Reconnaissance faciale : le Conseil d'État rejette le recours de la Quadrature du net contre l'application Alicem
Dans une décision du 4 novembre 2020, le Conseil d'État a rejeté le recours déposé par l'association de défense des libertés la Quadrature du net contre Alicem, une application pour smartphone conçue par l'État qui utilise la reconnaissance faciale à l'inscription.
"La requête de la Quadrature du net est rejetée", indique la décision du Conseil d'État daté du 4 novembre 2020. La Quadrature du net avait déposé ce recours en juillet 2019.
Alicem doit permettre aux internautes de s'identifier avec fiabilité dans leurs démarches en ligne. Pour en bénéficier, l'internaute est obligé de passer par une phase de reconnaissance faciale : lors de son inscription, l'application compare son visage avec la photo de son passeport ou de son titre de séjour, pour vérifier qu'il est bien celui qu'il prétend être.
La Quadrature du net s'oppose à cette phase de reconnaissance faciale, estimant que l'État doit permettre une façon alternative de s'inscrire sur le service, par exemple via un rendez-vous en face-à-face avec un représentant d'une administration.
Dans sa décision, le Conseil d'État a estimé que l'internaute n'était pas forcé de s'inscrire sur Alicem et donc de passer par la reconnaissance faciale, puisqu'il peut bénéficier de FranceConnect, un autre service public d'identification en ligne. "Il ressort des pièces du dossier que les téléservices accessibles via l'application Alicem l'étaient également, à la date du décret attaqué, à travers le dispositif FranceConnect, dont l'utilisation ne présuppose pas le consentement à un traitement de reconnaissance faciale", a estimé le Conseil d'État.
Par ailleurs, la Quadrature du net n'a pas démontré qu'il existait "d'autres moyens" que la reconnaissance faciale "pour authentifier l'identité de l'usager de manière entièrement dématérialisée" comme le fait Alicem, a estimé la haute juridiction administrative.
Interprétation de la notion de "consentement libre et éclairé"
La reconnaissance faciale inquiète les défenseurs des libertés civiles, à cause des immenses possibilités qu'elle pourrait offrir aux États ou aux entreprises en matière de traçage des faits et gestes des individus. La Quadrature du net craint qu'Alicem ne "soit une manière détournée de commencer à imposer à l’ensemble de la société française la reconnaissance faciale à des fins d’identification". Dans son communiqué du 6 novembre, l'association commente la décision rendue par le Conseil d'État, l'estimant "choquante". Le Conseil d'État estime que "le droit européen serait respecté car les personnes ne voulant pas utiliser l’application (du fait de la reconnaissance faciale, NDLR) ne subiraient pas de préjudice". "Cette interprétation de la notion de 'consentement libre et éclairé' méconnaît non seulement celle de la Cnil mais aussi celle du comité européen de la protection des données", estime la Quadrature du Net qui voit tout même un "lot de consolation" dans le fait que le Conseil d’État reconnaît que "conditionner l’accès à un service public en ligne à la reconnaissance faciale ne respecte pas le droit des données personnelles".
L'application serait en train d'être "complètement refondue"
Les défenseurs de cette technologie estiment qu'il est possible de mettre en place des garde-fous légaux et organisationnels pour éviter toute dérive vers une société orwellienne.
Alicem n'a pas encore été mise à disposition du public. L'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) avait expliqué en février 2020 qu'elle espérait une mise en service avant la fin de l'année, mais qu'il ne s'agissait pas non plus d'une "fin en soi", l'application n'étant qu'un "prototype" appelé à s'inscrire dans un nouveau système plus vaste d'identité numérique.
Selon une source proche du dossier interrogée le 4 novembre par l'AFP, l'application est en train d'être "complètement refondue" pour tenir compte notamment de demandes de la Commission nationale Informatique et Libertés (Cnil) et de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), ainsi que des retours d'utilisateurs - l'application avait été discrètement testée il y a un peu plus d'un an. Quant au nouveau système d'identité numérique, dans lequel Alicem s'intégrera, il a fait l'objet d'un appel d'offres cet été, et a reçu des financements liés au fonds de transformation de l'action publique (FTAP) et au plan de relance, a indiqué cette source à l'AFP.