Régis Petit : "Les intercommunalités répondent aux nouvelles attentes de leurs agents"
Meilleure conciliation des temps de vie personnel et professionnel, recherche de sens, télétravail, volonté d'être consultés… Les agents territoriaux ne conçoivent plus le travail de la même façon qu'il y a quinze ou vingt ans. C'est cette évolution du rapport au travail, notamment dans le monde territorial, que l'association des directeurs généraux des communautés de France (ADGCF) a choisi d'aborder lors de ses seizièmes universités d'été, qui se déroulent jusqu'au 5 juillet à Angoulême. Régis Petit, directeur général des services de la communauté d'agglomération Seine-Eure et président de l'association, détaille les enjeux du sujet et décrit comment ce dernier impacte le management. Il s'exprime aussi sur le rapport qu'Éric Woerth a remis fin mai sur la décentralisation.
Localtis - Pourquoi l'ADGCF a-t-elle choisi de faire du rapport au travail le fil rouge de ses seizièmes universités d'été ?
Régis Petit - Nous avons mené en 2023 une enquête auprès de nos adhérents et trois thèmes sont ressortis dans leurs préoccupations, dont celui du rapport au travail. Les directeurs généraux de communautés constatent, comme dans le reste du secteur public et dans les entreprises privées, un changement d'approche quant au rapport au travail, et même un changement de discours – parce qu'on parle parfois de "la fin du travail" dans les sociétés occidentales et modernes. Est-ce un effet post-Covid ? Sans doute. De nombreux collègues constatent que le travail n'est plus nécessairement une fin en soi, mais qu'il est davantage un moyen pour des aspirations personnelles, et qu'il faut trouver plus d'équilibre entre les vies professionnelle et personnelle. Beaucoup de collaborateurs veulent également un travail qui ait du sens. Tout cela nous télescope. De même que le télétravail, dont on ne parlait pas il y a cinq ans, et que nous avons dû mettre en œuvre quasiment en 48 heures au moment de la crise liée à la Covid-19. C'est un sujet qui pose des questions, puisque des collègues occupent des postes "télétravaillables", tandis que pour d'autres - comme les gardiens de déchetterie, ou les assistantes de puériculture en crèche - le télétravail est inenvisageable. Le côté inéquitable de la situation est pointé du doigt par certains de nos collègues. Tout cela nécessite beaucoup de dialogue. Personnellement, j'ai un rendez-vous par mois avec les représentants du personnel, pour échanger sur tous ces sujets.
Ces nouvelles aspirations sont-elles exprimées par toutes les générations, ou seulement par les plus jeunes ?
La génération à laquelle j'appartiens, celle des plus de cinquante ans, considérait le travail comme la priorité et pensait que l'on se révélait dans le travail. Les jeunes générations n'ont plus la même approche. Ces personnes ne s'inscrivent pas nécessairement comme leurs aînés dans une dynamique au long cours. Elles restent chez le même employeur un ou deux ans et ne se voient pas nécessairement passer un concours de la fonction publique pour devenir fonctionnaires. Cela peut même les inquiéter. Elles refusent parfois des CDI, car elles ne veulent pas se sentir attachées. Il n'est pas rare que de jeunes collègues disent, au bout d'un ou deux ans, qu'ils font un break et, par exemple, se mettent en disponibilité… pour partir en Amérique latine. Cela étant, je constate à mon niveau que cette question n'infuse pas qu'au sein des jeunes générations. Des gens plus âgés et plus "installés" veulent eux aussi accorder plus d'importance à leur vie personnelle.
Ces personnes qui souhaitent un meilleur équilibre de vie font-elles preuve de motivation au travail ?
Oui, ces agents ne sont pas moins sérieux et motivés. Ils essaient toutefois de trouver un équilibre plus satisfaisant à leurs yeux. Et ils n'ont pas les mêmes attentes. Par exemple, ils veulent être beaucoup plus impliqués. Ils n'appliquent pas des choses sans comprendre pourquoi ils les appliquent. Ce qui rejoint la quête de sens au travail. Ils veulent pouvoir donner un avis sur ce qu'on est en train de réaliser, être force de proposition. Ils souhaitent qu'on leur fasse confiance et, en même temps, ils sont en demande de soutien, quand ils butent sur un sujet. Ils réclament aussi de la transparence. Tous ces aspects sont très importants dans la motivation des agents.
Ces nouvelles attentes bousculent-elles les directeurs généraux de services (DGS) ?
