Environnement - Réduction de l'usage des pesticides : un député pointe les lacunes du plan Ecophyto
Quels sont les points forts et points faibles du plan Ecophyto, lancé il y a six ans et ayant vocation à "généraliser les pratiques agricoles économes en pesticides" ? C'est à ce bilan, complexe étant donné l'enjeu, que s'est attelé le député socialiste Dominique Potier, à la suite d'une mission confiée au printemps dernier par le Premier ministre. Et ce dans un contexte marqué par une augmentation de l'usage des fongicides et herbicides, du moins en 2013, comme en témoignent les derniers chiffres officiels.
Dynamique collective
En perspective donc émerge le projet d'établir une nouvelle version de ce plan. C'est bien ce que recommande le député de la Meurthe-et-Moselle, après avoir entendu près de 200 personnes et 90 organismes. Pour commencer, son rapport rappelle que les impacts des pesticides ne se limitent pas à la pollution de l'eau mais aussi à celle de l'air et des sols. "Or leur suivi est encore peu développé." Ils sont pourtant soupçonnés d'être des "réservoirs intermédiaires voire de transit". Certes, pour l'air ambiant, les associations agréées de surveillance de sa qualité (Aasqa) pistent les pesticides présents par volatilisation. La région Centre est par exemple pionnière en la matière. "Mais ce suivi est trop hétérogène", estime le député. Quant au suivi de leur devenir dans les sols, il est réalisable depuis peu mais son interprétation bute sur des difficultés. Le député préconise aussi un meilleur suivi de ces effets sur la biodiversité. Pour une meilleure approche, il prône également plus de liens entre agronomie, ingénierie écologique et sciences de la santé. Pour l'heure, "au-delà des réseaux de praticiens pionniers, la dynamique collective n'a pas encore suffisamment diffusé".
Table rase ou continuité ?
Dominique Potier considère qu'il ne faut pas abandonner ce plan Ecophyto - "au nom de son apparente inefficacité" - mais plutôt le remodeler, "en étendant son emprise à des leviers nouveaux". Et tout en améliorant sa cohérence avec les politiques publiques et stratégies économiques "ayant un lien direct ou indirect avec les pratiques phytosanitaires". Il conseille ainsi de renforcer l'accompagnement technique des agriculteurs et gestionnaires d'espaces, et de faire évoluer des outils du plan tels que les réseaux Dephy et Certiphyto. En terre agricole, une des clés du succès repose sur la diversification des cultures. Du chemin reste aussi à faire pour que les Outre-mer deviennent des lieux privilégiés et remplissent un rôle pilote en matière d'agro-écologie tropicale. Cap à suivre : faire de l'agro-écologie l'une des priorités, et un indicateur plus net de la réussite du plan. Pour franchir un premier cap, celui d'une réduction des usages de 25% d'ici cinq ans, l'élu mise sur les solutions et innovations visant à économiser les intrants et à réduire les pertes de produits. L'alternative que représente le biocontrôle, méthode de protection des plantes qui privilégie l'utilisation de mécanismes et d'interactions naturels, fait l'objet d'un éclairage.
Dans tous les cas, se contenter d'inciter au changement de pratique ne suffit pas. "En cela, le plan a pêché par idéalisme". Et de déplorer sa "vision trop étroitement technique et pas assez systémique de la gestion phytosanitaire" : les interférences entre le plan et le fonctionnement des marchés et filières agroalimentaires, mais surtout avec la politique agricole commune (PAC), sont à mieux prendre en compte. Autres défauts du plan : son trop plein d'actions, un manque de lisibilité et de souplesse, "une machine très lourde et redondante dans sa gouvernance", une articulation insuffisante avec l'échelon régional, l'absence de certains corps de métiers et "des collaborations interrégionales trop rares".
Loi Labbé qui ne résout pas tout
A l'appui, citant plusieurs enquêtes réalisées notamment par Plante & Cité, le rapport souligne que la réduction de l'usage des herbicides par les collectivités se cantonne aux espaces verts, et que les plus petites communes sont celles qui rencontrent le plus de difficultés à passer à l'acte. Certes, la loi Labbé interdit d'ici deux ans leur utilisation pour l'entretien des espaces verts, forêts et promenades accessibles au public. Mais elle "ne résout pas tout". En effet, du fait que ces lieux ne correspondraient pas à des catégories juridiques établies, un certain flou persiste. Et voirie urbaine, cimetières, terrains de sport et gestionnaires d'infrastructures de transport ne sont pas soumis à obligation, au même titre que les gestionnaires d'espaces de type parcs d'attractions.
