Mobilité durable - Retour vers le futur
"Quand le Gart a été fondé il y a trente ans, les transports publics étaient un peu une cause perdue, ils étaient considérés comme ringards par l'opinion. Les efforts déployés ont porté leurs fruits car il y a eu depuis un changement des mentalités et du rapport de nos concitoyens à leurs déplacements, aux transports collectifs et à l'automobile", s'est réjoui Roland Ries, le président du Groupement des autorités responsables de transport, le 12 janvier, en présentant les voeux de l'association qui regroupe aujourd'hui 271 autorités organisatrices de transports. Pas question pour autant de s'arrêter en chemin car à l'aube de la nouvelle décennie, de nombreux défis sont à relever. "Nous avons su être pionniers de la mobilité durable, a poursuivi Roland Ries, nous devons maintenant nous attaquer aux nouveaux chantiers qui consistent à développer une offre de transport située entre la voiture particulière, privative, et les transports en commun classiques : le covoiturage, l'autopartage, le transport à la demande, les lignes virtuelles, le vélo en libre service, la marche."
Le président du Gart a rappelé que le changement de perspective à l'œuvre en faveur des transports alternatifs à la voiture individuelle était le fruit d'un travail collectif. Dans le cadre de la division par 4 des émissions de gaz à effet de serre et du Grenelle de l'environnement, l'Etat a décidé de rétablir les aides aux transports urbains et après le succès du premier appel à projets en faveur des transports collectifs en site propre (TCSP), qui a conduit à retenir 57 projets en 2009, le secrétaire d'Etat aux Transports a assuré qu'un deuxième appel à projets de même ampleur serait lancé. De leur côté, les collectivités territoriales ont inscrit les transports collectifs en tête de leurs priorités et les 115 plans de déplacements urbains (PDU) aujourd'hui recensés en France (dont 37% sont purement volontaires) en témoignent. Et les habitants suivent puisque la préoccupation environnementale conduit un grand nombre d'entre eux à revoir leurs habitudes de déplacements. Malgré tout, il reste dans l'immédiat à résoudre plusieurs questions épineuses, à commencer par la pérennité des financements des autorités organisatrices de transports (AOT), a insisté Roland Ries. "Le budget transport représente le quart voire le tiers du budget global des agglomérations et le versement transport ne suffit plus à financer l'offre alternative à la voiture particulière." D'autres pistes de financement sont donc nécessaires et le projet de loi Grenelle 2 adopté au Sénat en a prévu certaines comme la taxation des plus values immobilières à l'occasion de la construction d'une ligne TCSP ou d'une gare TGV ainsi que la possibilité d'expérimenter les péages urbains. Le président du Gart en a évoqué d'autres qui semblent aujourd'hui bien avancées comme la dépénalisation du stationnement.
Miser sur les savoir-faire des usagers
Toutes ces questions avaient été exposées au préalable lors d'un colloque au Conservatoire national des Arts et Métiers, à Paris, au cours duquel experts et élus ont pu détailler leur vision de la mobilité de demain. Les premiers ont mis en avant le rôle central des transports pour faire face à la double contrainte de la raréfaction du pétrole et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Développement des véhicules électriques, urbanisme mieux maîtrisé, relocalisation partielle de l'économie… : la question de l'optimisation des ressources va devenir essentielle dans les années à venir. "Il faut revoir par exemple le gabarit des voitures actuelles car l'adéquation des véhicules à l'usage que l'on en fait suffit à diviser par deux la consommation de pétrole et les émissions de gaz à effet de serre", a souligné Pierre Radanne, ancien président de l'Ademe et auteur du rapport "Facteur 4 sur la réduction des gaz à effet de serre". L'optimisation du couple déplacements et technologies de communication doit aussi faciliter la sobriété énergétique. Surtout, a insisté cet expert en politique énergétique, le secteur des transports a besoin de sortir de sa logique d'organisation actuelle, avec des métiers bien séparés, pour avoir une vision globale de son avenir, comme a su le faire selon lui le secteur de l'énergie.
Pour Sylvain Allemand, historien et sociologue, une politique de mobilité réussie est celle qui mise sur la compétence et les savoir-faire des usagers. "La RATP a mis en place des ateliers mobilité avec des missions locales à destination de personnes en contrats d'insertion pour faciliter leurs déplacements. Mais on peut tout à fait imaginer une démarche analogue pour d'autres publics et même pour les automobilistes pour les aider à utiliser la voiture à bon escient, en l'articulant avec d'autres modes de transport." Il y a aussi des personnes qui ont su développer des savoir-faire à "l'insu de leur plein gré", selon Sylvain Allemand. "On le voit à travers la participation à des sites d'information, de conseils et d'échanges sur les meilleurs itinéraires à prendre ou avec le développement du covoiturage." D'où la nécessité d'après lui de voir aussi l'usager comme un "opérateur de la mobilité".
Répondre aussi aux besoins de court terme
Pour les élus, les enjeux du futur ne doivent pas occulter les préoccupations de court terme. "Lorsqu'on adopte un Scot ou un PLU, il faut au moins dix ans pour en voir les effets sur la politique des transports, a illustré François Goulard, président de la communauté d'agglomération du Pays-de-Vannes et ancien secrétaire d'Etat aux Transports et à la Mer. Or, nous devons aussi répondre aux besoins de transport nés de l'urbanisme actuel, en particulier pour la desserte des zones périurbaines. Le transport à la demande peut alors être une solution adaptée."
L'optimisation du fonctionnement des différents modes de transport passe aussi par de nouveaux outils qui ont besoin d'une maîtrise publique, a estimé Pierre Mathieu, vice-président du conseil régional Champagne-Ardenne. Sa région a mis en place en septembre dernier une centrale de mobilité regroupant 13 AOT sur un total de 14 qui fournit toutes les informations nécessaires pour se rendre d'une adresse à une autre en Champagne-Ardenne. La centrale englobe aussi toute l'offre nationale SNCF au départ de la région. Destinée avant tout aux usagers, la centrale sert aussi , selon Pierre Mathieu, d'"outil d'aide à la décision pour les AOT et pour le monde économique", pour les déplacements des salariés et de toutes les personnes en relation avec les entreprises.
Au cours de ce colloque, les élus ont aussi évoqué la réforme territoriale en cours et les conséquences possibles sur les compétences transports des différents niveaux de collectivités. Les interrogations portent surtout sur l'articulation régions-départements concernant les transports interurbains. "Pour une bonne partie des départements, le transport n'est pas une compétence stratégique, a fait remarquer Charles-Eric Lemaignen, président de la communauté d'agglomération Orléans Val-de-Loire. On pourrait imaginer que les régions se voient confier les transports urbains, en plus des TER, et que les départements conservent les transports scolaires." Reste aussi à résoudre la question financière car en matière de transport, toute augmentation de l'offre génère une augmentation des coûts à la charge de la collectivité. Pour Charles-Eric Lemaignen, il est donc essentiel de continuer de travailler sur des "recettes spécifiques aux transports" comme la dépénalisation du stationnement.
Anne Lenormand