Érosion côtière : les pistes de financement du rapport inter-inspections enfin dévoilées
Sur la table du ministère de la Transition écologique depuis novembre 2023 mais rendu public début mars, le rapport inter-inspections dévoilant des propositions pour financer la lutte contre l’érosion côtière et soutenir les propriétaires et collectivités impactés a vocation à nourrir les discussions au sein du nouveau comité national du trait de côte (CNTC), avec en ligne de mire la prochaine loi de finances. La mission rejette tout dispositif d’indemnisation globale et privilégie une intervention sélective de la solidarité nationale pour les propriétaires occupants de résidences principales. Pour soutenir les collectivités, elle recommande de mobiliser prioritairement les dispositifs existants, en abondant le fonds vert et en s’appuyant notamment sur la taxe Gemapi.
Officiellement installé il y a tout juste un an, le comité national du trait de côte (CNTC) a tenu, fin février, une réunion plénière autour de la présentation tant attendue du rapport inter-inspections - Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) et Inspection générale de l’administration (IGA) -, dévoilant des propositions pour financer la lutte contre l’érosion côtière et soutenir les propriétaires et collectivités impactés. Rendu public le 8 mars, ce rapport doit en effet servir de base aux futures discussions, avec en ligne de mire une nouvelle Stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte, et des aides financières correspondantes intégrées dans la loi de finances de 2025.
Beaucoup d'inconnues sur le plan financier
Dans son dernier rapport annuel, la Cour des comptes, qui examine différents versants de l'action publique pour l'adaptation climatique, juge nécessaire une réforme du dispositif de financement de gestion de l’érosion côtière et une montée en puissance du dispositif instauré par la loi Climat et Résilience (voir notre article du 12 mars 2024). Cette loi - complétée par l'ordonnance du 6 avril 2022 relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte - a renforcé les outils d’aménagement et de maîtrise foncière à disposition des collectivités pour adapter et anticiper ce phénomène amplifié par le changement climatique "sans ouvrir droit à de nouveaux financements spécifiques", relève la mission IGEDD/IGA.
L’érosion côtière est un risque naturel délaissé du fonds Barnier, et le recul progressif anticipable du trait de côte, un enjeu d’aménagement du territoire. Autrement dit, la balle est dans le camp du bloc local. Les collectivités ont en particulier été invitées à prendre en compte les évolutions du trait de côte dans leurs documents d’urbanisme (avec un cofinancement des cartes locales d'exposition du territoire à 30 et 100 ans par l’État à hauteur de 80%). Deux décrets (n°2022-750 du 29 avril 2022 et n°2023-698 du 31 juillet 2023) ont d’ores et déjà établi une liste des communes volontaires au titre du dispositif (au nombre de 253 communes) et un troisième est attendu courant 2024 pour la compléter. Des projets partenariaux d’aménagement (PPA) ont également été signés avec 8 territoires sur ces trois dernières années et financés sur le plan de relance puis le fonds vert. Une prise en main encore bien timide aux yeux des inspections générales de l'Etat…
Vers une inscription d’office au "décret liste" pour les communes les plus exposées
La mission a demandé au Cerema d’établir l’inventaire des biens menacés à 5 ans et des projections à 2050 et 2100. Résultat : environ mille biens de toutes sortes (logements, locaux commerciaux, etc.) sont exposés au recul du trait de côte à très court terme, révèle l'étude. C'est un phénomène qui va crescendo. "Phénomène lent aujourd’hui et freiné/stoppé par les ouvrages de protection, l’érosion sera fortement amplifiée à l’avenir par l’élévation du niveau marin qui s’accélèrera dans la seconde moitié du siècle impactant plus fortement les zones basses", souligne le rapport.
"D’ici 2050, dans l’hypothèse où tous les ouvrages actuels continuent d’offrir la même protection, les impacts de l’érosion resteront relativement modérés au plan national : 760 ha urbanisés seront érodés et 8.500 locaux menacés, dont 5.200 logements et 1.400 locaux d’activités", détaille-t-il, tout en faisant part "de situations contrastées sur le territoire". Un nombre relativement restreint de communes concentre ainsi des enjeux importants : sur les plus de 600 communes ayant au moins un bien menacé, une soixantaine seulement d’entre elles concentrent plus de la moitié des biens concernés et de leur valeur économique. Enfin, "d’ici 2100, la cartographie des zones basses du littoral situées sous le niveau marin actuel+1 m pointe la sensibilité de certains territoires aux risques de l’envahissement maritime et du débordement estuarien, ainsi que leur dépendance aux ouvrages de protection".
En l’absence d’ouvrages, l’étude du Cerema recense plus de 500.000 ha (urbanisés, naturels ou agricoles) menacés, 450.000 logements (86 milliards d’euros), 55.000 locaux d’activités et 2. 000 km de routes (départementales et nationales) et voies ferrées. Les résultats des inventaires de biens menacés mettent sans surprise en exergue l’importance des ouvrages de protection. Ils pointent également que les communes les plus impactées "sont loin d’être toutes inscrites au 'décret liste'". Le rapport recommande donc, "pour les communes à plus forts enjeux, et particulièrement pour celles n’ayant à ce jour aucun PPRL [Plan de Prévention des Risques Littoraux ], l’inscription d’office au décret-liste". Et prône de maintenir les PPRL existants ou prescrits sur le volet érosion en l’absence de cartes locales opposables.
