Sécurité des ponts : la mission sénatoriale appelle à un "Plan Marshall"
Plus de 25.000 ponts en France posent des problèmes de sécurité et de disponibilité et la situation est particulièrement préoccupante pour ceux gérés par les communes et intercommunalités, alerte la mission sénatoriale sur la sécurité des ponts dans un rapport publié ce 27 juin. Elle en appelle à un "Plan Marshall" pour les rénover dans les dix ans, en créant notamment un fonds d'aide aux collectivités doté de 130 millions d'euros par an.
"Plus de 25.000 ponts (7% des ponts de l'Etat, 8,5% des ponts des départements et probablement 18 à 20% des ponts des communes et intercommunalités) sont en mauvais état structurel et posent des problèmes de sécurité et de disponibilité pour les usagers" : dans son rapport publié ce 27 juin, la mission d'information sénatoriale sur la sécurité des ponts présidée par Hervé Maurey dresse un constat particulièrement alarmant. Créée en septembre dernier suite à l'effondrement du pont Morandi, à Gênes, le 14 août 2018 qui a fait 43 morts, elle a réalisé en 10 mois de nombreuses auditions, effectué trois déplacements et reçu 1.200 témoignages d'élus locaux sur la plateforme de consultation du Sénat.
90% des ponts gérés par les collectivités
Elle s'est d'abord étonnée que le nombre exact de ponts routiers en France demeure inconnu. "Ce constat est surprenant et en lui-même révélateur des lacunes de la politique de surveillance et d'entretien des ponts", a relevé Hervé Maurey. Ainsi, 16% des élus des communes et de leurs groupements ayant répondu au questionnaire du Sénat ne connaissent pas le nombre de ponts dont leurs collectivités sont propriétaires et 73% affirment ne disposer d'aucune base de données de recensement de leurs ouvrages d'art.
Par recoupement de données provenant de multiples sources, la mission a donc estimé que le nombre de ponts routiers en France était de 200.000 à 250.000 dont 90% sont gérés par les collectivités (entre 100.000 et 120.000 par les départements et entre 80.000 par les communes et intercommunalités). L'Etat, lui, en détient environ 24.000 (12.000 sur le réseau routier national non concédé et 12.000 sur le réseau concédé géré par les sociétés d'autoroutes).
Vieillissement des ouvrages
La dégradation de l'état des ponts, qui "a fortement augmenté sur les dix dernières années", souligne le rapport, s'explique par le vieillissement des ouvrages construits dans l'après-guerre - un pont ayant une durée de vie d'environ 70 ans. Ainsi, ¼ des ponts de l'Etat (2.800 ponts) arriveront dans les prochaines années en "fin de vie" et environ 0,5% des ponts départementaux devront être reconstruits dans les cinq ans à venir, soit en moyenne 5 ponts par département. Certaines familles d'ouvrage sont en outre considérées comme des "ponts à risque" car susceptibles de développer des pathologies particulières (ponts en béton précontraint de première génération, buses métalliques en particulier). Le vieillissement des ouvrages est encore accru par les effets du réchauffement climatique et l'utilisation des systèmes de navigation GPS qui orientent le trafic, notamment les poids lourds, vers des ponts qui n'ont pas été conçus pour supporter de telles charges.
Les sénateurs pointent aussi "un sous-investissement chronique dans l'entretien du patrimoine" et "les insuffisances de l'action publique". Entre 2011 et 2018, "l'Etat a consacré 45 millions d'euros en moyenne à l'entretien de ses ponts alors que l'ensemble des experts et audits convergent sur la nécessité de mobiliser au moins 120 millions d'euros par an pour enrayer la dégradation des ouvrages", relève la mission. Pour Michel Dagbert, l'un de ses deux rapporteurs avec Patrick Chaize, "le maintien du budget actuel conduirait à un doublement du nombre d'ouvrages en mauvais état dans les dix prochaines années et à un triplement voire un quadruplement en vingt ans".
Baisse des investissements des collectivités
La situation est jugée encore plus inquiétante du côté des collectivités. Depuis 2013, les dépenses de voirie des départements des communes et des intercommunalités n'ont cessé de diminuer pour atteindre 11,7 milliards en 2017 (soit une baisse de 30% en quatre ans). "Après des années de baisse des dotations, les communes et leurs groupements manquent de ressources financières pour traiter les ponts et peinent à accéder à l'expertise extérieure, conséquence du désengagement de l'Etat sur le volet de l'assistance technique aux collectivités, constate le rapport. A Guérard et Tigeaux, en Seine-et-Marne, plusieurs ponts sont fermés à la circulation et les travaux de réparation sont estimés à un million d'euros par pont alors que les communes disposent d'un budget annuel d'environ 3 millions d'euros."