Absolument. Notre métier évolue beaucoup. Le DGS doit demeurer un généraliste, tout en étant un expert dans beaucoup de domaines – par exemple les sujets financiers. En même temps, il doit beaucoup anticiper les grandes mutations qui vont nous impacter, notamment la transition écologique. Il doit aussi gérer la complexité des relations avec les acteurs du territoire et des coopérations inter-territoriales. Et surtout le style de management a évolué. Cela nécessite de nous adapter. Sinon, le service public ne fonctionne pas correctement. Mais il faut concilier ces nouvelles aspirations avec la nécessité de "faire tourner" les services publics. Car, à la différence d'une usine de vis et de boulons, nous ne pouvons pas décider que nos services ne fonctionneront plus que quatre jours au lieu de cinq. Il faut que les crèches, les déchetteries, les centres de loisirs… soient au rendez-vous pour répondre aux besoins du public.
Comment les DGS font-ils face à ce défi managérial ?
Ce n'est pas facile, il faut s'adapter et ce changement de management prend du temps, parce qu'il faut arriver à comprendre les aspirations de nos collègues. Il faut donc être plus à l'écoute des équipes : il ne suffit pas de montrer des galons pour être crédible aujourd'hui. De plus, le DGS ne doit pas être quelqu'un qu'on a seulement vu en photo, mais on doit le côtoyer et discuter avec lui. C'est mon avis et dans ma communauté d'agglomération, on crée justement des moments pour tous les agents, pour que l'on se voie (cérémonie des vœux, barbecue…). Il faut par ailleurs impulser des modes de management beaucoup plus participatifs. Par exemple, dans mon agglomération, nous avons lancé une réflexion avec des collègues volontaires sur les valeurs que nous souhaitons véhiculer. Quel est ainsi le message que nous faisons passer lors d'un recrutement ? Nous souhaitons nous démarquer par ce moyen, parce que beaucoup de métiers sont en tension. De même, nous essayons de faire en sorte que les agents ne viennent pas seulement effectuer leur travail, mais qu'ils soient fiers de travailler à cet endroit et qu'ils soient des ambassadeurs de leur territoire.
L'intercommunalité a connu des "turbulences" ces dernières années avec la montée en puissance d'une "dynamique communaliste", pour reprendre des termes employés par l'ancien président de l'ADGCF, Yvonic Ramis. Quel est aujourd'hui le discours de l'association sur la place et le devenir de l'intercommunalité ?
Cette dynamique communaliste est toujours présente, on l'a encore vu avec le rapport Woerth sur la décentralisation. Même s'il soulignait l'importance de l'intercommunalité, il a quand même souhaité un nivellement de l'intégration des communautés par le bas, par l'instauration d'un statut unique. Avec une approche très syndicale des choses faisant de l'intercommunalité un prestataire de services pour les communes. Mais nous avons démontré que l'intercommunalité est une vraie réponse à des sujets complexes. Quand, par exemple, elle gère l'eau et l'assainissement, les rendements des réseaux d'eau potable sont supérieurs à 80% et les stations d'épuration sont aux normes. Quand ce n'est pas le cas, le prix de l'eau est certes moins élevé, mais c'est parce que le service est moins bien géré. L'intercommunalité a démontré, par son sérieux et l'exercice des compétences, le fait qu'elle est plutôt pertinente. En fait, ce n'est pas l'intercommunalité qui fragilise les communes, mais leur émiettement. 90% des communes ont moins de 2.000 habitants et 50% ont moins de quatre agents. Si elles transfèrent des compétences à l'intercommunalité, c'est parce qu'elles n'ont pas les moyens de les mettre en oeuvre.
Le rapport Woerth invoque aussi Alexis de Tocqueville pour dire que la commune est la "cellule de base". Mais Tocqueville vivait au 19e siècle et, aujourd'hui, l'espace dans lequel les gens évoluent, est beaucoup plus vaste. La cellule de base, c'est désormais plutôt l'intercommunalité. Mais, en disant cela, je précise que l'ADGCF ne prône pas la suppression des communes.
Je regrette aussi que le rapport Woerth propose d'organiser l'élection du conseiller territorial sur la base d'une circonscription cantonale. Le choix d'une circonscription intercommunale serait plus pertinent, parce que c'est un territoire de vie. Les gens ne savent pas dans quel canton ils habitent. En revanche, ils savent dans quelle intercommunalité ils se trouvent et qui en est le président.
Il y a deux ans, l'association prônait le passage à une élection au suffrage universel direct des élus des intercommunalités, au sein d'une circonscription non plus communale, mais intercommunale.
Ce que l'ADGCF veut pointer, c'est l'absence de débat, au cours de la campagne électorale, sur les projets intercommunaux. Cela n'est pas sans poser de questions, car les compétences exercées par les intercommunalités sont très nombreuses. Mais le sujet n'est pas mûr. Pourtant, il faut trouver des solutions. La participation citoyenne répond en partie à cet enjeu.