Plein Emploi : quelle réforme de l’accompagnement des allocataires du RSA ?
La durée minimale de 15 heures d’accompagnement par semaine et le régime de sanctions sont les deux principales nouveautés du projet de loi plein emploi concernant l’insertion des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA). Malgré les exceptions et nuances apportées dans le texte final, ces dispositions font l’objet de vives oppositions... jusqu'au recours devant le Conseil constitutionnel déposé jeudi 16 novembre par les députés de la Nupes. Au-delà du changement présumé de philosophie – les promoteurs vantant l’orientation "travail" du nouveau dispositif, les opposants dénonçent la remise en cause de l’inconditionnalité du revenu de subsistance –, la question des moyens consacrés à l’accompagnement est dans tous les esprits. Le point sur les évolutions prévues et retour sur les débats parlementaires qui ont eu lieu lors de la commission mixte paritaire du 23 octobre 2023.
L’accompagnement vers l’emploi devient la règle générale
L’inscription des allocataires du revenu de solidarité active (RSA) sur la liste des demandeurs d’emploi de France Travail, l’opérateur national qui succède à Pôle emploi, est systématisée. L’inscription de la personne qui demande le RSA et de son conjoint s’effectue dès le dépôt de la demande d’allocation. L’ensemble des allocataires seront inscrits sur la liste "à une date fixée par décret, et au plus tard le 1er janvier 2025".
Le département est chargé de l’orientation du bénéficiaire du RSA vers l’organisme en charge de son accompagnement mais "peut déléguer cette compétence à l’opérateur France Travail". L’accompagnement "vers l’accès ou le retour à l’emploi" ou la création d’entreprise, "[pouvant] notamment comporter des aides à la formation, à la mobilité et à visée d’insertion sociale", devient la règle générale. "Toutefois", en cas de difficultés (santé, logement, mobilité, garde d’enfants, situation de proche aidant) "[faisant] temporairement obstacle à leur engagement dans une démarche de recherche d’emploi", une orientation préalable vers "un accompagnement à vocation d’insertion sociale" peut être décidée.
L’accompagnement peut être assuré par France Travail, par le département ou encore par un "organisme délégataire d’un conseil départemental" dans le cadre d’une convention. Un décret doit préciser les conditions d’orientation vers des organismes publics ou privés "fournissant des services relatifs au placement, à l’insertion, à la formation, à l’accompagnement et au maintien dans l’emploi des personnes en recherche d’emploi ainsi que les conditions à remplir par ces organismes". Nul doute que les associations de lutte contre la pauvreté, soucieuses de la qualité de l’accompagnement et préoccupées par le recours à des organismes privés à but lucratif, seront particulièrement attentives au contenu de ce décret (voir notre article du 11 juillet 2023).
Fin 2021, selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees, ministères sociaux), 41% des bénéficiaires du RSA étaient accompagnés par Pôle emploi, 7% par un autre organisme du service public de l’emploi, 31% par le conseil départemental ou territorial et 21% par d’autres acteurs – "principalement des centres communaux d’action sociale, des associations et d’autres organismes d’insertion à dominante sociale".
15 heures d’accompagnement par semaine : "les obligations vont dans les deux sens"
"Trop souvent, les contrats signés par les allocataires du RSA ne sont pas assez orientés vers l'emploi, alors que nombre d'entre eux sont capables de travailler", a considéré le député Paul Christophe (Horizons, Nord), rapporteur pour l’Assemblée nationale, lors de la commission mixte paritaire (CMP) du 23 octobre 2023. "C'est pourquoi, demain, l'allocataire et son référent pourront ensemble fixer des objectifs progressifs afin de construire de nouvelles perspectives professionnelles mais aussi de lever les freins périphériques rencontrés en matière de santé, de logement ou de garde d'enfant", a-t-il mis en avant.
Remplaçant l’ensemble des contrats précédents dont le contrat d’engagement réciproque, un contrat d’engagement est élaboré et signé entre la personne et son organisme référent. Pierre angulaire du nouveau dispositif, ce contrat doit préciser :
- les engagements de l’organisme référent "en matière d’accompagnement personnalisé", concernant notamment la formation et la "levée des freins périphériques à l’emploi". Un "référent unique" doit être désigné au sein de l’organisme ;
- les engagements de la personne, en particulier sur "son assiduité et sa participation active aux actions prévues par le plan" défini ;
- le fameux "plan d’actions" précisant les objectifs d’insertion sociale et professionnelle et "le niveau d’intensité de l’accompagnement requis". Ce plan comporte "des actions de formation, d’accompagnement et d’appui".
Objet de vifs débats ces derniers mois au Parlement et au-delà, la "durée hebdomadaire d’activité du demandeur d’emploi d’au moins quinze heures", introduite par les sénateurs, a été confirmée en commission mixte paritaire (CMP). C'est principalement cette disposition qui est visée par le recours devant le Conseil constitutionnel déposé ce jeudi 16 novembre par les députés de la Nupes (voir notre article de ce jour). Cette durée minimale est assortie d’exceptions. Elle peut en effet être "minorée, sans pouvoir être nulle, pour des raisons liées à la situation individuelle de l’intéressé et au vu du diagnostic global". Elle peut également ne pas être mentionnée dans le plan d’action, à la demande de "personnes rencontrant des difficultés particulières et avérées, en raison de leur état de santé, de leur handicap, de leur invalidité ou de leur situation de parent isolé sans solution de garde pour un enfant de moins de douze ans".