Place des intercommunalités
Malgré tout, le zéro phyto progresse en Bretagne, en Poitou-Charentes mais aussi en Ile-de-France, où le nombre de conventions (Phyt'Eaux Cités) signées a nettement grimpé l'an dernier. L'axe du plan concernant les zones non agricoles (ZNA) souffre d'un problème de définition : du fait de l'interpénétration urbain-rural, ces zones ne reposent sur aucune réalité géographique. La faible implication des collectivités dans les quelques instance de pilotage et de coordination n'arrange pas les choses. Deux autres points faibles : un manque de relais entre groupes de travail nationaux et territoires, et le besoin de renforcer la communication de proximité. Il préconise donc une implication plus systématique des intercommunalités (appui à des plans de désherbage, mutualisation de matériels) et d'inclure l'usage des pesticides dans les règles d'éco-conditionnalité des aides publiques à la création d'espaces. Enfin, il pointe des problèmes de trafics de produits phytosanitaires produits en Espagne et distribués illégalement en France, pour des volumes consommés pour l'essentiel en viticulture et arboriculture dans le Midi et le vignoble champenois.
Un nouveau plan à préparer
Selon Matignon, "le rapport formule de nombreuses préconisations qui rejoignent les préoccupations constantes de nos concitoyens : la préservation de la santé publique et de l'environnement, la transition agro-écologique et plus particulièrement la diminution du recours aux produits phytosanitaires". Manuel Valls a donc chargé les ministres Ségolène Royal (Ecologie) et Stéphane Le Foll (Agriculture) "d'engager un nouveau plan de réduction de l'utilisation des pesticides en France", selon un communiqué de ses services. De son côté, Ségolène Royal a rappelé les décisions prises depuis son arrivée au ministère de l'Ecologie : interdiction de l'épandage aérien de pesticides et amendement dans la loi de transition énergétique ; date d'entrée en vigueur de l'interdiction d'usage des pesticides par les collectivités avancée au 31 décembre 2016, dans la loi de transition énergétique ; généralisation de la démarche 'Terre Saine, Communes sans pesticide', avec remise d'un label aux 400 premières communes en mai 2015 ; troisième Conférence Environnementale pour le plan Santé-Environnement (réévaluation des pesticides classés cancérigènes mutagènes et reprotoxiques, réexamen des "néonicotinoïdes") ; priorité donnée "à la reconquête et la gestion de la ressource en eau, en quantité et en qualité" ; intervention au Conseil européen de l'Environnement pour demander à la Commission d'accélérer la définition des perturbateurs endocriniens. La ministre de l'Ecologie a affirmé retenir "en priorité" sept actions, parmi les propositions du rapport Potier : faire de la réduction des herbicides dans l'eau une priorité, en déterminant des normes de qualité environnementale "NQE" pour les 3 substances les plus présentes dans l'eau ; expérimenter les "certificats d'économie de phytosanitaires", à l'instar de ce qui se pratique dans le domaine de l'énergie ; multiplier par 10 le nombre d'agriculteurs formés aux méthodes alternatives aux pesticides ; "faire rayonner les 3 000 'fermes Dephy' (agriculteurs accompagnés par des ingénieurs) car c'est véritablement la preuve que si l'on investit dans des méthodes alternatives, ça marche : on réduit l'utilisation des phytos", estime Ségolène Royal. Autres actions jugées prioritaires par la ministre : développer l'agriculture bio en généralisant le bio dans la restauration à domicile, les cantines scolaires, etc. ; lancer une campagne de surveillance des pesticides dans l'air, documenter les usages de pesticides par les particuliers et poursuivre l'interdiction des substances les plus dangereuses ; enfin, pour les jardins et espaces publics, lister les produits de substitution à encourager, ne plus autoriser la vente en libre service des produits interdits en 2022, et assurer un "suivi renforcé de la collecte et de l'élimination des produits non utilisés et des emballages vides".