Rénovation du bâti scolaire : les élus des collectivités volontaires devant une tâche gigantesque
Les auditions des élus des collectivités devant la mission d'information sénatoriale consacrée au bâti scolaire et à son adaptation à la transition écologique ont montré leur volontarisme face à une tâche qu'ils estiment gigantesque. Malgré les actions entreprises depuis de nombreuses années, des obstacles demeurent pour atteindre les objectifs fixés par la réglementation.
Des consommations énergétiques qui baissent, des factures qui explosent, voilà ce que les élus de terrain ont rapporté devant la mission d’information sénatoriale intitulée "le bâti scolaire à l’épreuve de la transition écologique". Auditionnés respectivement les 28, 29 et 30 mars 2023, élus et agents des départements, des régions et des communes et intercommunalités ont témoigné, face à Jean-Marie Mizzon, sénateur de la Moselle et président de la mission d'information, et Nadège Havet, sénatrice du Finistère et rapporteure, de leur engagement dans la rénovation énergétique des collèges, lycées et écoles.
Le premier constat, unanimement partagé, a consisté à marteler une vérité sans doute mal connue : les collectivités, qui ont récupéré des bâtis scolaires très vétustes après la décentralisation de 1982, notamment de véritables "passoires thermiques" construites dans les années 1960-70, n'ont pas attendu la conjoncture actuelle pour penser aux économies d'énergie et ont déjà effectué beaucoup de travaux de rénovation dans leurs établissements scolaires. Carole Canette, vice-présidente déléguée aux lycées au conseil régional du Centre-Val de Loire témoigne : "Les questions de production, régulation et distribution de chaleur, nous les avons traitées dès 2010 avec les contrats de performance énergétique [CPE] et nous leur avons donné un coup d'accélérateur en 2020."
Des actions qui fonctionnent…
Autre axe d'action abondamment cité : le changement de comportements. Les Hauts-de-Seine, comme d'autres, ont mis en place des dispositifs pour sensibiliser et communiquer. Nathalie Léandri, vice-présidente chargée de l'éducation pour le département, estime qu'"on peut arriver facilement à 20% de baisse de consommation grâce aux bons comportements, notamment à travers le défi Cube.S ou la formation des agents pour gérer les bâtiments".
Les résultats ne se sont pas fait attendre : dans les collèges des Yvelines, où 10 millions d'euros ont été investis dans des panneaux solaires sur 65 collèges "pour un retour sur investissements rapide", la consommation énergétique a baissé de 17% entre 2017 et 2022. Dans les Hauts-de-Seine, ce sont des baisses de consommations de 10% puis 30% qui sont enregistrées depuis 2019 grâce aux CPE. Idem dans le Centre-Val de Loire, où l'objectif de -40% de consommation à l'horizon 2030 par rapport à 2010 est en route. Pol Creignou, directeur général adjoint de l'éducation des Hauts-de-Seine, résume : "Les CPE 'systèmes' [dans lesquels les actions de performance énergétique portent sur les systèmes de gestion énergétique du bâtiment et sur les équipements de production et de distribution, ndlr] sont utiles pour la baisse des consommations. Cela fonctionne pour les trois quarts du patrimoine. En changeant les fenêtres, en mettant des Led, en intervenant sur le chauffage, on peut aller vers 40% d'économies en quelques années si on y ajoute les bons comportements."
… Des factures qui explosent
Malgré ces actions, les factures ont explosé, conformément aux attentes les plus pessimistes de la fin 2022. La région Centre-Val de Loire anticipe ainsi des dépenses en gaz et électricité pour ces cent lycées à hauteur de 21,8 millions d'euros pour 2023, alors qu'elles n'étaient que de 12,2 millions en 2019. Dans le département du Nord, les coûts énergétiques des collèges sont passés de 11 à 35 millions d'euros entre 2021 et 2023. Rien d'étonnant à cela quand on sait que la première source d'énergie utilisée dans les lycées est encore l'électricité, devant le gaz et, de manière ponctuelle, le fioul. Même tableau pour les écoles primaires, gérées par les communes et intercommunalités : selon Delphine Labails, coprésidente de la commission de l'éducation de l'AMF, 89% d'entre elles sont chauffées au gaz, à l'électricité ou au fioul, le bois ne représentant que 7% et les autres sources d'énergie, comme la géothermie, seulement 4%. Or cette dépendance aux énergies fossiles a bien eu l'effet escompté ces derniers mois pour les quelque 50% d'établissements scolaires dont les tarifs ne sont pas totalement ou partiellement bloqués par contrat.
