Report des élections, reconstruction... La Nouvelle-Calédonie à un moment charnière

Le report des élections en Nouvelle-Calédonie voté par le Sénat le 23 octobre devra être confirmé par l'Assemblée le 6 novembre. Derrière les questions institutionnelles, c'est la reconstruction de l'archipel qui doit s'engager après des mois de violences. Une "mission technique" se rendra sur place dans les jours qui viennent.

A quelques jours de la fin du couvre-feu décrété depuis le printemps en Nouvelle-Calédonie, une étape importante a été franchie dans le processus de désescalade. Le Sénat a voté à l'unanimité, mercredi, une proposition de loi visant à reporter le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie "au plus tard au 30 novembre 2025". Ces élections cruciales pour l'archipel au vu des compétences qu'exercent les provinces devaient se tenir initialement le 12 mai 2024 et avaient déjà été reportées une première fois au 14 décembre 2024. L'objectif du texte est de se donner le temps d'organiser plus sereinement ce scrutin, après des mois de très vives tensions. Et de "donner à la Nouvelle-Calédonie un projet global qui l'inscrive dans son avenir", a insisté le nouveau ministre chargé des Outre-mer François-Noël Buffet.

"Ce texte est soutenu par la quasi-totalité des acteurs locaux et a été approuvé à une très large majorité du Congrès de Nouvelle-Calédonie (dans la nuit de lundi par 47 voix sur 50, NDLR). C'est un signe d'espoir", s'est réjoui le socialiste Patrick Kanner (Nord), qui porte cette proposition de loi. Le sénateur a fustigé "les décisions mortifères" du précédent exécutif ayant "fragilisé ce territoire pour plusieurs années" et "affaibli la position stratégique de la France dans le Pacifique". "En quelques jours, l'exécutif est parvenu à remettre en cause trente-six ans de réconciliation, de reconstruction et de vivre-ensemble", a-t-il dénoncé.

19% des habitants privés de vote

C'est le projet de loi constitutionnelle portant sur le dégel du corps électoral (comme demandé par le Conseil d'Etat au mois de mars 2023) voté par le Parlement au printemps qui avait conduit à l'embrasement de l'archipel (voir notre article du 15 mai). Car la réforme, demandée par le Conseil d'Etat au mois de mars 2023 a été lancée sans accord préalable entre loyalistes et indépendantistes. Le sujet est pourtant très sensible pour les deux parties. Le corps électoral avait été gelé en application de l'accord de Nouméa de 1998. Depuis lors, seuls les natifs de l'archipel et les résidents arrivés avant 1998 peuvent participer au scrutin. Ainsi la proportion des électeurs inscrits sur la liste électorale générale mais privés du droit de vote pour l’élection des assemblées de province et du Congrès, est passée de 7,46% en 1999 à 19,28% en 2023. Après les trois consultations d'autodétermination de 2018, 2020 et 2021 perdues par les indépendantistes, l'exécutif avait décidé de rouvrir le corps électoral aux personnes résidentes sur place depuis plus de dix ans. Quelque 42.500 nouveaux électeurs auraient eu accès au vote, ce à quoi se sont vivement opposés les Kanaks, qui auraient été mis en minorité. Prenant le contrepied de ses prédécesseurs, Michel Barnier avait annoncé, dans son discours de politique générale, le report des élections provinciales "jusque fin 2025" et l'abandon du projet de loi constitutionnelle de dégel du corps électoral (voir notre article du 1er octobre)

Mission de concertation et mission technique

La proposition de loi organique du Sénat, déposée le 16 septembre, a donc reçu l'appui du gouvernement qui l'a placée à son propre ordre du jour en procédure accélérée. Mais pour Patrick Kanner, ce n'est "un blanc-seing". "La complexité de la situation en Nouvelle-Calédonie appelle une réponse globale", a-t-il souligné, évoquant un "cataclysme". "À très court terme, nous risquons également de voir éclater des émeutes de la faim." "Depuis le 13 mai, on dénombre treize morts, 800 entreprises détruites, 24.000 emplois suspendus ou détruits, 2 milliards d'euros de dégâts", a détaillé François-Noël Buffet, appelant à la prudence "car le feu peut encore couver de-ci de-là". "Mais je crois sincèrement que nous pouvons commencer à envisager une nouvelle période, qui sera extrêmement importante, pour la Nouvelle-Calédonie", a -t-il déclaré une semaine après s'être rendu sur place pour son premier déplacement en outre-mer.

Pour renouer le dialogue entre les différentes parties prenantes, une mission de concertation sera menée du 9 au 14 novembre par les présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale, Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet.

Mais le ministre veut travailler à une réponse "globale". Une mission de techniciens sera "mise en place rapidement pour faciliter les procédures, offrir de l'oxygène aux territoires, travailler avec les assurances et se pencher sur le nickel - bref, pour soutenir l'ensemble des Calédoniens", a-t-il annoncé. Le gouvernement travaille aussi à un "programme S2R" (sauvegarde, refondation, reconstruction). "Le Congrès en a présenté un autre. Il faudra trouver les points de convergence, puis apporter un financement", a-t-il évoqué. L'Etat a effectué jeudi un nouveau versement de 20 millions d'euros à la Société Le Nickel (SLN), en grande difficulté. 240 millions d'euros ont été versés depuis le début de l'année pour la maintenir à flot.

La proposition de loi sera à présent examinée par l'Assemblée le 6 novembre. Le gouvernement espère sa publication dans un délai "extrêmement rapide".