Fonds d'aide de 130 millions d'euros
Les sénateurs estiment donc "urgent" de "mettre en place un 'plan Marshall' pour les ponts". Ils demandent notamment de porter le montant des moyens consacrés par l'Etat à l'entretien de ses ouvrages d'art à 120 millions d'euros par an dès 2020 (contre 45 millions en moyenne ces dernières années) et de créer un fonds d'aide aux collectivités locales, qui serait doté de 130 millions d'euros par an pendant dix ans - soit 1,3 milliard d'euros au total - en utilisant l'enveloppe jusqu'à présent dédiée à la mise en sécurité des tunnels (qui prendra fin en 2021). Ce fonds servirait à réaliser un diagnostic de l'ensemble des ponts des communes et des intercommunalités d'ici cinq ans et à remettre en état les ponts en mauvais état des collectivités territoriales d'ici dix ans.
Les sénateurs proposent aussi de "sortir d'une culture de l'urgence au profit d'une gestion patrimoniale". Pour référencer tous les ouvrages d’art en France, ils recommandent ainsi de mettre en place un système d’information géographique (SIG) national, qui pourra être utilisé par les opérateurs de GPS pour mieux orienter le trafic routier. Ils proposent aussi de créer un coffre-fort numérique permettant aux gestionnaires de voirie qui le souhaitent de conserver les documents techniques relatifs aux ponts et de mettre en place un "carnet de santé" pour chaque pont permettant de suivre l’évolution de son état et de programmer les actions de surveillance et d’entretien nécessaires.
A l'instar des réseaux d'eau, il faudrait également selon eux intégrer dans la section "investissements" des budgets des collectivités territoriales les dépenses de maintenance des ouvrages d’art pour les inciter à accroître ces dépenses pendant une période transitoire de dix ans. Le basculement de ces dépenses dans la section investissement permettrait aux collectivités territoriales de récupérer partiellement la TVA acquittée à l'occasion des travaux, insiste le rapport. De plus, les dépenses de fonctionnement étant soumises à contrainte budgétaire dans le cadre des pactes financiers, ce basculement inciterait les collectivités à procéder à la maintenance de leurs ouvrages.
Au-delà, la mission propose que soit lancée une concertation avec les collectivités territoriales pour adapter leurs outils de comptabilité publique afin d'envisager l'amortissement des ouvrages d'art et le provisionnement de sommes pour assurer leur entretien car l'absence d'amortissement ne permet pas la mise en place d'une politique de gestion basée sur un entretien régulier, souligne-t-elle. "Ces évolutions devraient permettre aux gestionnaires de tendre vers une programmation pluriannuelle des dépenses d'entretien et de réparation des ponts, sur la base de la connaissance de l'état du patrimoine et de son évolution", poursuit-elle.
Encourager la mutualisation de la gestion
La mission propose aussi de définir des procédures de surveillance et d’entretien adaptées aux petits ponts et d'apporter une offre d’ingénierie aux collectivités à travers l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) et la mobilisation des moyens du Cerema. Enfin, elle juge nécessaire d'encourager la mutualisation de la gestion des ponts au niveau départemental ou intercommunal, par la mise à disposition des communes d’une expertise technique dans le cadre d’un conventionnement, et de créer un schéma départemental permettant d’identifier les ponts situés sur des itinéraires routiers à forts enjeux pouvant faire l’objet d’un cofinancement entre plusieurs collectivités territoriales.
A travers ses différentes préconisations, la mission compte alerter le gouvernement sur les risques encourus si rien n'est fait, sans "imposer de contraintes réglementaires et financières supplémentaires aux communes", a prévenu Hervé Maurey.
Le ministère des Transports voit de son côté dans ce rapport la confirmation de "la priorité donnée par le gouvernement, depuis le début du quinquennat, à l'entretien et la remise en état (des) infrastructures existantes plutôt qu'à de nouveaux grands projets". "Le rapport propose un certain nombre de pistes intéressantes qui seront étudiées en détail, en particulier concernant l'accompagnement des collectivités dans le diagnostic sur l'état de leurs ouvrages d'art", a indiqué à l'AFP l'entourage de la ministre Elisabeth Borne. Rappelant "l'effort sans précédent" engagé pour l'entretien des routes nationales - et de leurs ponts - par le gouvernement, il souligne que l'Etat "accompagne" les collectivités.