Retrait-gonflement des sols argileux : les pistes du rapport Ledoux pour un plan massif d’adaptation
Face à un risque appelé à s’amplifier sous l’effet du réchauffement climatique, le député du Nord Vincent Ledoux, qui vient de remettre au gouvernement son rapport dédié au retrait-gonflement des sols argileux (RGA), est convaincu qu’il faut "changer de logiciel" pour lancer un plan massif à travers la mobilisation de nouveaux leviers à la main des victimes et des maires.
Placer les maires au coeur d’un pilotage national, c’est l’une des trente recommandations formulées dans le rapport du député Renaissance Vincent Ledoux consacré au retrait-gonflement des argiles (RGA), remis au ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, ce 9 octobre. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’élu du Nord a choisi, pour remettre ses travaux, Halluin, une ville de la métropole lilloise fortement impactée par ce phénomène dû à la sécheresse devenue un risque prépondérant sous l’effet du changement climatique. Pour illustrer "la galère" des sinistrés du RGA, le rapport rend ainsi compte en préambule de l’histoire d’une famille de Halluin, dont la maison fissurée est quasiment inhabitable et pour laquelle aucune solution de relogement temporaire n’a été trouvée.
"N’attendons pas la cata !", alerte ce nouveau rapport dédié au RGA, qui n’est certes pas le premier à s’y intéresser mais "doit être le dernier", et plaide pour ce faire pour un "plan massif de prévention et de sensibilisation" auprès des 10 millions de propriétaires concernés, soit près de la moitié du parc de logements privés. Trois axes structurent le document : réduire la survenance, reconnaître au sinistré le statut de victime et adapter le logement vulnérable au changement climatique.
Créer une task force RGA
Pour sortir d’une gestion court-termiste "le nez dans le guidon", la mission est convaincue qu’il faut "un électrochoc", qui passera par un pilotage national, un réseau territorial de services déconcentrés robuste et des financements dédiés à la prévention et l’adaptation évalués à 100 millions d’euros par an, en proportion des 40% de sinistralité que représente le RGA. Cette "task force" de haut niveau à l’échelon national pourrait prendre la forme d’une commission interministérielle ou d’un haut-commissariat s’appuyant sur un comité scientifique (Centre technique et scientifique du bâtiment, Agence qualité construction, Cerema, BRGM, Météo France, etc.) et assurant un lien constant avec les professionnels. Coordonner les efforts pour mieux connaître le phénomène RGA, cibler les maisons les plus à risque, affiner les techniques de prévention et de remédiation et leur bilan humain, font partie des missions prioritaires à lui confier. Le rapport prend aussi l'exemple de la rénovation énergétique et appelle au "déblocage" et à la "bonne articulation" des financements (MaPrimeRénov’, éco-prêt à taux zéro etc.).
Des maires partenaires à 100%
"Changer de logiciel" suppose également de "mettre les territoires en mode combat" contre le risque RGA à travers la mobilisation de nouveaux leviers à la main des victimes et des maires, et en particulier pour coordonner les aides permettant une adaptation d’ensemble du logement. Le rapport envisage un dispositif de reprise des maisons sinistrées par la collectivité ou un établissement public foncier en vue d’un "projet immobilier d’intérêt collectif". Ce système de mutation foncière aurait outre l’avantage de permettre une densification à un moment où le foncier va se faire plus rare avec le ZAN, celui de fournir une "voie de sortie" pour des sinistrés de communes non reconnues "CatNat", et dont la valeur du bien aurait considérablement chuté à cause du risque RGA. Il faudrait par ailleurs tendre vers "une mise en cohérence des documents d’urbanisme avec le RGA", relève le rapport, qui recommande en outre, au moins dans les zones à risque RGA fort, de créer une orientation d’aménagement et de programmation (OAP) "RGA thématique". La mission pointe au passage les "injonctions contradictoires" auxquelles sont confrontés les maires, citant l’exemple de la végétalisation pour lutter contre les "îlots de chaleur" pas toujours compatible avec les distances recommandées au titre du RGA. Pour devenir des acteurs de premier plan de la sensibilisation, les maires doivent aussi recevoir toute l’information nécessaire sur le phénomène RGA, ses implications pour l’aménagement territorial et sur leurs responsabilités dans le cadre du régime CatNat. Le rapport préconise entre autres de créer une obligation (sauf opposition des sinistrés) pour les assureurs de les tenir informés des suites données aux dossiers des sinistrés. Quelques territoires expérimentateurs volontaires "pour passer à la vitesse supérieure" pourraient être accompagnés de manière renforcée par l’État, estime la mission.
Faire du sinistré du RGA une véritable victime
Force est de constater que "les sinistrés du RGA ne sont pas traités comme les victimes des autres catastrophes", regrette le rapport. Il propose des pistes pour remédier à ce décalage et notamment pour gagner en rapidité à toute les étapes du processus de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle et lors de l’instruction du dossier du sinistré par l’assureur. La mission intervient alors que des travaux sont en cours pour traduire en deux décrets et en une circulaire l’ordonnance n° 2023-78 du 8 février 2023 (voir notre article du 9 février 2023). Ce nouveau système en cours de création permettrait aux maires de faire des demandes "au fil de l’eau", dossier par dossier, et de lisser le travail de la commission interministérielle "CatNat" sur l’année. Pour affiner la décision de reconnaissance d’état "CatNat" de la commune, le rapport préconise un maillage de 1.000 stations météo du sol dans les communes les plus à risque. À la suite de l’ordonnance du 8 février 2023, les critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle devraient bientôt être assouplis pour mieux coller au caractère progressif et diffus du phénomène RGA. Passer à une année civile pleine est en soi "une avancée", reconnaît la mission, qui propose toutefois d’aller un cran plus loin, et "d’englober dans la reconnaissance CatNat les deux années antérieures à l’année reconnue, à condition qu’elles répondent à des critères de seuil qui seraient moins rigoureux que pour l’année principale de reconnaissance". Un mécanisme de "rattrapage" pourrait être prévu pour les sinistrés habitant des communes non reconnues "CatNat". L’amélioration du processus devra en outre passer à terme, selon le rapport, par un nouveau critère météorologique et d’humidité des sols en valeur absolue (et non plus en comparaison avec les données sur 50 ans). La notion de cause déterminante, qui est la clé de l’instruction du dossier par l’assureur et l’expert, est également évoquée pour réaffirmer le principe de prise en charge de l’aggravation des dommages, notamment dans le cas où une fissure a été déclarée à l’assureur avant l’année de reconnaissance de l’état CatNat.
Créer un bouclier "CatNat"
C’est enfin tout l’accompagnement des sinistrés du RGA qu’il faut repenser. À cette fin, il est proposé de créer au niveau départemental une cellule de crise qui ferait office de "filet de sécurité" pour les victimes. Elle réunirait, sous la houlette du préfet, des collectivités, bailleurs, assureurs, associations de sinistrés, etc., pour aborder les situations les plus difficiles, et fournir "au cas par cas et en six mois", des solutions de relogement, proposer un accompagnement psychologique, assurer la bonne coordination des différents intervenants (typiquement pour les maisons mitoyennes), mobiliser tout type d’aide nécessaire, etc. Le rapport recommande sur ce volet la création d’un "bouclier CatNat" pour le relogement des victimes du RGA, avec suspension des remboursements de crédit bancaire et de taxe foncière pour les logements inhabitables.