Retour à l'école : les élus locaux posent la question du financement
La stratégie de déconfinement pour l'école soulève de nombreuses interrogations chez les élus locaux. Surtout, elle va entraîner des coûts que l'État ne s'est pas encore engagé à accompagner.
La stratégie gouvernementale de déconfinement pour l'école a été précisée par le Premier ministre le 28 avril 2020 à l'Assemblée nationale. Si elle diffère sur plusieurs points de celle annoncée une semaine plus tôt par le ministre de l'Éducation nationale (lire notre article du 21 avril), les grands principes restent les mêmes. Le retour des élèves aura lieu par tranches d'âge, il se fera sur la base du volontariat pour les familles, et l'enseignement, par petits groupes, nécessitera de mettre en place une formule pédagogique à tiroirs, qui ira du cours en classe jusqu'au cours à distance, en passant par l'étude ou des activités sportives et culturelles. Si ce plan donne un cap, il n'en suscite pas moins de nombreuses réactions chez les acteurs locaux de l'éducation qui s'interrogent notamment sur le financement des indispensables mesures d'adaptation.
"Après les annonces du ministre de l'Éducation nationale la semaine dernière, on avait l'impression d'y voir un peu plus clair, confie Damien Berthilier, président du Réseau français des villes éducatrices (RFVE) et adjoint au maire de Villeurbanne chargé de l'éducation. Mais depuis l'intervention du Premier ministre, c'est le flou. Les annonces d'Édouard Philippe sont moins précises que ce qu'avait annoncé Jean-Michel Blanquer. On a beau être responsables et motivés, il n'est pas possible que les collectivités territoriales ne sachent pas comment elles vont rouvrir les écoles."
"Voulez-vous que nous allions chercher les élèves chez eux ?"
Lors de la séance de questions orales au gouvernement à l'Assemblée nationale, mercredi 29 avril, Jean-Michel Blanquer a pu apporter quelques précisions. Sur le volontariat des familles, qui pourront choisir d'envoyer ou non leurs enfants à l'école, le ministre de l'Éducation nationale a invité à "raisonner a contrario" : "Voulez-vous que nous allions chercher les élèves chez eux et forcer les parents à les accompagner ? Bien sûr que vous protesteriez si nous disions cela. L'instruction est obligatoire en France, ensuite les parents envoient ou pas les enfants à l'école. S'ils ne les envoient pas, il y aura enseignement à distance, et c'est ainsi que nous récupérerons les quelques décrocheurs que nous avons encore." En revanche, aucune précision n'a été donnée à propos des moyens indispensables pour maintenir le dispositif d'enseignement à distance. Une question est, à ce sujet, dans toutes les têtes : comment faire cours à distance lorsqu'on est en classe, et vice versa ?
Sur le protocole sanitaire, déjà disponible en ligne, le ministre de l'Éducation nationale a affirmé qu'il avait été discuté avec les associations d'élus et le Premier ministre mercredi 29 avril au matin. Dans un communiqué du 28 avril, l'Association des maires de France faisait savoir qu'"il conviendra notamment d’établir de manière claire quelles obligations entraînent pour les maires les recommandations sanitaires du Conseil scientifique et du Haut Comité de santé publique, particulièrement en ce qui concerne la désinfection des locaux pour lesquels la notion de bionettoyage risque d’être difficile à mettre en œuvre".
Des décisions au plus près du terrain
Toujours lors de cette séance de questions, le Premier ministre a redit que les décisions d'ouverture d'école se feraient au plus près du terrain. Selon Édouard Philippe, "il faut laisser le maire pouvoir dire aux responsables de l'Éducation nationale qu'à l'école Anatole-France cela ne va pas être la même chose qu'à l'école Jean-Moulin parce que les lieux, la façon de s'organiser, le nombre d'élèves inscrits rendent plus facile ici que là l'organisation parfaite de cette affaire. Et cela, ce n'est pas moi qui peut le dire, ce n'est pas le ministre de l'Éducation nationale, c'est souvent le directeur de l'école, le maire et le représentant local de l'Éducation nationale. Et j'ai totalement confiance dans ces trois acteurs pour prendre de bonnes décisions. Il y aura donc des différenciations, y compris, parfois, à l'intérieur d'une commune". Sur l'enjeu d'une véritable territorialisation de la décision, Damien Berthilier estime que "pour permettre de la souplesse locale, il ne faudra pas que des consignes académiques viennent se superposer aux consignes nationales".
Reste que le plan de déconfinement pour l'école annoncé par le gouvernement laisse encore apparaître des zones d'ombre pour les collectivités locales. La question de la cantine reste un immense point d'interrogation. Étant donné le choix laissé aux parents d'envoyer ou non les enfants à l'école, les collectivités devront attendre afin de savoir combien de repas il leur faudra préparer… et si elles sont en mesure de le faire.
Qui finance ?
Autre question cruciale : les activités périscolaires. Jean-Michel Blanquer avait fait des "2S2C" (sport, santé, culture, civisme) un des socles de la reprise de l'école, invitant à une large coopération entre personnels de l'Éducation nationale, collectivités et acteurs associatifs. Édouard Philippe, dans son discours du 28 avril, les a à peine évoquées, précisant que de telles activités pourraient être proposées "dans des locaux périscolaires mis à disposition par les collectivités territoriales si elles le souhaitent". Sur ce thème, Damien Berthilier déplore le manque de moyens financiers : "Nous n'avons eu aucun engagement de l'État ou de la CAF depuis le début de la crise sanitaire. L'État ne s'engage pas à soutenir l'éducation populaire. On pourrait mobiliser le secteur associatif, mais avec quelle visibilité financière ?"
Cette prise de position fait écho à celle de l'AMF ( lire aussi notre article du 21 avril) qui estime "indispensable de clarifier la question de la prise en charge financière par l’Etat des surcoûts liés au déconfinement et à la fourniture du matériel nécessaire". De son côté, Max Brisson, vice-président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, a twitté : "Aucun cadre ni aucune méthode pour établir la concertation sur le terrain. On renvoie sur les élus avec un discours lénifiant sans la moindre indication sur le niveau où celle-ci va s’établir et sur qui prend en charge quoi et le finance."
Adaptation des locaux, éventuel étalement des horaires d'ouverture ou de cantine, mesures et équipements d'hygiène, recours plus intense aux activités périscolaires : les postes de dépenses nouvelles vont se multiplier avec le retour des enfants à l'école. Pour l'heure, le gouvernement n'a promis son aide financière que sur un seul sujet : l'achat de masques.