Pouvoirs locaux - Réforme territoriale : remue-ménage à tous les étages !
Amoindrie par rapport à ses ambitions de départ, la réforme territoriale engagée par le gouvernement n'entraîne pas de "big bang". Elle n'en ouvre pas moins une phase de profonde réorganisation générale des acteurs publics locaux, au risque de les déstabiliser. Ni les collectivités, ni l'Etat, pas même les chambres de commerce et d'industrie (CCI), qui ont procédé à une fusion de leurs réseaux, n'y échappent. "Tout le monde est perturbé en même temps", a constaté France Burgy, directrice générale des services (DGS) de la région Haute-Normandie, lors d'un colloque co-organisé le 1er octobre à Paris par le Centre national de la fonction publique territoriale et la Caisse des Dépôts.
Pour les intercommunalités qui doivent grandir, soit 45% d'entre elles, l'enjeu va consister à bien choisir la mariée. "On ne reviendra pas sur les périmètres", prévient Corinne Casanova, vice-présidente de la communauté d'agglomération du Lac du Bourget. L'exercice est compliqué par les délais fixés par le législateur. Pour "se marier" d'ici au 1er janvier 2017, les communautés voisines les unes des autres "ont à peine le temps de se renifler", a-t-elle dit lors de cette rencontre consacrée à la nouvelle organisation née de la réforme territoriale. Pour le transfert des compétences en matière d'eau, d'assainissement ou de gestion des milieux aquatiques (Gemapi), le sursis finalement laissé aux communautés est donc bien accueilli. Du fait des nombreuses digues à entretenir sur le territoire de sa communauté, l'élue "ne sait pas où mène la compétence [Gemapi]". Par ailleurs, s'agissant de la gestion de l'eau, elle constate que "les maires sont viscéralement attachés à leur réservoir d'eau", ce qui ne facilitera pas le transfert.
Départements : le "casse-tête" de la spécialisation des compétences
De leur côté, les départements font face à un vrai "casse-tête" du fait de la disparition de la clause de compétence générale qui les autorisait à agir dans tous les domaines. "Depuis deux mois, on se pose des questions sur nos compétences, a témoigné une chargée de mission du département de la Vendée. On ne sait plus qui on peut accompagner et financer, par exemple s'agissant des associations du domaine de l'environnement. Si on ne peut plus les financer, qui va le faire ?" Le scénario d'un abandon de certaines compétences par le département semble en tout cas déjà envisagé par les métropoles. "Dans le cas d'un désengagement financier du département, par exemple sur l'enseignement supérieur, la métropole et la région vont avoir des discussions qui seront fermes", estime ainsi Bertrand Uguen, DGS de Brest et Brest métropole.
Tous deux présents, les rapporteurs à l'Assemblée nationale et au Sénat de la loi Notr, Olivier Dussopt et René Vandierendonck, se sont, eux, voulus rassurants vis-à-vis des conseillers et des agents départementaux. Le second s'est même demandé si la nouvelle compétence des départements en matière de solidarité territoriale n'accorde finalement pas plus de latitude aux départements que la clause de compétence générale aujourd'hui disparue.
Pour autant, certains départements sont conduits à de profondes interrogations, au-delà de la question de leurs compétences. Elles concernent leur avenir même. Pour Olivier Dussopt, les départements de la petite couronne francilienne (Hauts-de-Seine, Val-de-Marne et Seine-Saint-Denis) se trouvent dans ce cas, du fait de l'émergence en 2016 de la métropole du Grand Paris, composée d'établissements publics territoriaux d'au moins 300.000 habitants. En outre, pour Patrick Le Lidec, les départements dans lesquels sont localisées les métropoles devront à terme renoncer à leurs compétences sur ces territoires. "A plus ou moins brève échéance", le modèle lyonnais va s'imposer, a-t-il pronostiqué. Bertrand Uguen a confirmé les ambitions des métropoles. Celle de Brest agit déjà comme une "tête de réseau" avec des communautés voisines pour monter par exemple des projets communs.
"Le succès des réformes dépend de la mobilisation des fonctionnaires"
Quant aux régions qui vont fusionner au 1er janvier 2016, elles ont tout juste enclenché le chantier. Il faudra "presque un mandat" pour qu'elles "digèrent" cette réforme, assure René Vandierendonck. "Cela ne va pas se passer tout seul sur le terrain", a corroboré France Burgy. Pour qui il va être essentiel d'accompagner les agents. La tâche va être immense : "Certains sont dans le déni et n'ont pas encore compris qu'il y a une fusion dans trois mois", a-t-elle confié.
De nouvelles formes de travail seront nécessaires, a estimé par ailleurs la DGS. Elle a suggéré que, dans l'esprit d'une "véritable co-élaboration", la région accorde par exemple à une autre collectivité ou un ensemble de collectivités le "leadership" sur un volet des schémas régionaux. Le temps où la région réunissait tous les acteurs autour de la table, puis rédigeait seule le schéma est fini. "Il faut arriver aussi à ce que nos collaborateurs descendent sur le terrain", a-t-elle ajouté, en regrettant que ceux-ci restent trop souvent dans leur bureau.
Les agents vont jouer un rôle crucial dans la réussite de la réforme territoriale, a souligné Philippe Calmette, directeur général de l'agence régionale de santé du Limousin. Or, il y aurait selon lui un déficit d'explication et de pédagogie sur les objectifs de la réforme. Plutôt que de justifier celle-ci par la recherche d'économies, il faudrait mettre en avant l'efficacité renforcée des politiques publiques, a-t-il souligné. En jugeant que la fusion des ARS va par exemple permettre de renforcer l'égalité entre les territoires et favoriser la diffusion des bonnes pratiques.
Pendant quelques années, les acteurs locaux vont se replier sur des sujets organisationnels, juridiques et financiers, peut-être au détriment des projets à mener pour les territoires, a nuancé France Burgy. Qui a appelé l'exécutif et les parlementaires à faire une pause dans les réformes. "Dans certaines structures, les agents sont à bout de nerfs", a-t-elle prévenu.