Le projet de loi Plein Emploi suspendu à la décision du Conseil constitutionnel
Les députés de la Nupes ont saisi le Conseil constitutionnel, jeudi 16 novembre, sur le projet de loi pour le plein emploi définitivement adopté deux jours plus tôt par l'Assemblée. Ils contestent l'une des mesures phares du texte : les 15 heures de travail hebdomadaire imposées aux allocataires du RSA.
Plus d’un an après le lancement des concertations, la réforme du service public de l’emploi, promesse de campagne d’Emmanuel Macron, n'est pas encore au bout de son parcours. Les députés de la Nupes rejoints par des élus du groupe Liot ont déposé un recours devant le Conseil constitutionnel, jeudi 16 novembre, deux jours après l'adoption définitive par l’Assemblée nationale (190 voix pour et 147 contre) du projet de loi "pour le plein emploi" issu de la commission mixte paritaire (CMP). Et ce quelques jours après les sénateurs.
Si la réforme doit augurer un "saut qualitatif de l’accompagnement vers l’emploi", selon le ministre du Travail, du Plein Emploi et de l’Insertion, Olivier Dussopt, ce n'est pas l'avis des députés qui contestent l'une des mesures phares du texte, à savoir l’obligation de principe pour les personnes inscrites à France Travail d’effectuer "au moins" quinze heures d’activités hebdomadaires dans le cadre du contrat d’engagement (voir aussi notre article de ce jour "Quelle réforme de l’accompagnement des allocataires du RSA ?"). A l’origine, le gouvernement préférait régir cette obligation d’activité de manière plus souple par voie réglementaire. Sur cet aspect, jusqu’au bout les mots ont été pesés par les parlementaires.
Le texte issu de la CMP fixe certes le principe des 15 heures mais précise que cette durée d’activité peut être minorée "sans être nulle" dans certaines situations individuelles, voire ne pas être quantifiée du tout dans certains contrats d'engagement en cas de difficultés de santé, de handicap ou de situation de parent isolé sans solution de garde. Cette disposition qui doit s’appliquer à l’ensemble des personnes inscrites à France Travail (ex-Pôle emploi) a d’abord été pensée en direction des bénéficiaires du RSA, dont certains expérimentent déjà cet accompagnement intensif dans les 18 territoires pilotes.
Des mesures de nature à priver les allocataires des "moyens convenables de subsistance"
Seulement pour les députés de la Nupes, le gouvernement n'a "nullement tenu compte" de ces expérimentations et n'a pas permis au Parlement "de prendre une connaissance précise, étayée et affinée des conséquences concrètes et potentielles de la réforme". Surtout, cette mesure prévue aux articles 2 et 3 "est manifestement contraire à plusieurs dispositions constitutionnelles et principes à valeur constitutionnelle" et "porte notamment atteinte au droit constitutionnel à obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence et au principe de valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité humaine", garantis "par le Préambule de la Constitution de 1946, au principe d’égalité, ainsi qu’au droit au respect de la vie privée". "L’introduction d’une telle obligation de réaliser au moins quinze heures d’activités hebdomadaires, dont la non-observation est sanctionnée d’une suspension ou de la suppression du versement du revenu de solidarité active, est de nature à priver les allocataires dudit revenu de moyens convenables d’existence", font-ils valoir, arguant que le texte "ne tient pas suffisamment compte de ces situations individuelles ou caractérisant l’environnement économique et social de l’allocataire".
Ils contestent également "l’hétérogénéité des modalités de contrôle du respect des engagements par la personne inscrite à France Travail" et "l’externalisation des missions de repérage, de remobilisation et d’accompagnement socioprofessionnel des personnes les plus éloignées de l’emploi", comme portant atteint au principe d’égalité. Ils dénoncent en particulier une "définition imprécise" du contenu du contrat d’engagement et "la possibilité donnée aux départements de déléguer leur compétence de suspendre le versement du RSA à l’opérateur France Travail".
Derniers ajustements sur les comités locaux
En dehors de ces dispositions, le texte institue le désormais nommé "réseau pour l’emploi" comprenant l’ensemble des acteurs du service public de l’emploi, de l’État aux collectivités en passant par les opérateurs spécialisés (missions locales, Cap emploi…) publics ou privés. Pôle emploi, qui deviendra l’opérateur "France Travail" jouera dans un cadre un rôle supplémentaire de coordination technique. La grande majorité des inscriptions des personnes sans emploi, y compris en mission locale ou à Cap emploi, seront enregistrées au niveau de cet opérateur. Tous ces acteurs partageront ensuite procédures et critères communs d’orientation en fonction du profil des personnes. Ils travailleront aussi à un "socle commun de services au bénéfice des personnes et des employeurs". Un comité national sera chargé de définir des "orientations stratégiques" mais aussi - nouvel ajout issu de la CMP - d’évaluer "les moyens alloués" notamment au suivi et à l’accompagnement des personnes sans emploi.
S’y ajouteront trois échelons de comités territoriaux - régional, départemental et local - chargés de décliner cette stratégie et de se coordonner au niveau local mais aussi de réunir des conférences de financeurs pour l’insertion sociale et professionnelle. Au niveau infra-départemental, la CMP a tranché : ce sera finalement le représentant de l’État dans le département, et non de la région, qui décidera du découpage territorial des comités locaux après consultation, et qui désignera les représentants des collectivités qui co-présideront l’instance, après avis de collectivités membres du comité local.
A la suite de la suppression surprise, par l'Assemblée nationale, du service public de la petite enfance, les dispositions instituant les communes comme autorités organisatrices de l'accueil du jeune enfant ont été rétablies. Détail changé, seules les communes de plus de 10.000 habitants (et non plus celles de plus de 3.500 comme dans la version des députés) établissent et mettent en œuvre le schéma pluriannuel de maintien et de développement de l'offre d'accueil dont le contenu sera précisé par décret.