"À l'heure actuelle, une personne au RSA sur deux ne bénéficie pas à d'un véritable plan d'insertion. Les obligations vont donc dans les deux sens, et c'est la raison pour laquelle je soutiens ce dispositif", a souligné le député Philippe Juvin (LR, Hauts-de-Seine), lors de la CMP. "Un allocataire du RSA pourra-t-il former un contentieux si on ne lui propose rien qui lui permette d'effectuer quinze heures d'activités hebdomadaires - ateliers pour lever les freins à l'emploi et accompagnement à la recherche d'un poste ?", lui a répondu la sénatrice Raymonde Poncet Monge (Écologiste, Rhône). D’autres parlementaires soulignent le manque de "garantie" sur la nature des heures d’activités obligatoires, pointant le risque de travail déguisé.
Un régime de sanctions "progressif" et "impératif"
Devant être précisées par décret, des sanctions sont prévues en cas de "manquements aux obligations énoncées dans le contrat d’engagement relatives à l’assiduité, à la participation active aux actions prévues par le plan d’action et à l’obligation de réaliser des actes positifs et répétés en vue de trouver un emploi". Sont citées : les candidatures à des offres d’emploi, les démarches de création d’activité, les actions "concourant à l’insertion sociale et professionnelle" et de mise en œuvre d’un projet de reconversion. Le "contrôle des engagements" pris par les bénéficiaires du RSA revient au département, ou à France Travail si ce dernier est l’organisme référent.
Sont prévues :
- une "sanction intermédiaire, dite de suspension-remobilisation" : il s’agit de la suspension temporaire de tout ou partie de l’allocation pour les manquements constatés ou "lorsque le demandeur d’emploi refuse, sans motif légitime, d’élaborer ou d’actualiser le contrat d’engagement". "Le Sénat a limité à trois mois les sommes pouvant être versées rétroactivement", a précisé le député Paul Christophe (Horizons, Nord), rapporteur à la CMP pour l’Assemblée nationale ;
- la radiation de la liste des demandeurs d’emploi et la suppression de l’allocation "lorsque le demandeur d’emploi refuse à deux reprises, sans motif légitime, une offre raisonnable d’emploi" ou en cas de fraude ou de fausses déclarations.
Ce régime de sanctions était rejeté par les parlementaires de gauche et la plupart des associations de lutte contre la pauvreté, qui dénonçaient l’abandon du caractère inconditionnel du revenu de subsistance et pointaient le risque d’une fragilisation accrue des bénéficiaires du RSA. La rédaction finale garantit un équilibre, selon la sénatrice Pascale Gruny (LR, Aisne), entre le caractère "progressif" des sanctions et leur caractère "impératif (…) dès lors que les manquements sont avérés". Le député Hadrien Clouet (LFI, Haute-Garonne) pointe le risque d’une interprétation "discrétionnaire" de la notion de "participation active" de la personne à sa recherche d’emploi.
Quels moyens mobilisés pour l’accompagnement renforcé ?
Dans ce nouveau cadre, quels moyens seront dédiés à l’accompagnement des bénéficiaires du RSA ? "On nous a dit que 2,5 milliards d'euros seraient consacrés à l'accompagnement, mais les besoins seront bien supérieurs", estime la sénatrice Corinne Féret (Socialiste, Calvados). En mai dernier, le ministre du Travail Olivier Dussopt considérait que la baisse du chômage permettrait à Pôle emploi – futur France Travail – de mobiliser des effectifs (voir notre article du 23 mai 2023).
Le raisonnement s’applique également côté départements : si l’investissement dans l’accompagnement produit des résultats, c’est un gage de moyens supplémentaires. "Depuis 2015, l'accompagnement mis en place par le département a permis de faire baisser durablement le nombre de foyers allocataires, passé de 116.000 en 2016 à 89.000 en 2023", met en avant le département du Nord dans un communiqué du 1er novembre 2023. Fruit notamment de ces "parcours d’insertion personnalisés", la baisse du nombre d’allocataires permet au département de dégager des marges de manœuvre financières pour l’accompagnement.
La Loire-Atlantique est l’un des 18 départements expérimentant l’accompagnement renforcé des bénéficiaires du RSA, dans le cadre de la préfiguration de France Travail. Mais comme deux autres collectivités (l’Ille-et-Vilaine et le Grand Lyon, voir notre article du 10 octobre 2023), le département souhaite "démontrer que c’est bien l’accompagnement qui est la clé de l’insertion et non la menace de sanctions", selon son président Michel Ménard. Dans un communiqué du 9 novembre 2023, le département fait l’inventaire des moyens conséquents mobilisés pour cet accompagnement renforcé des allocataires du territoire "Saint-Nazaire gare" : sept postes supplémentaires dédiés à l’accompagnement financés par l’État, d’autres ressources mobilisées par les partenaires dont Pôle emploi, 11 nouvelles actions financées par le département pour lever les freins à l’emploi (accompagnement par des psychologues, parrainage de professionnels, location de véhicules électriques sans permis…)
"La loi ne sera pas prescriptive dans sa mise en œuvre", a promis Thibaut Guilluy, haut-commissaire à l'emploi, le 10 novembre dernier lors des Assises nationales des départements. Mais pour engager la réforme de l’accompagnement des bénéficiaires du RSA, les départements et leurs partenaires ont besoin de données. Selon le rapport de la mission de préfiguration de France Travail, un rapport intermédiaire sur les 18 expérimentations sera présenté mi-2024, avant la publication, un an plus tard, du rapport final.