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Commande publique - Sem et ordonnance Concessions : l'Unspic saisit le Conseil d'Etat

Dans un entretien accordé à l'Association pour l'achat dans les services publics (Apasp), Marie Dubois, déléguée générale de l'Unspic (Union nationale des services publics industriels et commerciaux), livre les raisons du recours du syndicat contre l'ordonnance Concessions du 29 janvier 2016.

Pourquoi l'Unspic a-t-elle demandé au Conseil d'Etat l'annulation de l'ordonnance Concessions ?

L'Unspic ne demande pas l'annulation de l'ensemble de l'ordonnance. Notre recours contentieux concerne seulement deux articles. Globalement, nous sommes satisfaits de la réforme de la commande publique : nous saluons notamment les travaux menés par la direction des affaires juridiques de Bercy lors des concertations, qui ont permis de prendre en compte les demandes des différentes parties prenantes. Le corpus de textes final est selon nous cohérent et équilibré. Ce recours n'est donc pas une attaque globale contre la réforme et le texte mais vise seulement à lever une inquiétude et à nous assurer que toutes les Sem demeureront soumises à une obligation de mise en concurrence

Quels sont les deux articles de l'ordonnance Concessions dont vous soutenez l'illégalité ?

L'objet de notre recours est le suivant : la directive européenne a exclu de son champ d'application toute une série de concessions, soit en raison de leur montant (contrats inférieurs à 5.225.000 euros), soit en raison de leur secteur d'activité (eau, services sociaux et services spécifiques).
Elle a en particulier consacré une lecture extensive de l'exception "in house" et de la dérogation applicables aux entreprises liées pour les concessions relevant de son champ d'application, ce qui implique que dans certains cas, les Sem pourraient se voir attribuer des contrats de concessions sans publicité ni mise en concurrence.
En effet, certaines Sem peuvent probablement relever du régime des quasi-régies, puisque des formes de participation de capitaux privés sont désormais autorisées et certainement du régime des entreprises liées, dont les conditions de contrôle sont plus souples encore. Or, la France a étendu ces mesures à toutes les concessions, y compris donc à celles qui sont exclues du champ d'application de la directive (à l'exception du transport public de voyageurs).
Pour autant, le principe constitutionnel d'égalité édicté par le Conseil constitutionnel dans sa décision 20 janvier 1993 relative à la loi Sapin et faisant obligation aux Sem d'être mises en concurrence pour l'attribution d'un contrat de concession trouve toujours à s'appliquer pour des concessions ne relevant pas de la directive.
C'est pourquoi, nous demandons au Conseil d'Etat l'annulation des articles 16 relatif aux quasi-régies et 18 relatif aux entreprises liées, en ce qu'ils s'appliquent aux contrats qui ne sont pas dans le champ d'application de la directive.

Lors de leur recours contre l'ordonnance Marchés publics, les avocats requérants avaient dénoncé la sur-transposition de la directive. Reprenez-vous ce raisonnement à l'encontre de l'ordonnance Concessions ?

L'ordonnance, on l'a vu, opère une extension des différentes formes d'exceptions à la totalité des concessions qu'elle vise, y compris donc les concessions non visées par la directive.
Cette "sur-transposition", qui n'est pas attaquable en soi, pose un problème de conformité à la jurisprudence constante du Conseil Constitutionnel qui maintient les Sem dans le champ concurrentiel. C'est ce point important que nous soulevons et ce d'autant que si l'on peut à bon droit rappeler que le droit européen s'impose au droit national, il n'en est rien en cette matière puisque les concessions en question sont justement exclues de la directive européenne.
Nous avons par ailleurs demandé le renvoi d'une question préjudicielle à la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE). Nous souhaitons connaitre sa position sur la validité de l'article 17 §1 et 3 de la directive Concessions, qui admet que la directive concession ne s'applique pas lorsque la personne morale contrôlée comporte des participations de capitaux privés sans capacité de contrôle ou de blocage, qui ne permettent pas d'exercer une influence décisive sur la personne morale contrôlée. Cette exception nous parait en contradiction avec le principe de transparence du Traité et avec la jurisprudence de la CJUE, l'arrêt "Stadt Halle" du 11 janvier 2005 ayant notamment exclu les Sem du champ d'application du "in house" en raison de la présence d'actionnaires privés en leur sein. Au-delà de la qualité des travaux de transposition de la directive, nous souhaitons nous assurer qu'aucune des dispositions de l‘ordonnance ne vienne porter atteinte aux règles d'égalité et de transparence, ni créer des distorsions de concurrence.

Introduite le 30 mars, cette requête est actuellement en cours d'instruction.