Des positionnements stratégiques en retrait
Les entretiens conduits auprès des collectivités confirment la tendance à vouloir conforter à moyen terme les ouvrages de protection, plutôt qu’à structurer des projets de relocalisation. En outre, les stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte (SLGITC) sont encore en nombre limité (a priori adossées à 3 stratégies régionales existantes ; Nouvelle Aquitaine, Occitanie, et Normandie) avec moins d’une vingtaine de déclinaisons locales existantes ou tout récemment engagées (9 en Nouvelle Aquitaine, 6 à venir en Occitanie et 3 approches intercommunales en Normandie). Or, ces stratégies ont le mérite "de poser clairement là où les ouvrages seront maintenus voire renforcés, là où ils seront temporaires ou fondés sur la nature en anticipation des renaturations finales ou de leur disparition, et là où il n’y en aura pas. Il s’en déduit la temporalité et le rythme des aménagements ou des replis à concevoir", analyse le rapport. Celui-ci préconise ainsi d’encourager ces stratégies en parallèle des cartes locales et d’y définir une doctrine de choix entre protection et relocalisation fondées sur des analyses socio-économiques comparatives induisant une sélectivité accrue des financements de l’Etat de soutien à la défense contre la mer.
Encore faut-il trouver la bonne échelle de territoire…Car ces stratégies ne peuvent pas relever, comme pour les cartes locales, de la seule responsabilité des communes. Le rapport suggère notamment que le Cerema soit missionné pour piloter un observatoire des ouvrages de protection et privilégie une structuration de gouvernance par façades régionales ou "grands territoires" et dotée d’une capacité d’ingénierie "amont".
Pas de dispositifs de financement exceptionnels
L’érosion littorale étant "l’avant-poste" du changement climatique, le rapport avance ses pistes avec prudence. "La mission s’est inscrite dans la continuité du cadre législatif et assurantiel actuel, à savoir la non assurabilité du risque de recul du trait de côte et l’exclusion du fonds Barnier. Elle a rejeté tout dispositif d’indemnisation, ceux-ci étant déresponsabilisants et ruinant tout effort de politiques publiques de prévention des risques".
Pour les logements, le rapport propose un dispositif de solidarité nationale ciblé des propriétaires occupants de résidences principales pour les accompagner dans la libération de leurs biens. Celui-ci serait matérialisé par une dotation financière de l'Etat, modulée selon leurs ressources et leur niveau de connaissance du risque au moment de l’achat (existence d’un PPRL ou dans l’avenir d’une carte communale), et versée en contrepartie de la cession du logement à la commune. Cette dotation ne dépasserait jamais 70% de la valeur vénale du bien et serait plafonnée (300.000 euros en référence aux conditions d’intervention du fonds Barnier). Au-delà, bien entendu, les collectivités qui le souhaitent demeurent libres de financer elles-mêmes leurs propres choix.
Pour soutenir les collectivités, la mission recommande de mobiliser "prioritairement les dispositifs existants", en abondant le fonds vert -y compris pour la mesure de solidarité nationale aux propriétaires résidents qu’il propose (estimée à 257 millions d'euros maximum à horizon 2050). "Les opérations d’aménagement et les équipements publics bénéficient d’ores et déjà de multiples dispositifs de cofinancement", explique-t-elle. Des ressources financières "nouvelles" au financement du recul du trait de côte sont proposées, en prenant appui sur des taxations existantes. Trois taxes sont mobilisables : un prélèvement additionnel sur la taxe aux droits de mutation à titre onéreux dans le périmètre des EPCI littoraux, au bénéfice du budget de l’État en soutien de certains propriétaires occupants ; un déplafonnement de la taxe spéciale d’équipement (TSE) pour favoriser les acquisitions et portages de fonciers en rétro littoral ; un soutien financier accru à la Gemapi pour le financement (entretien et/ou investissement) des ouvrages de protection contre l’érosion.
Pour ce dernier levier, il est suggéré d’impliquer directement les propriétaires protégés au sein d’associations syndicales autorisées (ASA), d’utiliser pleinement le plafond actuel de la taxe Gemapi, voire au-delà, avec un soutien renforcé du fonds vert aux EPCI compétents dans le cadre des PPA notamment pour les EPCI les plus faibles. Enfin concernant l’Outre-mer, dont la situation est "particulièrement critique et hétérogène sur certains sites", la mission estime "qu’un complément d’étude est indispensable".
Malgré le délai serré de réception du rapport, l’Association nationale des élus du littoral (Anel) a fait part de ses réactions dans un communiqué. Elle y souligne "l’importance de principes fondamentaux, notamment la nécessité d’un financement basé sur la solidarité nationale". L’Anel a également exprimé sa préoccupation "quant à l’omission de mécanismes de financement alternatifs préalablement discutés, comme le reversement d’une part de la taxe sur l’éolien en mer". Parmi les autres points de vigilance figurent "l’obligation potentiellement imposée aux communes d’intégrer la liste du décret sous contrainte", et "la différenciation de traitement entre les propriétaires de résidences principales et secondaires, ce dernier groupe ne bénéficiant d’aucun soutien financier pour le déplacement dans le cadre actuel du rapport".