politique de l'emploi des jeunes est de 1,7 milliard d'euros pour 2014, dont 1,2 milliard pour les emplois d'avenir. La durée moyenne de ces contrats s'élève à 26 mois, ce qui signifie une décrue du dispositif à partir de 2015, afin d'amortir la diminution des crédits à destination de la jeunesse et de maintenir une offre pour les 16-25 ans, une augmentation des crédits du programme 163 proportionnelle ou partiellement proportionnelle à la diminution du programme 102 pourrait être envisagée". Plus largement, "si on rapporte les crédits du service civique à l'ensemble de l'effort consenti à destination de la jeunesse, ils représentent en 2014 moins de 0,2%. Permettre à 15% d'une classe d'âge d'effectuer un service civique ne représenterait que 0,5% de l'ensemble de l'effort financier réalisé à destination de la jeunesse", affirme-t-il.
Fonds européens, taxe sur les jeux en ligne...
Par ailleurs le rapport liste également des fonds qui proviendront également de financements européens tels que l'IEJ (Initiative européenne pour la jeunesse), le service civique ayant été reconnu par la Commission européenne parmi les mesures éligibles à ce financement. 37 millions d'euros ont été prévus dans ce cadre par la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) pour financer l'indemnité et la protection sociale des volontaires correspondants aux critères européens de "NEETs" (Not in Education, Employment or Training) dans les territoires identifiés comme prioritaires.
L'idée d'une affectation d'une "ressource fiscale" au service civique est proposée, par exemple "une fraction de la taxe sur les jeux en ligne (loto sportif)" pour "financer des actions de service civique dans le domaine du sport ou plus généralement une taxe affectée sur la Française de jeux pour des actions prédéfinies".
Des opérateurs publics pourraient également trouver un fort intérêt à développer des missions de service civique propres à leur activité... et à les cofinancer, suggère le rapport. "On peut penser aux hôpitaux, qui constituent une mine de missions d'intérêt général encore peu exploitée, aux collectivités territoriales, notamment les communes, pour qui les volontaires pourraient constituer un levier pour la mise en oeuvre de certaines de leurs missions, ou aux pompiers, qui ont déjà manifesté leur souhait de bénéficier d'un service civique adapté à leurs propres contraintes de recrutement."
Une aide au tutorat sous conditions...
Une ouverture plus volontaire aux fonds privés est par ailleurs souhaitable pour François Chérèque : "Nous préconisons de développer plus volontairement la participation des entreprises au financement du service civique", pour que le dispositif puisse être "lu comme la volonté de faire de l'engagement de la jeunesse la cause de tous". Ce qui ne doit pas être perçu, précise le rapport, comme un désengagement de l'Etat, même si le rapport annuel de la Cour des comptes (voir notre article ci-contre du 11 février 2014) préconisait de faire baisser la part financière de l'Etat... En question, les 100 euros versés par mois par l'Etat au titre du tutorat aux associations qui emploient des jeunes volontaires, somme que ne perçoivent pas les collectivités qui offrent des missions au sein de leurs services.
Si le rapport rendu par François Chérèque ne souhaite pas revenir sur cette somme, il émet l'idée de la verser selon certaines conditions. "Nous proposons de conditionner le versement de l'aide, pour les organismes qui accueillent six volontaires par an ou plus, au respect d'un certain nombre des objectifs de l'agence en matière de mixité et d'accessibilité : proportion de volontaires sans aucune qualification (décrocheurs scolaires) ; proportion de volontaires peu ou pas qualifiés ; proportion de volontaires issus de quartiers politique de la ville ; proportion de volontaires handicapés."
Donner du sens
"Afin de tenir compte de la situation de chaque association, on pourrait imaginer que trois des quatre indicateurs doivent être remplis pour déclencher l'aide à taux plein", précise le rapport avant de stipuler, cependant, que "le gain attendu de cette mesure est difficile à évaluer et sera faible car l'objectif est bien d'inciter les comportements vertueux".
En tout état de cause, et quels que soient la forme juridique et le montage financier retenus, il est nécessaire selon le président de l'ASC "que les ressources du dispositif soient stables et qu'elles ne soient pas à la merci du désengagement soudain de tel ou tel contributeur financier".
"Je veux que la jeunesse soit toujours la priorité", a martelé François Hollande au cours de sa conférence sociale et de son entretien télévisé du 14 juillet sur France 2. Concernant le dispositif, le président de la République concluait sans ambages par un : "Je veux qu'il y ait un engagement, une volonté pour la Nation, il faut mettre les moyens nécessaires."
Reste à voir dans ces temps de disette budgétaire si la solidarité fonctionnera entre ministères...
(1) Personnes morales agréées, organismes sans but lucratif, personnes morales de droit public.
Sandrine Toussaint
Vers des "comités stratégiques régionaux" ?
"L'évolution la plus cruciale dans la gouvernance devra avoir lieu au niveau territorial", avance le rapport Chérèque, qui a l'ambition "de faire du service civique un élément structurant de toutes les politiques de territoire". Il propose précisément d'"aller au bout de la logique des comités de coordination qui se sont mis progressivement en place" pour en faire des "comités stratégiques régionaux rassemblant toutes les forces vives du service civique (grands réseaux nationaux présents sur le territoire inclus), et assurer la mobilisation de tous pour la déclinaison et l'adaptation des orientations stratégiques de l'agence au contexte local". Une logique "en phase avec celle de la déclinaison territoriale du plan Priorité jeunesse et (qui) doit s'y articuler", souligne-t-il. D'ailleurs, "les mises en œuvre de certaines actions confiées par appels d'offres nationaux devront inclure leurs déclinaisons territoriales", ajoute-t-il.
Au niveau national, le rapport Chérèque suggère de renforcer la représentation des collectivités dans le comité stratégique de l'ASC, étant entendu qu'elles sont amenées à participer davantage au financement du dispositif...
Aujourd'hui, 9% des 4.000 organismes agréés sont des collectivités territoriales. La ville de Paris, avec 186 volontaires en 2013, est la collectivité qui en recrute le plus, suivie du conseil général de Meurthe-et-Moselle (95), de la mairie de Bordeaux (49), de la ville de Lille (38), du conseil général de la Réunion (37), du conseil général du Bas-Rhin (36), du conseil général de l'Essonne (33), de la ville de Baie-Mahault (31) en Guadeloupe… Des chiffres évidemment sans commune mesure avec ceux de la Ligue de l'enseignement qui a accueilli 2.087 volontaires en 2013, ou ceux de Unis Cités qui en a recruté 1.833, ou encore des 1.040 volontaires de l'Union nationale des missions locales.
V.L.