Réforme de l'instruction en famille : un très faible impact sur les collectivités
La réforme de l'instruction en famille va amener près de 30.000 nouveaux élèves dans les écoles. Elle aura pourtant un impact très limité sur les départements et les régions. Pour les communes, l'impact pourrait même être nul en raison des récentes évolutions démographiques.
La réforme de l'instruction en famille n'aura que très peu de répercussions financières pour les collectivités. C'est ce que démontre l'étude d'impact du projet de loi renforçant le respect des principes de la République.
Présenté en conseil des ministres le 9 décembre 2020, le projet de loi prévoit de restreindre la possibilité d’avoir recours à l’instruction en famille. Comment ? En rendant la scolarisation obligatoire dans un établissement d’enseignement privé ou public pour les enfants âgés de trois à seize ans et en ne permettant l’instruction en famille qu’à titre dérogatoire. Chaque famille souhaitant instruire ses enfants en famille devra obtenir une autorisation préalable basée sur une liste restreinte de motifs : santé, handicap, activité sportive ou artistique de haut niveau, itinérance, éloignement géographique. Les parents pourront encore invoquer une situation particulière de l'enfant, à l’exclusion de tout motif politique, philosophique ou religieux, et devront justifier de leur capacité de faire l’instruction à domicile selon l’âge de l’enfant et dans le respect de ses droits.
Très forte croissance
L'étude d'impact commence par présenter un tableau de l'instruction en famille (IEF). Sous forme quantitative tout d'abord. Le nombre d’enfants concernés a connu une augmentation significative entre 2016-2017 et 2018-2019 (+19,3%), et plus encore à la rentrée 2020 (62.398 enfants instruits en famille au 24 novembre 2020, contre 47.671 au 7 octobre 2020, chiffre qui pourrait s'expliquer par la conjoncture sanitaire). L'étude note encore que la proportion d’enfants déclarés instruits dans la famille en dehors d’une inscription réglementée au Centre national d’enseignement à distance (Cned) a été multipliée par quatorze sur la période 2007-2020.
L'étude se poursuit sur un mode qualitatif. Et se montre parfois d'une sévérité poussée. Lorsqu'elle note que les inspections à domicile ont mis en évidence que 10% des enfants contrôlés présentaient "des lacunes majeures", elle ne compare pas ce chiffre aux 21% des élèves scolarisés qui "sont en difficulté et atteignent des niveaux de compétence inférieurs au niveau 2 [sur 6]", selon l'enquête de l'OCDE Perspectives des politiques de l'éducation en France de juin 2020.
Écoles de fait
Autres difficultés mises en avant : "un repli d’ordre communautaire ou sectaire", voire l’existence d’écoles de fait. Un phénomène pourtant extrêmement limité : depuis la rentrée scolaire 2020, seuls deux établissements d’enseignement illégaux ont été découverts en Seine-Saint-Denis. Des associations y accueillaient des enfants "officiellement déclarés instruits dans la famille et leur délivraient un enseignement scolaire en méconnaissance du droit à l’instruction", souligne l'étude d'impact.
Qu'en est-il des raisons du recours à l'IEF ? Selon l'étude, ce mode d'instruction répondrait à trois types de motifs. En premier lieu, la "volonté des parents d’éduquer leurs enfants en dehors de l’école et de l’ouverture sociale et culturelle liée à la diversité des publics et des disciplines enseignées qui lui sont associées". En deuxième lieu, au "souhait de maintenir les enfants dans un environnement restreint et souvent exclusif, notamment religieux, conforme aux convictions de la famille". En troisième lieu, à la "conviction des parents que des pédagogies alternatives et familiales sont plus adaptées aux besoins et rythmes d’apprentissage de leur enfant". L'étude ne dit rien en revanche d'une raison parfois invoquée : le mal-être des enfants dans le cadre scolaire, et en particulier le harcèlement scolaire qui touchait, selon une enquête de la Depp de 2015, environ 700.000 enfants et adolescents, soit 5,5% des élèves.
420 emplois dans le premier degré
En termes d'impact, l'étude s'attarde d'abord sur les aspects budgétaires pour l'État. En estimant à 29.000 le nombre d’enfants concernés par une rescolarisation, "le besoin réel d’emplois supplémentaires […] peut être évalué à un maximum de 420 emplois" dans le premier degré public. Aucun chiffre précis n'est donné pour le second degré public, lequel dans "la très grande majorité des académies connaîtra une croissance des effectifs au collège à la rentrée scolaire 2021". Il conviendra d’ajouter le versement de l’allocation de rentrée scolaire (ARS) aux familles concernées, soit environ 6,25 millions d'euros.
S’agissant de l’impact de la rescolarisation dans les établissements privés des élèves précédemment instruits dans la famille pour l’Etat et pour les collectivités locales, le surcoût calculé sur la base du forfait communal moyen est estimé à 2,8 millions d’euros pour le premier degré et à 0,85 million d’euros pour le second degré.
Baisse démographique
L'arrivée de 29.000 enfants supplémentaires à la rentrée scolaire 2021 est en outre "susceptible d’entraîner des dépenses supplémentaires pour les collectivités territoriales concernées (communes et départements)", pointe l'étude d'impact. À partir d’un coût moyen pour les collectivités locales de 2.400 euros par élève, le coût brut annuel est ainsi évalué à 69,6 millions d'euros pour couvrir l’ensemble des coûts immobiliers, d’hébergement, de restauration et de transports scolaires. Cependant, en raison de la baisse démographique attendue dans le premier degré à la rentrée scolaire 2021, "la dépense globale appréciée au niveau de l’ensemble des communes ne devrait donc pas augmenter du fait de la scolarisation obligatoire, la baisse de la démographie conduisant à annuler le surcoût de la présente mesure pour les communes concernées". Au final, seul demeurerait un surcoût "net" potentiel au titre du second degré public, évalué à environ 12,6 millions d'euros pour l’ensemble des départements et des régions.
Il restait à savoir si la mesure créait ou étendait une compétence ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales, auquel cas elle devrait s'accompagner de nouvelles ressources déterminées par la loi. En l'occurrence, l'étude d'impact juge que la réforme de l'IEF ne constitue pas une extension de la compétence scolaire des collectivités territoriales : "La présente mesure s’apparente davantage à un simple aménagement des conditions d’exercice de la compétence scolaire des communes et des départements, dont le Conseil constitutionnel a jugé qu’il ne s’agit pas d’extension de compétence."
En revanche, la restriction de l'IEF se traduira par une réduction du nombre d’enquêtes diligentées par les communes. Celles-ci sont en effet tenues, dès la première année de l'instruction en famille et tous les deux ans, d'enquêter afin de connaître les raisons alléguées par les personnes responsables de l’enfant et de savoir s'il leur est donné une instruction dans la mesure compatible avec leur état de santé et les conditions de vie de la famille.