Santé scolaire et lutte contre le harcèlement : des métiers à revaloriser, la coordination des acteurs à revoir

Une mission flash de l'Assemblée nationale consacrée au rôle de la médecine scolaire dans la lutte contre le harcèlement scolaire a rendu mercredi 29 mai 2024 ses conclusions. Le fléau dont le gouvernement a fait l'une de ses priorités concernerait 800.000 à 1 million de jeunes chaque année en France. Les deux rapporteures, défavorables à un transfert de la médecine scolaire aux départements, constatent un manque de personnels et de moyens, un empilement des missions, des difficultés importantes de coordination. Elles formulent 35 recommandations visant à revaloriser ces métiers et renforcer la coordination des acteurs. 

Le harcèlement concerne 800.000 à 1 million d’enfants et de jeunes chaque année en France. Selon les résultats d'une enquête nationale publiée mi-février 2024, il pourrait concerner, en moyenne, plus d'un élève par classe (1). Longtemps sous-estimé voire nié, ce fléau fait désormais partie des priorités du gouvernement. Déployé depuis 2021, le programme de lutte contre le harcèlement à l'école (Phare), a été généralisé à la rentrée 2023 et a constitué un progrès salué par les acteurs de terrain. Le plan interministériel lancé en septembre 2023 complète ce dispositif. Mais cela ne suffit pas. 

Alors que mercredi 29 mai, Nicole Belloubet remettait les prix "Non au harcèlement 2024" à l'Élysée (lire encadré ci-dessous), la mission flash, créée fin février 2024 par la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, présentait ses résultats dans le cadre d'une conférence de presse. 

35 recommandations

Les rapporteures et députées Soumya Bourouaha (Nupes) et Virginie Lanlo (Renaissance) font état d'une santé scolaire qui se heurte à de nombreux obstacles, "au premier rang desquels le manque de personnels et de moyens, l'empilement des missions dont de nombreuses tâches administratives qui dénaturent l'essence des actions, une organisation en silos, des difficultés importantes de coordination, etc.". Ainsi médecins et infirmiers scolaires, psychologues de l'Éducation nationale (psyEN), assistants de service social, pourraient, si on leur en donnait les moyens, jouer un rôle encore plus efficace dans la prévention, la détection et la prise en charge de cas de harcèlement. Soumya Bourouaha et Virginie Lanlo, qui préfèrent à l'expression de "médecine scolaire" celle de "santé scolaire", rappellent que celle-ci détient "une prérogative centrale en matière de lutte contre le harcèlement" mais que "la réalité et les modalités des interventions des personnels concourant à la santé scolaire en matière de lutte contre le harcèlement restent encore relativement méconnues".  
À l'issue des auditions menées, les rapporteures ont donc formulé 35 recommandations visant "à revaloriser les métiers de la santé scolaire, renforcer la coordination des acteurs et développer une culture commune chez l'ensemble des parties prenantes". Elles soulignent que la lutte contre le harcèlement appelle "la mobilisation de l'ensemble de la communauté éducative et, au-delà, des professionnels de santé et des collectivités territoriales". Car, comme l'a souligné à plusieurs reprises Virginie Lanlo, le "harcèlement ne s'arrête pas aux murs de l'école".

Créer des conditions attractives pour les territoires sous-dotés

Elles suggèrent ainsi, sans avoir eu le temps d'évaluer l'impact financier de leurs propositions, de "revaloriser les métiers et rehausser les moyens alloués". À noter qu'il faudrait, estiment-elles, "adapter la répartition des moyens aux territoires en tenant compte du maillage territorial et créer des conditions attractives pour les territoires particulièrement sous-dotés, en particulier les territoires ruraux, les quartiers populaires et les collectivités et départements d'outre-mer".
Rappelant que les métiers de la santé scolaire subissent une crise profonde d'attractivité, elles suggèrent de "développer les stages en établissement scolaire pour les internes et de prévoir des dispositifs similaires pour les infirmiers, assistants sociaux et psychologues en formation" afin de susciter des vocations. Autre piste avancée pour remédier au manque de médecins scolaires : "créer des passerelles entre hôpital, médecine de ville et établissements scolaires, et ce dans les deux sens". 

Développer les liens avec les collectivités territoriales

La mission préconise également de développer les liens avec les collectivités territoriales et les partenaires extérieurs. Il s'agit d'améliorer les coopérations territoriales entre les établissements scolaires et les centres médicopsychologiques (CMP), les maisons des adolescents et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Soumya Bourouaha et Virginie Lanlo suggèrent de faire "un état des lieux des capacités de prise en charge des jeunes dans chaque territoire pour permettre la bonne orientation des jeunes en souffrance par les professionnels de la santé scolaire". Selon elles, il est indispensable de "développer une culture commune à l'ensemble des acteurs". Cela pourrait se traduire par exemple par des temps d'échange consacrés aux situations de harcèlement associant tous les personnels intervenant dans l'établissement en y associant le personnel chargé du temps périscolaire. Autre idée : faire évoluer les centres d'information et d'orientation (CIO) afin de les transformer en véritables services de psychologie permettant la coordination des psyEN.

Une visite psy obligatoire en classe de quatrième par les psyEN

Les rapporteurs estiment par ailleurs que les premières années sont déterminantes dans la construction de l'enfant mais regrettent que le premier degré soit "sous-doté en matière de santé scolaire". Il faudrait, selon elles, "placer des personnels sur site, y compris des assistants sociaux, y créer des services de vie scolaire et mobiliser davantage les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased)". Dans le second degré, elles préconisent une visite psy obligatoire en classe de quatrième par les psyEN, "pour une orientation, si nécessaire, vers les professionnels du territoire". Sachant que moins de 20% des élèves de 6 ans passent la visite médicale obligatoire et 60% effectuent leur bilan infirmier à 12 ans (2), les rapporteures souhaiteraient qu'un "caractère effectif des visites soit garanti, en y affectant les ressources nécessaires". 
 

› 150 nouveaux postes entièrement dédiés à la politique de prévention et de lutte contre le harcèlement

La ministre de l'Éducation qui a remis mercredi 29 mai 2024, les prix aux lauréats "Non au harcèlement", une cérémonie qui se déroulait à L'Elysée, en présence du couple présidentiel, a dans ce cadre rappelé quelques annonces faites en avril dernier. Nicole Belloubet a mentionné que 150 nouveaux postes ont été créés, entièrement dédiés à la mission de prévention et de lutte contre le harcèlement. Parmi eux, 30 emplois sont affectés aux académies et 120 aux départements. "Ainsi, chaque échelon bénéficie d'au moins un effectif spécialisé et formé pour structurer efficacement les actions au niveau départemental, ainsi que leur coordination et leur pilotage au niveau académique", a-t-elle précisé dans l'édito du dossier de presse
Par ailleurs, les infirmiers scolaires et les assistants sociaux qui assurent les fonctions de coordonnateurs pour la lutte contre le harcèlement dans les établissements, bénéficieront désormais d'un complément indemnitaire de 1.250 euros, au même titre que les autres coordonnateurs. 

  1. Selon les résultats de cette enquête nationale menée à partir des questionnaires remplis au mois de novembre 2023 par les élèves du CE2 à la terminale, 5 % des élèves du CE2 au CM2 sont victimes de harcèlement, ainsi que 6 % des collégiens et 4 % des lycéens. Ramenés à un effectif de plus de douze millions d’élèves, ces pourcentages révèlent qu'ils pourraient concerner en moyenne, plus d’un élève par classe. 
  2. Cour des Comptes, "Les médecins et les personnels de santé scolaire", avril 2020.
 

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