Sécheresse : la quasi-totalité du territoire soumise à des restrictions d'eau plus ou moins sévères
La sécheresse sévit partout en France et 90 départements sur 96 font l'objet d'arrêtés de restriction d'usage de l'eau, selon la dernière version de la carte du site gouvernemental Propluvia datée du 26 juillet. Outre le risque d'incendie et les difficultés d'alimentation en eau potable dans certaines communes, le manque d'eau met à mal les rendements agricoles et oblige aussi à restreindre la circulation fluviale dans certaines zones.
Au 26 juillet, 90 départements sur 96 font face à des restrictions d'usage de l'eau, un record selon le ministère de la Transition écologique, dont le site Propluvia dresse un état des lieux des arrêtés de limitation des usages de l'eau pris par les préfets. Seuls l'Aisne, l'Ariège, la Corrèze, les Hauts-de-Seine, Paris et la Seine-Saint-Denis ne sont pas concernés par au moins un arrêté préfectoral. Pour assurer des opérations de contrôle visant à assurer le respect des arrêtés sécheresse dans les départements concernés, l'Etat a mobilisé l'Office français de la biodiversité (OFB). Celui-ci peut aussi bien porter des messages de sensibilisation et de prévention que sanctionner des usages de l'eau interdits par arrêté.
Trois niveaux d'alerte, un niveau de vigilance
La carte de Propluvia, qui résume les différents niveaux d'alerte, a viré au rouge dans une bonne partie de l'ouest du bassin de la Loire - Indre, Loire-Atlantique, Mayenne, Sarthe, Deux-Sèvres, Vendée, Vienne -, mais aussi dans la Drôme, l'intérieur du Var, le Lot et le sud-est du Val-de-Marne. Dans les zones jugées en crise, seuls les prélèvements d'eau permettant d'assurer l'exercice des usages prioritaires sont autorisés, pour la santé, la sécurité civile, l'approvisionnement en eau potable et la salubrité, les prélèvements à des fins agricoles étant proscrits.
L'alerte est renforcée (niveau orange de la carte Propluvia) dans des zones aussi diverses que le Finistère, le massif des Vosges, celui du Jura, le flanc occidental des Alpes ; la Creuse, l'Aveyron, le Vaucluse, la Haute-Corse... Les prélèvements à des fins agricoles y sont réduits d'au moins 50% et ceux pour l'arrosage des jardins, les espaces verts, les golfs et le lavage des voitures y sont limités ou interdits.
Une bonne partie du territoire, enfin, est placée en alerte (niveau jaune sur la carte Propluvia) - avec une baisse plus réduite des prélèvements pour l'agriculture et des mesures limitées à certaines heures pour l'arrosage -, ou en simple vigilance (niveau gris) : dans ce cas, on informe les particuliers et les professionnels de la situation, et on les invite à faire des économies.
Tensions sur l'alimentation en eau potable
L'alimentation en eau potable est aujourd'hui sous tension dans plusieurs régions. Avec un débit de la Loire en forte baisse, à 129 m3 par seconde le 20 juillet, contre 475 m3/s au début du mois, la Loire-Atlantique est placée en "alerte eau potable" depuis le 20 juillet. Les usages de l'eau y sont réglementés "afin d'éviter des pénuries en eau potable" et la "dégradation de la qualité de l'eau", indique la préfecture. L'association Eaux et Rivières de Bretagne plaide, elle, pour des restrictions encore plus strictes en réclamant "un effort sérieux de modération des consommations". En Franche-Comté la situation est tout aussi catastrophique, au point que plusieurs communes du Doubs n'ont plus d'eau potable et doivent être alimentées par des camions citernes, selon la préfecture.
Même problème dans le sud de la France, aux Saintes-Marie-de-la-Mer par exemple : "C'est compliqué de trouver de l'eau douce", alerte la maire Christelle Aillet (LR). "Ici on est au bout du bout des Bouches-du-Rhône. Il ne pleut pas depuis huit mois et comme le Rhône est très bas, le sel monte jusqu'à 20 kilomètres dans les terres. On a donc un problème d'eau et de volume, c'est devenu pour nous le nerf de la guerre", a expliqué à l'AFP Christelle Aillet.
