Réforme du RSA : "Tout l’enjeu de l’accompagnement, c’est de maintenir le lien", prévient le collectif Alerte
Dans un document publié le 24 avril 2024, le collectif d’associations Alerte conteste à nouveau la philosophie de la loi Plein Emploi et identifie les difficultés qu’une mise en œuvre trop rigide du nouveau dispositif pourrait entraîner. Sur les 15 heures d’activité hebdomadaires qu’un bénéficiaire du RSA devra effectuer, s’il n’en est pas exempté, à compter du 1er janvier 2025, les points de vigilance sont nombreux. "Le financement de l’accompagnement est une donnée majeure d’une refonte de notre système", met surtout en garde le collectif associatif.
Le collectif Alerte a déjà exprimé à plusieurs reprises son opposition à la philosophie de la loi Plein Emploi (voir notre article de juillet 2023). Alors que des décrets doivent être publiés pour permettre l’application de cette loi au 1er janvier 2025, les associations du collectif réaffirment leurs désaccords dans un document de positionnement publié le 24 avril 2024.
"La loi pour le plein emploi met l’accent sur de nouvelles contraintes pour obtenir ou conserver le RSA [revenu de solidarité active], plutôt que de déployer de nouvelles initiatives visant à garantir des emplois dans les territoires", dénonce le collectif. "Pourtant, les emplois disponibles sont en nombre très insuffisant pour permettre aux millions de chercheurs d’emplois de trouver un emploi leur permettant d’obtenir un revenu décent", poursuivent les associations.
Ces dernières s’insurgent contre le renforcement d’une logique de contrôle traduisant selon elles une suspicion injustifiée à l’encontre des demandeurs d’emploi. "Très peu de personnes inscrites à Pôle emploi, aujourd’hui France Travail, ne font pas d’efforts", déclare Noam Leandri, porte-parole du collectif Alerte, qui s’appuie sur des chiffres publiés par France Travail le 19 avril 2024. Sur un peu plus de 520.000 contrôles réalisés en 2023, 83% "ont confirmé la recherche d’emploi ou permis une redynamisation du demandeur d’emploi" (dont 18% de "redynamisation", soit un impact positif de la démarche de contrôle sur la recherche d’emploi), met en avant France Travail. Les 17% restants, "jugés en insuffisance de recherche", ont été sanctionnés.
15 heures d’activité : vigilance sur la mise en œuvre du régime d’exemption
Le collectif Alerte rappelle en outre son opposition au principe de conditionner le versement du RSA à la réalisation, par le bénéficiaire, de 15 heures d’activités hebdomadaires. Les associations considèrent que le nouveau système "va encore aggraver l’insécurité des personnes en situation de grande pauvreté et le non-recours – qui s’élève à 34 % pour le RSA – en instaurant un chantage à l’allocation". Elles questionnent aussi la faisabilité pratique de ces 15 heures.
"C’est peu adapté à des publics très en difficulté", estime Henri Simorre, représentant ATD Quart Monde, qui appelle à considérer les retours d’expérience de l’application de ces 15 heures dans le cadre du contrat engagement jeune (CEJ). "On arrive tout juste à sept ou huit heures" et "très peu sur des activités structurantes" comme de la formation ou de l’immersion en entreprise, indique-t-il, citant des rapports de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas, voir notre article) et du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ, voir notre article). Il ajoute que "l’offre est très inégale selon les territoires".
Concernant les exceptions aux 15 heures figurant dans la loi, "nous serons particulièrement vigilants à ce que ce régime d’exemption et de semi-exemption soit bien mis en œuvre", signale Adrien de Casabianca, directeur de la communication d’Emmaüs France. Le collectif appelle les responsables du réseau pour l’emploi à avoir une approche progressive et à bien "prendre en compte le travail non marchand déjà réalisé par les allocataires du RSA" (travail domestique, aidants familiaux…), ainsi que des situations particulières qui ne sont pas mentionnées dans la loi (errance et absence de domicile fixe, attente d’une notification de droits par la maison départementale des personnes handicapées, etc.) Une clarification est attendue sur le bénévolat associatif : peut-il être comptabilisé dans les quinze heures ? Si oui, le collectif s’oppose à tout mécanisme de contrôle des heures effectuées par les bénéficiaires du RSA dans leurs associations et diffuse une fiche destinée à aider les responsables associatifs à se positionner.
