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Formation professionnelle - Réforme de la formation : des occasions manquées, d'après l'institut Montaigne

L'institut Montaigne estime que les mesures prises dans le cadre de la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle ne permettront pas de faire de la formation un outil efficace. Il critique les modalités d'abondement du nouveau compte personnel de formation et s'interroge sur le financement de la formation des chômeurs.

Le compte personnel de formation (CPF) risque de rester une coquille vide. C'est l'une des conclusions de l'institut Montaigne, qui, dans une note publiée le 25 septembre 2014, analyse l'impact des nouvelles mesures prises dans le cadre de la dernière réforme de la formation professionnelle (loi du 5 mars 2014).
D'après cette note, signée par Marc Ferracci, professeur d'économie à l'université de Nantes, et Bertrand Martinot, ancien délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) de 2008 à 2012, ces mesures ne permettront pas, à brève échéance, de faire de la formation un outil efficace de sécurisation des parcours accessible au plus grand nombre. C'était pourtant l'objectif de cette réforme, la troisième du genre en dix ans, alors que la formation coûte 32 milliards d'euros chaque année. Or les salariés non diplômés ont trois fois moins de chance de suivre une formation que les autres !
Premier point : le système mis en place reste complexe et très "intermédié" pour les individus, jugent les deux auteurs. Selon eux, malgré certaines avancées, comme la suppression de l'obligation de dépenser pour les entreprises, et des simplifications administratives (plus de justification de dépenses pour les entreprises, versement de la contribution unique à la formation professionnelle à un seul organisme paritaire collecteur agréé), la loi "ne remet pas fondamentalement en cause l'architecture du système et surtout n'apporte guère de réponse à la complexité de ce système pour ses utilisateurs, les salariés et les demandeurs d'emploi". Il estime qu'il faudrait tenter de "mettre en relation directement les individus avec les prestataires de formation".
Certes, la note met en avant les atouts du CPF : sa portabilité, son utilisation possible hors du temps de travail, sans avoir besoin de demander à son employeur, son financement propre (1,2 milliard d'euros contre 180 millions d'euros pour le droit individuel à la formation). Mais elle met en garde contre le risque que ce nouvel outil ne soit au final qu'une "coquille vide", faute "d'abondement suffisant". Le CPF permet en effet d'accumuler, en neuf ans, jusqu'à 150 heures, utilisables pour accéder à des formations certifiantes ou qualifiantes. Des abondements peuvent être réalisés par les entreprises, les branches professionnelles, Pôle emploi et les régions, pour augmenter les heures de formation, mais ces abondements restent facultatifs et "très hypothétiques", d'après l'institut Montaigne. Il estime que la suppression de l'obligation légale de dépenser aurait dû avoir pour contrepartie un abondement obligatoire plus conséquent des CPF "afin de permettre des formations plus longues et d'accroître le pouvoir de négociation des salariés". Concernant les régions, et leur abondement éventuel du CPF, l'institut estime qu'elles risquent de se concentrer, comme aujourd'hui, sur la formation des chômeurs.

Trois scénarios pour le CPF

L'institut critique aussi le caractère indifférencié de l'abondement du CPF, chaque salarié étant doté d'un nombre d'heures similaires alors que les heures de formation des cadres et professions supérieures sont en général plus chères que celles des ouvriers. Il juge aussi "limitée" la somme de 300 millions d'euros issue du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, destinée à accroître le financement des CPF des demandeurs d'emploi, par rapport à la dépense actuelle de formation pour les chômeurs, à savoir environ 4 milliards d'euros, pour les chômeurs, et des besoins exprimés sur le terrain. "Il eût été possible de moduler l'abondement annuel des CPF en fonction du salaire ou de la qualification, mais là encore, l'occasion a été manquée", affirme ainsi la note.
Fort de ces interrogations, l'institut Montaigne dresse trois scénarios. Dans le premier, le CPF ne décolle pas, avec un taux d'accès modeste par manque d'information et d'appétence. Le deuxième scénario est dit "pénurique" : les salariés sont partants mais les employeurs arrivent à contenir les tentatives des syndicats de créer des abondements supplémentaires dans les branches. "Le système deviendrait alors à deux vitesses, estime l'institut, avec des abondements dans les entreprises les plus riches et ayant une forte politique de ressources humaines, et des demandes excédant les financements disponibles pour les salariés des autres entreprises, en général des PME. Le troisième scénario, dans lequel le CPF remporte un franc succès, est qualifié d' "explosif". Les taux de contribution des entreprises sont revus à la hausse, le nombre d'heures de formation dispensées est plus élevée qu'aujourd'hui, le coût de l'heure de formation augmente et la charge sur les entreprises est plus forte.

Formation des chômeurs

L'institut Montaigne s'interroge aussi sur les moyens dégagés pour la formation des chômeurs, à savoir 300 millions d'euros, issus du FPSPP, qui doivent être, en théorie, abondés par les régions, l'Etat ou Pôle emploi. "Ces fonds ne feront essentiellement que se substituer à ceux qui étaient déjà fléchés en tout ou partie vers les chômeurs", détaille le document, citant la préparation opérationnelle à l'emploi et les appels à projets finançant les formations qualifiantes destinées aux titulaires des contrats de sécurisation professionnelle. Même topo du côté des régions et de Pôle emploi, qui, du fait de leurs contraintes financières, risquent de substituer ces abondements aux dispositifs qu'ils financent aujourd'hui.
En conclusion, l'institut Montaigne estime qu'"une réforme plus ambitieuse de la formation professionnelle sera nécessaire en France dans les années qui viennent". Une de plus.