La faune sauvage tire aussi la langue, avec des points d'eau "qui se raréfient", forçant les animaux "à faire beaucoup plus de distance", ce qui augmente le "risque de collision sur une route" ou d'épuisement à la recherche d'eau, s'alarme Jean-Baptiste Decotte, de la LPO Auvergne-Rhône-Alpes. "On a eu un gros impact cette année sur la reproduction des amphibiens et des libellules, scarabées d'eau", observe-t-il. "Toutes les espèces sont vraiment très touchées avec des larves qui ont séché sur place".
Prévenir le risque d'incendie
La sécheresse favorise également le développement des incendies, même si ceux-ci peuvent survenir partout - La Teste-de-Buch, en Gironde, est par exemple située dans une zone échappant aux restrictions. Des mesures de prévention s'appliquent déjà dans plusieurs départements du Sud-Est. Le Vaucluse a ainsi interdit d'accès l'ensemble de ses massifs forestiers pour la journée en raison du risque élevé d'incendie. Idem dans les Bouches-du-Rhône où la préfecture a prolongé jusqu'au mercredi 27 juillet inclus la fermeture des 25 massifs forestiers du département, dont le très touristique parc national des Calanques, en raison de la persistance des fortes chaleurs et de forts coups de vent attendus.
Le Var ou la Haute-Corse ont également bouclé plusieurs massifs. Les préfectures appellent les populations à adopter des comportements préventifs pour ne pas risquer de provoquer un incendie (ne pas fumer dans les zones boisées ou faire de barbecue en forêt...) mais aussi à alerter aussitôt les autorités s'ils sont témoins d'un départ de feu.
L'agriculture touchée de plein fouet
L'agriculture souffre elle aussi, même dans des zones a priori épargnées par le manque d'eau. En Bourgogne, l'alerte rouge ne concerne que la zone de Beaune (Côte d'Or), réputée pour ses vins, ce qui laisse entrevoir des vendanges encore très précoces. Le record de 2020 pourrait même être battu : cette année-là, la récolte avait démarré le 16 août à Beaune, du jamais vu depuis...1556. Partout, la sécheresse risque d'affecter les rendements. Dans le Pas-de-Calais par exemple, Jean-Pierre Clipet, responsable de la FDSEA (principal syndicat agricole), s'inquiète de "rendements qui décrochent, avec deux phénomènes qui se combinent, le stress hydrique mais aussi la chaleur, affectant l'ensemble des cultures, blé, betteraves, légumes... Dans le Boulonnais, des collègues me disent que c'est pire qu'en 1976, ils ne savent pas comment ils vont nourrir leurs bêtes cet hiver". "Les résultats vont être mauvais, voire très mauvais, parce que (les cultures) ont pris de plein fouet la sécheresse et les températures excessives", témoigne Vincent Guyot, agriculteur à Etaves-et-Bocquiaux, dans l'Aisne, qui doit faire les moissons de céréales de plus en plus tôt dans l'année.
Perturbation sur le réseau fluvial
La circulation sur les fleuves et canaux est également très perturbée. "Au 1er juillet, le taux de remplissage global de nos réserves en eau à l'échelle nationale est de 60% contre 72% au 1er juin 2022, et une moyenne de 80% à la même date sur les dix dernières années", indiquent Voies navigables de France (VNF), qui gère 6.700 km de fleuves, rivières et canaux. Un débit d'eau à valeur réglementaire, appelé "débit réservé" et fixé par les services de l'Etat, est maintenu en permanence, afin de préserver la continuité écologique et notamment la vie aquatique. Si la quantité d'eau disponible dans le cours d'eau est inférieure ou égale à cette valeur, les prélèvements sont stoppés et la navigation peut être arrêtée, explique VNF, selon qui le débit du Rhin, par exemple, est "particulièrement faible". La navigation est ainsi interrompue sur une partie du canal de Bourgogne et dans la région de Nancy, tandis que beaucoup de péniches sur le Rhin ne sont chargées qu'au tiers de leur capacité, pour ne pas racler le fond du fleuve. Sur le Canal du Midi, les passages des bateaux sont groupés aux écluses, afin d'économiser l'eau. Ces mesures, habituellement mises en place après le 14 juillet, sont en vigueur depuis le début du mois en raison de "conditions de sécheresse pas vues depuis dix ans", a indiqué VNF.
Le manque d'eau touche aussi les centrales nucléaires. En Lorraine, le faible débit de la Moselle oblige depuis vendredi la centrale nucléaire de Cattenom à puiser l'eau destinée à refroidir ses installations dans un bassin de retenue voisin.