Réemploi des véhicules : la mobilité solidaire au coeur d’une proposition de loi

Réemployer certains des véhicules destinés à être détruits dans le cadre de la prime à la conversion afin de les mettre à disposition des publics les plus précaires, tel est l’objet d’une proposition de loi portée par les sénateurs écologistes. Sur la base du volontariat, les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) seront au centre de ce dispositif destiné à muscler les mobilités solidaires.

Le Sénat va débattre, le 13 décembre prochain, dans le cadre de la niche parlementaire du groupe Ecologiste, d’une proposition de loi (PPL) visant à favoriser le réemploi des véhicules au service des mobilités durables et solidaires sur les territoires. A l’origine du texte, l’ancien sénateur du Morbihan, Joël Labbé, qui avait vainement présenté un amendement proche lors de l’examen de la loi Climat et Résilience. Un consensus transpartisan s’est déjà formé en commission de l’aménagement du territoire et du développement durable conduisant à l’adoption du texte à l’unanimité le 29 novembre dernier. L’équation est simple : d’un côté, bon nombre des véhicules mis à la casse dans le cadre de la prime à la conversion (PAC) en état de fonctionner pourraient voir leur durée de vie rallongée (sous certaines réserves), de l’autre, 13,3 millions de Français en situation de "précarité mobilité" rencontrent des obstacles dans leurs déplacements essentiels aux besoins quotidiens (éducation, formation, emploi, loisirs, accès aux soins, etc.), et particulièrement dans les territoires ruraux. Une proportion de 4,3 millions ne dispose en outre d'aucun équipement individuel de mobilité ou abonnement de transport collectif. La proposition de loi tend donc à donner une seconde vie aux véhicules les moins polluants pour favoriser la mobilité des ménages modestes. Pour ce faire, le texte prévoit leur mise à disposition gracieuse aux autorités organisatrices de mobilité (AOM) volontaires afin qu’elles déploient - directement ou par l’intermédiaire d’associations comme les garages solidaires - des services de location solidaire. 

Des services de mobilité solidaire insuffisants par rapport aux besoins

La loi d’orientation des mobilités (LOM) de 2019 a expressément confié aux AOM un rôle en la matière. Certaines d'entre elles ont d'ores et déjà mis en place de tels services de mobilité solidaire, à l'exemple, de la plateforme "COCM'obilités" mise en place par la Communauté de communes Côte Ouest Centre Manche, qui permet la location de véhicules à prix modique à des personnes en situation d'insertion professionnelle. Faute d'un cadre législatif précis auquel se référer, ces initiatives se déploient "en ordre dispersé", remarque le rapporteur du texte Jacques Fernique. Le modèle économique des garages solidaires, qui dépend essentiellement des dons de véhicules - d'ailleurs largement asséchés par le déploiement de la PAC -, demeure également "fragile", et "sans commune mesure par rapport aux besoins". Quant au "leasing social", tel qu'annoncé par le gouvernement (loyer mensuel de 100 euros par mois), il "ne permettra sans doute pas de lever les obstacles à l'accès des publics les plus précaires aux véhicules électriques, compte tenu de leurs capacités de financement limitées", relève le rapporteur. 

Ménager la chèvre et le chou

Comme l'indique le bilan dressé par le Commissariat général au développement durable (CGDD) en septembre 2022, la PAC a fait ses preuves. Pour rappel, elle permet notamment aux particuliers (sous conditions de ressource) de se voir verser une aide allant jusqu'à 9.000 euros pour acquérir un véhicule peu polluant - classé Crit'Air 0 ou 1 -, en échange de la mise au rebut d'un véhicule plus polluant - classé Crit'Air 3, 4, 5 ou non classé. Sur l'année 2021, il est estimé que 45 tonnes d'émissions de particules fines et 160.000 tonnes d'émissions de CO2 ont ainsi pu être évitées. Pour autant, le fait de détruire, de façon systématique, l'ensemble des véhicules "remplacés"  "ne va pas de soi, y compris du point de vue écologique", souligne le rapporteur. Autrement dit, le texte table sur des bénéfices sociaux mais aussi environnementaux. Selon Guillaume Gontard, président du groupe Ecologiste, cette PPL est "emblématique de ce que peut être l’écologie de terrain : pratique, concrète et au bénéfice des populations".  

Hors zone à faibles émissions mobilité (ZFE-m), dans lesquelles certaines catégories de véhicules ne peuvent ou ne pourront plus circuler, une part considérable des véhicules mis au rebut - notamment ceux classés Crit'Air 3 - s'avère en effet "moins polluante qu'une partie du parc automobile roulant". Ainsi, 59% des véhicules mis au rebut dans le cadre de la PAC pour l'année 2022 (pour un total de 92.000) étaient classés Crit'Air 3 (dont 20 à 30% de véhicules à essence). Le dispositif de mobilité solidaire pourrait donc bénéficier d'un gisement de "quelques dizaines de milliers de véhicules", moins polluants que de nombreux véhicules utilisés jusqu'à présent par les garages solidaires. Ce mécanisme permettrait également d'éviter le gâchis de matériaux généré par la mise à la casse et la production de nouveaux véhicules. 

Garde-fou

Compte tenu des impératifs de décarbonation et d'amélioration de la qualité de l’air,  un  garde-fou essentiel a été introduit en commission pour "tenir compte du niveau de pollution et de l’état de fonctionnement des véhicules". Concrètement, seront uniquement éligibles les véhicules à essence classés Crit'Air 3 ou moins. Le principe d'une consultation de l'Ademe sur le futur décret d’application est conservé. Par ailleurs, dans l'objectif d'encadrer la durée de réutilisation des véhicules et d'assurer leur traçabilité, la commission a précisé que seuls les services de location sont inclus dans le dispositif, excluant toute possibilité d’achat.

Selon la même logique, seule l'AOM pourra avoir la propriété des véhicules utilisés dans le cadre de services de location solidaire prévus par la PPL. Les modalités d'action des AOM en matière de mobilité solidaire seront inscrites dans les plans de mobilité et les plans d'action communs en matière de mobilité solidaire de façon "à favoriser la coordination entre les parties prenantes au dispositif (AOM, départements, associations reconnues d'utilité publique, organismes concourant au service de l'emploi, etc.)". Pour permettre une adaptation du dispositif aux spécificités de chaque territoire et clarifier les responsabilités de chacun, des conventions seront conclues localement entre les AOM, les associations concernées, les concessionnaires automobiles volontaires ainsi que les centres VHU et départements volontaires. 

La définition du champ des bénéficiaires, dans le décret d'application, prendra en compte un critère de ressources. 

Enfin, le texte propose, via un rapport, d'étudier des mesures pour permettre le développement du rétrofit (conversion en électrique) au sein des garages solidaires et des associations de mobilité solidaire. Un pan du texte qui intéresse tout particulièrement le gouvernement, qui pourrait bien apporter son soutien à cette PPL grâce aux amendements introduits en commission pour mieux cadrer le dispositif. "On n’a pas fini d’amender ce texte", reconnaît le rapporteur. D’autres questions importantes devront être abordées en séance. Le dispositif pourrait entre autres avoir des répercussions sur les obligations des collectivités relatives au verdissement de leurs flottes...