Régime Cat-Nat : un rapport du Sénat table sur la prévention pour éviter le naufrage

Un nouveau rapport sénatorial, présenté dans le cadre du contrôle budgétaire, voit dans l’adoption de mesures de prévention par les assurés l’une des clefs de l’équilibre financier du régime "Cat Nat". Le fonds Barnier, en parallèle de la mise en place d’un prêt à taux zéro "résilience", pourrait participer plus activement à soutenir les particuliers dans leurs travaux de prévention.

Pour prévenir une "catastrophe financière" annoncée, la sénatrice Christine Lavarde (Hauts-de-Seine-LR), rapporteur spécial de la commission des finances chargée du suivi des crédits de la mission "Écologie, développement et mobilité durables", a dévoilé, ce 17 mai, ses 16 propositions, suite à son contrôle budgétaire sur le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles. Une proposition de loi doit être déposée dans la foulée devant la Chambre haute pour en reprendre les principales recommandations. 

"Le régime Cat Nat est déjà à bout de souffle. Les sécheresses des dernières années ont considérablement diminué la provision d’égalisation de la Caisse centrale de réassurance (CCR), qui sera à la fin 2024 à un niveau presque nul. Dès lors, une réforme du régime Cat Nat est indispensable, en y mettant au cœur la prévention des risques", relève d'emblée le rapport. Et l’étude publiée en octobre 2023 par la CCR enfonce le clou : le coût de la sinistralité devrait augmenter d’environ 40% à l’horizon 2050, et de 60% si l’on intègre la progression des enjeux assurés. Rien que le coût de la sinistralité "sécheresse" représenterait 43 milliards d’euros, soit un triplement du coût par rapport aux trente années précédentes (13,8 milliards euros), d’après France assureurs. Pour ce qui est de la sinistralité relative aux inondations, la hausse devrait être comprise entre 6% et 19% à horizon 2050. La progression serait encore plus marquée pour les submersions marines : entre 75% à 91% par rapport aux fréquences actuelles. 

Revaloriser annuellement le taux de surprime Cat Nat

Le rehaussement (au 1er janvier 2025) de 12 à 20% du taux de la surprime - la cotisation additionnelle assise sur la prime des contrats d’assurance - "était nécessaire, mais il ne sera pas suffisant pour garantir l’équilibre du régime Cat Nat dans la durée", pointe le rapport. Cela amène à une première préconisation : mettre en place un mécanisme de revalorisation annuelle automatique du taux de surprime, à hauteur de 0,2% par an, avec une clause de revoyure tous les ans. Il s’agit de l’une des préconisations phare du rapport "Langreney" sur l’assurabilité des risques climatiques (lire notre article du 2 avril 2024), que partage le rapporteur spécial. 

Une modification du périmètre du régime Cat Nat n’est en revanche "pas nécessaire à court terme". Les tempêtes Ciarán et Domingos ont certes alimenté le débat, mais il ne semble pas judicieux, à la rapporteur Christine Lavarde, de faire évoluer le périmètre en intégrant par exemple les tempêtes, la grêle et la neige, déjà couverts par le régime assurantiel ordinaire. Le risque lié au retrait-gonflement des argiles (RGA), doit également, estime-t-elle, à ce stade, rester dans le régime, même si "sur un temps plus long, il est possible d’entamer une réflexion sur une éventuelle rétrocession au secteur de la réassurance privée".  

Donner davantage de garanties aux assurés

Une autre préconisation a trait à un sujet évoqué par le Premier ministre lors de son discours de politique générale devant le Sénat, à savoir le fait que certains territoires ne pourront plus être assurés. Le rapport propose d’instaurer une présomption de refus d’assurer pour motif d’exposition aux catastrophes naturelles dans les zones exposées en cas de saisine du Bureau central de tarification (BCT). Il plaide aussi pour l’inscription dans la loi du principe selon lequel la franchise ne doit être payée qu’une fois lors de la succession rapide de plusieurs catastrophes naturelles. Le cas de figure s’est posé lors des inondations récentes dans le Pas-de-Calais.

Un autre axe concerne l’expertise. "Disons-le simplement : il existe une forte présomption d'un manque d'indépendance des experts, d'où découle une forte défiance de la part des sinistrés", souligne le rapporteur spécial, qui préconise entre autres de mettre en place une labellisation "CatNat pour garantir un niveau "socle" de formation des experts, et d’interdire leur rémunération en fonction du résultat, ainsi que les liens capitalistiques entre la société d’experts et l’assureur. 

Assouplir les règles d’indemnisation

Quelques progrès ont été enregistrés sur les critères de la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle dans le cadre du phénomène RGA. L’ordonnance n°2023-78 du 8 février 2023 a notamment prévu un assouplissement "bienvenu" : la succession anormale d’épisodes de sécheresse d’une ampleur inférieure aux critères actuels de droit commun. Une circulaire vient en outre d’apporter deux autres évolutions : la réduction de 25 à 10 ans de la période de retour du critère météorologique et l’assouplissement des critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pour les communes limitrophes. Un décret sur le point d’être publié devrait également venir homogénéiser les rapports d’expertise. Toujours en matière de RGA, le périmètre et la liberté d’usage des indemnisations d’assurance ont été encadrés par l’ordonnance n° 2023-78. 

