Lutte contre le harcèlement scolaire : les commissaires de justice invitent les collectivités à s'emparer du fléau

La Chambre nationale des commissaires de justice, en partenariat avec la société privée Alertcys, développe un service dédié aux collectivités qui doit leur permettre de lutter contre le harcèlement des mineurs au niveau local. Les communes et communautés de communes volontaires sont invitées, par le biais d'une plateforme numérique, à devenir actrices de ce combat. 

"Le harcèlement ne se présente pas uniquement à l’école, au collège ou dans la rue, il peut se passer sous des formes et des lieux différents de manière continue et être le fait de plusieurs personnes". C'est partant de ce constat que la Chambre nationale des commissaires de justice (1), en partenariat avec la société Alertcys, a eu l’idée de proposer un service dédié aux collectivités pour lutter contre ce fléau : une plate-forme numérique qui permet de traiter en toute sécurité les informations déposées par des lanceurs d’alerte, témoins ou victimes de harcèlement.   

L’opinion publique a encore en tête l’affaire récente de Lucas, adolescent de 13 ans qui s’est suicidé en début d’année et dont les parents affirment qu'il était harcelé en raison de son homosexualité. "L'idée d'Alertcys n'est pas de remplacer les dispositifs existants - le 30 20, le 30 18, les associations etc... - mais de fournir aux collectivités une solution qui soit un point d'entrée unique de confiance", explique Cyril Murie, dirigeant de la société Alertcys. Créée en 2018, Alertcys est une plateforme dédiée aux lanceurs d'alerte qui permet aux entreprises et aux collectivités de se mettre en conformité avec la loi Sapin II de 2016 de lutte contre la corruption et de modernisation de la vie économique qui établit un statut pour le lanceur d’alerte. Depuis quelques mois, la société a développé une offre spécifique, dirigée vers les communes et les communautés de communes, afin que ces dernières puissent devenir également actrices de la lutte contre le harcèlement des mineurs.

Former les agents qui interviennent dans le cadre périscolaire et extrascolaire

Pourquoi s'adresser aux collectivités plus particulièrement ? Une mère de famille dont la fille victime de harcèlement scolaire s’est suicidée en 2013 à l’âge de 13 ans et qui a créé l’association "Marion la main tendue", y répond très bien : "il faut bien sûr toucher les personnels de l’Education nationale mais aussi tous les adultes qui interviennent dans le cadre périscolaire et extrascolaire, dans tous les temps de la vie de l’élève", a-t-elle expliqué au Parisien, dans un article publié le 31 janvier 2023. La présidente de "Marion la main tendue" a bien saisi que "le personnel de cantine va voir si un enfant mange seul, les agents de nettoyage s’apercevront qu’un élève se réfugie dans les toilettes, le chauffeur de car pourra noter si l’enfant se fait rejeter par les autres, etc.". Elle conclut en invitant les collectivités locales "à s’emparer de ce sujet car elles accompagnent les enfants dès le plus jeune âge et aussi pendant les vacances scolaires.[…]". Les commissaires de justice et  Alertcys leur offrent une opportunité de le faire et lancent donc un appel à collectivités volontaires pour tester le dispositif, comme le fait actuellement la ville de Poitiers par exemple.

Rechercher des collectivités volontaires

Concrètement, les communes et communautés de communes auront pour mission de former leurs agents au contact du public à détecter les signaux faibles du harcèlement. Elles devront également faire une campagne de communication autour de l’existence de cette plateforme. Les  témoins ou victimes, quant à eux, pourront déposer un signalement sur la plateforme, ce qui permettra d’en informer l’établissement, l’association, la collectivité tout en garantissant leur anonymat. Ce signalement sera ensuite traité par le commissaire de justice implanté localement. "Rien n’est automatisé car aucun cas n’est simple", assure Cyril Murie. 

Après un dépôt du signalement, l’équipe Alertcys accuse réception et le prend "immédiatement en charge, il échange avec le témoin, la victime pour finaliser le signalement", est-il décrit sur la plateforme. Le travail consiste aussi à écarter d’éventuels signalements calomnieux. Vient ensuite la question de la recevabilité du signalement. "Nous transmettons le signalement au référent, nous le relançons si nécessaire, nous échangeons avec lui pendant cette analyse de recevabilité", est-il détaillé. Enfin arrive la phase du traitement du signalement : "Le commissaire de justice facilitateur échange, de manière transparente, avec les parties en aparté, ou de manière simultanée, il rétablit la confiance et aide à construire une solution".

Six ans pour déposer plainte

Rappelons qu’un mineur est victime de harcèlement scolaire quand un élève a, de manière répétée, des propos ou des comportements agressifs à son égard. La victime peut alerter la direction de l'établissement scolaire, signaler les faits dans les locaux de la police ou de la gendarmerie et demander de l'aide auprès d'associations... ou donc, à l'avenir, déposer un signalement sur la plateforme Educ.alertcys.io. Elle peut aussi demander à la justice de condamner pénalement l'auteur du harcèlement et de réparer son préjudice. La victime mineure ne peut pas porter plainte seule. Toutefois, elle peut signaler les faits, par le biais d'une main courante, en se rendant (seule ou accompagnée) dans les locaux de la police ou de la gendarmerie. Mais si la victime mineure veut être impliquée dans le reste de la procédure, elle devra obligatoirement être représentée par une personne majeure (parent, tuteur,...). Dans tous les cas, la victime a six ans, après les faits, pour déposer plainte.

(1) La Chambre nationale des commissaires de justice est venue remplacer la Chambre nationale des huissiers de justice et la Chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires.