Recul du trait de côte : les modalités du droit de préemption spécifique enfin définies

Le phénomène de recul du trait de côte, qui touche 20% des côtes françaises, exige de déployer des outils particuliers pour permettre la relocalisation des personnes et des activités déplacées. À cet effet, la loi Climat et Résilience a entre autres créé un droit de préemption spécifique au bénéfice des communes littorales concernées, et dont les conditions d’application viennent d’être précisées par décret.

Un décret relatif aux modalités d'application du droit de préemption spécifique pour l'adaptation des territoires au recul du trait de côte - mesure d'application des articles L.219-1 et suivants du code de l'urbanisme, issus de l’article 244 de la loi Climat et Résilience, et de l'article 1er de l'ordonnance n°2022-489 du 6 avril 2022 relative à l'aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte - est paru ce 29 juin. Pour conduire la politique de recomposition territoriale, et notamment la relocalisation progressive de l'habitat et des activités imposée par le phénomène de recul du trait de côte, des outils d'urbanisme et d'aménagement, et en particulier de maîtrise foncière ont été renforcés depuis la loi Climat et Résilience, rappelle la notice du décret. Et parmi eux, un nouveau droit de préemption propre à l'adaptation des territoires exposés au recul du trait de côte. Le décret n°2022-1289 relatif à l'information des acquéreurs et des locataires sur les risques auxquels ils sont exposés est quant à lui déjà paru.

La liste des communes menacées par l’érosion - publiée par décret du 29 avril 2022 et révisée en juin dernier (lire notre article du 11 juin 2024) - dont l’action en matière d’urbanisme et la politique d’aménagement doivent être adaptées au recul du trait de côte est la base de ce dispositif volontaire destiné à enclencher des dynamiques locales d’adaptation. Cette démarche doit se matérialiser par des cartes locales de projection du recul du trait de côte aux horizons de 30 ans et 30-100 ans. Une fois intégrées dans les documents d’urbanisme, ces cartes donnent accès aux nouveaux outils créés par la loi. Le droit de préemption, au bénéfice des communes concernées (ou EPCI compétents), s’applique dans l'intégralité de la zone exposée au recul du trait de côte à horizon de 30 ans, et le cas échéant (facultatif), sur tout ou partie de la zone exposée à un horizon compris entre 30-100 ans, si le bénéficiaire délibère en ce sens. 

L’ordonnance du 6 avril 2022 contient certaines précisions permettant de consolider le cadre du droit de préemption ainsi créé dans la loi. Elle permet également de définir une méthode d'évaluation des biens les plus exposés au recul du trait de côte à horizon de 30 ans, applicable dans le cadre de l’exercice du droit de préemption (ou en cas d’expropriation). L’absence totale de visibilité sur les modalités de financement des projets de relocalisation demeure toutefois un obstacle majeur à la concrétisation de cette démarche. D’autant que selon les projections du Cerema, les enjeux financiers pourraient s’élever à 1,2 milliard d’euros d'ici 2050 (5.200 logements et 1.400 locaux d’activités) et à horizon 2100, atteindre 86 milliards d’euros (450.000 logements menacés). 

Coopération avec les Safer

Ce droit de préemption spécifique permet d'acquérir des biens situés dans les zones concernées, en vue d'assurer leur renaturation, et de pouvoir éventuellement autoriser "de façon transitoire" (avant leur renaturation) par convention ou bail un usage ou une activité compatible avec son niveau d’exposition. Dans les zones exposées au recul du trait de côte, les autres dispositifs de préemption (comme le droit de préemption urbain, le droit de préemption lié aux zones d’aménagement différé et le droit de préemption commercial) ne s’y appliquent pas. En revanche, ce droit de préemption spécifique au trait de côte ne peut primer sur le droit de préemption sur les espaces naturels sensibles.

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"Ce droit de préemption peut trouver à s'appliquer dans des zones 0-30 ans et 30-100 ans qui couvrent également des espaces agricoles sur lesquels le droit de préemption des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) est également applicable", relève le ministère de la Transition écologique. Dans cette hiérarchie, à l'instar d'autres droits de préemption des collectivités territoriales, le droit de préemption objet du présent décret "prime le droit de préemption des Safer". "Le législateur a indiqué qu'il convenait de coopérer avec la Safer, pour permettre aux acteurs de s'entendre en cas de préemption", souligne la notice. La collectivité concernée peut ainsi mobiliser directement le droit de préemption qu'elle a instauré, le déléguer à un acteur compétent, notamment à un établissement public foncier (EPF), et/ou conventionner avec une Safer pour intervenir dans certaines situations. 

Conditions reprises du droit commun

Les modalités d'application de ce droit de préemption spécifique sont en tout ou partie reprises des dispositions existantes applicables à d'autres droits de préemption prévus au code de l’urbanisme. Le décret précise les conditions d’affichage (en mairie pendant un mois), de publication (mention dans deux journaux diffusés dans le département) et de transmission (services fiscaux, notaires, greffes des tribunaux, etc.) de la délibération instaurant le droit de préemption dans la zone 30-100 ans, en s'inspirant de celles de droit commun applicables pour les autres droits de préemption. De la même manière, il reprend des dispositions sur les modalités de la délégation et sur celles de communication aux services fiscaux. "Ainsi, comme le prévoit l'article L.219-6 du code de l'urbanisme, il permet d'informer le plus en amont possible le directeur départemental ou régional des finances publiques dont les services pourront assurer leur rôle de conseil en matière de méthode d'évaluation et le cas échéant d’abattement", explique le ministère. Cette méthode d'évaluation s'appuie sur un cadre spécifique qui est déjà prévu par les dispositions législatives (article L.219-7). 

A peine de nullité, la déclaration d’intention d’aliéner est ainsi adressée (en trois exemplaires) par le propriétaire à la commune où est situé le bien, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou déposée contre décharge, ou adressée par voie électronique en un seul exemplaire, précise le décret. La transmission d'une copie de cette déclaration au directeur départemental ou régional des finances publiques est faite, en un exemplaire, selon les mêmes modalités. L'action en vue de faire constater la nullité s'exerce "devant le tribunal judiciaire du lieu de situation du bien", est-il indiqué. 

Le silence du titulaire du droit de préemption gardé pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration vaut renonciation à l'exercice de ce droit. Ce délai est décompté selon les modalités prévues au second alinéa du I de l'article R.213-7 (cas général), c’est-à-dire à compter de la date de l'avis de réception postal du premier des accusés de réception ou d’enregistrement, ou de la décharge de la déclaration. 

Lorsqu'il envisage d'acquérir le bien, le titulaire du droit de préemption transmet sans délai une copie de la déclaration d'intention d'aliéner au responsable départemental des services fiscaux. La décision du titulaire fait l'objet d'une publication. Elle indique l'estimation du bien par les services fiscaux. Elle est notifiée au vendeur, au notaire et, le cas échéant, à l'acquéreur potentiel mentionné dans la déclaration d'intention d'aliéner. 

Enfin, le décret indique les documents de nature spécifique à fournir en cas de demande de pièces complémentaires, et précise les conditions pour toute demande de visite du bien  (non suspensive des délais) en créant deux articles D.219-4 et D.219-5. 

Référence : décret n°2024-638 du 27 juin 2024 relatif aux modalités d'application du droit de préemption pour l'adaptation des territoires au recul du trait de côte, JO du 29 juin 2024, texte n°50.