Quels effets d’un recours accru aux sanctions ?
"Le collectif Alerte refuse l’aggravation des sanctions contre les allocataires du RSA, et le principe même des sanctions, hors cas de fraude avérée", peut-on lire encore dans la note. Rejoignant en cela la position du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE, voir notre article), il appelle à maintenir dans tous les cas un "reste à vivre". Et conteste l’efficacité présumée par le gouvernement de la future sanction de "suspension-remobilisation". Actuellement, "40% des personnes qui sont sanctionnées ne reviennent plus dans le dispositif", affirme Henri Simorre.
Ce chiffre est issu d’une note de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), transmise en septembre 2023 à la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Meccs) de l’Assemblée nationale. Selon ces "éléments statistiques exploratoires sur les sanctions à destination des allocataires du RSA", sur 31.500 bénéficiaires sanctionnés par les CAF en juin 2022 pour non-respect des obligations du contrat d’engagement réciproque, 44% n’ont plus de droit au RSA un an plus tard. La sanction "entraine fréquemment une sortie du droit, puisque pour près de la moitié des cas, aucun calcul de droit n’est réalisé en juin 2023", ajoute la Cnaf dans son analyse. Cela signifie qu’environ 20% des bénéficiaires sanctionnés un an plus tôt ne demandent plus le RSA, sans que l’on sache quelle part d’entre eux aurait alors été éligible et serait donc dans une situation de non-recours.
"Un très gros volume d’accompagnement" à assurer : quels moyens dédiés ?
Les associations craignent en tout cas de perdre le contact avec les plus fragiles. "Tout l’enjeu de l’accompagnement, c’est de maintenir le lien", met en avant Daniel Verger du Secours catholique. "Si l’on a une forme d’industrialisation de ces radiations, cela va augmenter considérablement le non-recours", alerte-t-il. Dans le cadre de l’expérimentation RSA en Côte-d’Or, 184 bénéficiaires ont été radiés sur 1.334 personnes accompagnées, soit près de 14%, illustrent les associations sur la base d’un article du blog de Michel Abhervé.
L’inquiétude des associations porte in fine beaucoup sur les moyens qui seront dédiés à l’accompagnement, alors que le ministère du Travail a déjà subi des coupes budgétaires dans le cadre du décret annulant 10 milliards d’euros de dépenses publiques en 2024. Cet accompagnement doit être "renforcé, personnalisé, de proximité, mais aussi bienveillant", selon Daniel Verger. Ce dernier observe que la mise en œuvre du CEJ mais aussi de l’expérimentation RSA dans les territoires concernés a bénéficié d’une augmentation importante des moyens – une hausse des moyens qui ne semble pas à l’ordre du jour pour le nouveau système RSA au niveau national. Or, "le financement de l’accompagnement est une donnée majeure d’une refonte de notre système", clame le collectif.
"Les millions d’heures d’activités faites par les allocataires du RSA, si la loi est mise en œuvre sans modération et pragmatisme, vont nécessiter un très gros volume d’accompagnement", soutiennent en effet les associations. Ces dernières pointent à cela plusieurs risques : un recours accru à des "opérateurs privés de placement" dont les salariés seraient "peu ou pas formés et mal rémunérés", la prescription d’activités "occupationnelles" (dont du "travail dissimulé" ?) ou peu "structurantes" dans l’insertion socio-professionnelle, ou encore la priorité donnée aux personnes les plus "proches de l’emploi" du fait d’une "pression au résultat".
Les représentants du collectif ont prévu de porter ces différentes alertes auprès du directeur général de France Travail, du ministère du Travail et de Départements de France.