Bien entendu, les travaux de rénovation vont continuer. Mais à quel prix ? Dans les Yvelines, 400 millions d'euros seraient nécessaires pour traiter les cinquante collèges qui doivent l'être. À Marseille, le respect du décret Tertiaire, qui fixe les règles de rénovation énergétique des bâtiments, "implique des investissements gigantesques", pointe Pierre-Marie Ganozzi, adjoint au maire chargé du plan écoles et du bâti scolaire. "À l'instant T, les besoins se chiffrent à 1,2 milliard et on monte quasiment à 2 milliards si on ajoute les coûts de crédit, pour une économie d'énergie à minima entre 30 et 40%", ajoute l'élu. "En région Centre Val de Loire, ce qui nous inquiète, ce sont les étapes ultérieures pour arriver à -50% de consommation en 2040 et à -60% en 2050, annonce Carole Canette. On a chiffré que cela représenterait 1,5 milliard d'euros sur vingt-cinq ans, soit environ 60 millions par an alors qu'aujourd'hui la région investit 100 millions d'euros par an dans les lycées. Cela veut dire qu'il faudrait basculer 60% de ces sommes uniquement sur la rénovation énergétique. Or il y a d'autres investissements nécessaires." Et pas uniquement dans le bâti scolaire… Inès Regnault de Montgon, vice-présidente au développement durable d’Ardenne métropole et de France urbaine, rappelle que les collectivités sont parfois amenées à "prioriser les bâtiments très consommateurs d'énergie, comme les patinoires, et qu'on se rend compte que le bâti scolaire, qui représente 30% des dépenses énergétiques des intercommunalités, n'est pas forcément le plus urgent".
Des formats d'aides inadaptés
Dans ces conditions, d'autres solutions se font jour. On réfléchit à l'architecture des bâtiments. Alors que la surface construite par élève a augmenté ces dernières années, certains commencent à s'interroger sur la nécessiter de poursuivre dans cette voie. Et puis, il y a "trop d'architectes qui se font plaisir en réalisant de grandes baies vitrées plein sud derrière lesquelles, dès le mois d'avril, il fait 35 degrés", s'emporte Pierre-Marie Ganozzi, qui prône "des exigences fortes" de la part des collectivités en matière architecturale.
Surtout, les élus ont unanimement pointé le problème des aides de l'État. Si le Fonds vert est jugé "difficile à mobiliser" et "pas à la hauteur des enjeux", c'est la logique d'appel à projets et le rythme annuel des aides qui fait grincer des dents. Cécile Dumoulin, vice-présidente du conseil départemental des Yvelines, chargée des collèges, se prononce "pour une approche par contractualisation pluriannuelle pour donner de la solidité à notre politique". Carole Canette déplore que "souvent l'État procède par des appels à projet sur une année. Or nous, régions, avons besoin de programmer quand on s'attaque à un parc immobilier de 47 millions de mètres carrés. Le travail n'est optimum que si on a une visibilité sur les aides dont on peut disposer". Delphine Labails renchérit : "Il faut une clarification des aides et une visibilité. Aujourd'hui, quand un élu veut monter un dossier de financement de rénovation du bâti scolaire, il est en difficulté. Il faudrait un panel des aides mobilisables, des cahiers des charges précis, des dossiers de subventions simplifiés et une projection au moins à trois ans." La maire de Périgueux plaide également pour des financements de l'État dédiés au bâti scolaire et au bâti périscolaire et enfin pour que l'on sorte "de la logique où des élus investissent dans des bâtiments et voient leurs classes fermer à court ou moyen terme".
Et si on changeait de point de vue ?
On l'aura compris, si les élus locaux se sont mis à la rénovation du bâti scolaire avec volontarisme, de nombreux obstacles persistent sur leur chemin : énormité des investissements nécessaires, coûts de l'énergie, disponibilités des aides d'État, principes architecturaux à revoir, etc. Pour les franchir, certains vont jusqu'à contourner la logique de la rénovation elle-même. Pol Creignou met les pieds dans le plat : "Les CPE sont-ils de l'argent public investi à bon escient ? Et encore, on parle d'énergie mais pas de bas carbone. Intervenir sur des collèges, ce sont des investissements très importants avec des impacts carbone importants, alors qu'il serait peut-être plus pertinent de faire des investissements dans de la production d'énergies renouvelables dans l'écosystème global. Aujourd'hui, le système favorise les investissements et les travaux mais pas la recherche de production d'énergie renouvelable. Le photovoltaïque est une possibilité pour un tiers de notre patrimoine et il existe un potentiel géothermique extrêmement important en Île-de-France, quitte à faire des travaux plus modestes et à garder un patrimoine plus énergivore." Le débat est ouvert… La mission sénatoriale rendra ses conclusions en juin 2023.