Deux évolutions sont jugées "plus problématiques" : la limitation des types de dommages éligibles à une indemnisation au titre du régime et l’obligation d’utiliser l’indemnisation pour réparer sur place le bien sinistré. Ce renversement du principe de libre utilisation des indemnisations d’assurance "n’est pas souhaitable puisqu’il conduit à priver d’indemnisation un sinistré qui, plutôt que de réparer son habitation sur place, préférerait s’installer ailleurs, dans une zone moins exposée au risque RGA notamment", souligne le rapport. Sachant que la dérogation apportée par le décret du 4 février 2024 dans le cas où le coût des réparations serait supérieur à celui de la valeur du bien est "insuffisante". Aussi est-il proposé de rétablir le principe de libre utilisation des indemnités d’assurance, et ce pour l’ensemble des sinistres provoqués par des catastrophes naturelles. Le rapport  recommande toutefois d’assortir ce principe d’une obligation de céder le bien sinistré à titre gratuit à la commune et de prévoir que le fonds Barnier contribue aux coûts des travaux de démolition et de remise en état du site. 

Mettre la prévention au coeur du régime 

Mieux prévenir, c’est notamment renforcer les règles de construction dans les zones exposées au phénomène RGA. La direction générale du Trésor a révélé que de premières maisons construites selon les normes prévues par la loi Élan commencent déjà à se fissurer. Plusieurs mesures urgentes s’imposent : réaliser une véritable étude de sol (de type G2) au moment de la cession d’un terrain constructible, rendre obligatoire la réalisation d’une étude de sol approfondie avant la construction d’un bien (moyennant un cofinancement du fonds Barnier pour les ménages modestes), augmenter la profondeur des fondations minimales réglementaires dans les zones exposées au phénomène de RGA (celles-ci sont trois fois plus importantes en Espagne) et renforcer les contrôles de l’application de ces règles. 

Pour inciter les assurés à mettre en œuvre des mesures de prévention, le rapport privilégie par ailleurs "une modulation de la franchise en fonction de l’adoption de mesures de prévention adaptées". Cette logique existe d'ailleurs déjà pour les entreprises qui assurent plus de 300 mètres carrés, reste à l'appliquer aux particuliers. Le fonds Barnier peut également financer de la prévention individuelle, mais celle-ci reste peu développée (environ 6% des financements du fonds en 2023), déplore le rapport, qui pousse à rendre effectif ce levier et plaide également pour l'extension du fonds Barnier à des dispositifs ciblés en matière de RGA et de lutte contre le recul du trait de côte. 

Accorder MaPrimeRénov’ aux travaux de prévention

En parallèle, le rapport soutient la mise en place d’un prêt à taux zéro "résilience" pour aider au financement des dépenses de prévention des risques des particuliers, sur le modèle de l’éco-PTZ "rénovation énergétique". "Un tel prêt serait utile pour les ménages de classe moyenne, qui disposent de suffisamment de ressources pour rembourser un prêt, mais qui ne sont pas prêts à assumer l’ensemble des coûts de travaux". Cela suppose de s'assurer "d'une complète porosité entre MaPrimeRénov' et une nouvelle prime pour la résilience, en tâchant de construire des habitations durables", insiste le rapporteur spécial. "La rénovation d'une maison qui sera inondée demain ou qui se trouve en risque RGA fort a-t-elle du sens ? Non.", explique-t-il. Les rénovations énergétiques globales devraient donc être couplées à des études de risques, ainsi qu'à la réalisation de travaux de prévention. 

Un fonds Barnier décorrélé du taux de la surprime

Enfin, le rapport épingle "la déconnexion entre les recettes de la taxe sur la surprime CatNat et le montant du fonds Barnier". En résumé, les particuliers et les entreprises verseront en 2025 450 millions d'euros au titre de la prévention des risques naturels  (à la suite du relèvement du taux de surprime) alors que seulement 200 millions d'euros seront, bon an mal an, inscrits au budget. Pour le rapporteur, "cette situation est anormale et pose problème, en termes d'acceptabilité, pour des sinistrés qui ne parviennent pas à être indemnisés ou pour des personnes qui ne peuvent pas financer les travaux d’adaptation". Il faudrait donc s'assurer d'une transparence totale des montants collectés auprès des assurés en les retraçant dans les documents budgétaires. "Tous les flux ne doivent pas nécessairement transiter par le fonds Barnier - le fonds vert peut appuyer des actions de prévention -, mais, in fine, 450 millions d'euros devront être consacrés à la prévention des risques naturels majeurs".

 

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