Services publics : "des usagers seuls face à un écran"
Les réformes des services de l'Etat menées depuis le milieu des années 2000 ont contribué au développement du sentiment d'abandon aussi bien des habitants que des élus, constate un rapport sénatorial. C'est particulièrement vrai pour la dématérialisation et la détérioration de l'accès aux soins.
La réorganisation des services de l’Etat conduite tambour battant depuis le milieu des années 2000 a contribué au développement d’un "fort sentiment d’abandon" d’une grande partie de la population, mais aussi des élus locaux et de certains agents sur le terrain. C’est le constat du sénateur LR de l’Ardèche Jacques Genest dans son rapport intitulé Agir pour nos concitoyens : redonner de la proximité et de l'efficacité à l'action publique dans les territoires, présenté devant la commission des finances, le 19 février, qui s’inscrit dans les pas des députés Jean-Paul Dufrègne et Jean-Paul Mattei.
Dématérialisation
Si ces réformes (RGPP, MAP, Réate, Action publique 2022…) menées par les gouvernements successifs pouvaient se justifier au regard des déficits publics, de l‘affirmation de "fait régional" et de la montée en puissance des intercommunalités, elles ont contribué à éloigner l’Etat des citoyens. C’est tout particulièrement le cas de la "dématérialisation" qui "laisse trop souvent les usagers seuls face à un écran", fustige le sénateur. "Ainsi, plus de 60% des individus estimant ne pas être des 'internautes' sont âgés de plus de 65 ans tandis que plus de 20% des personnes issues des classes populaires à moyennes n'effectuent aucune démarche en ligne." Or ces procédures dématérialisées décidées par l’Etat font peser "une responsabilité de plus en plus importante sur les collectivités territoriales les plus excentrées" qui doivent elles-mêmes procéder aux travaux de raccordement nécessaires, faute d’intérêt pour les opérateurs. Le sénateur préconise ainsi d’imposer pour toute procédure dématérialisée "le maintien d'une méthode alternative (papier, par exemple) et la possibilité de disposer d'un interlocuteur physique".
Jacques Genest constate une régression de l’ensemble des services, à l’exception notable des forces de sécurité, police et gendarmerie, qui sont parvenues à maintenir un maillage homogène.
Le rapport ne dresse pas le bilan de la mise en œuvre de l’Agenda rural (la ministre Jacqueline Gourault s’était exprimée sur le sujet devant le Sénat, au mois de janvier, à l’invitation de Jacques Genest) beaucoup trop jeune pour marquer un véritable changement. Il se félicite néanmoins de certaines évolutions. A commencer par la création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) qui vise à "redonner aux territoires les moyens d'ingénierie qui avaient été progressivement supprimés". "La principale difficulté qu'a connue la politique d'aménagement du territoire résulte de la disparition d'un levier d'action essentiel - la Datar - et des capacités d'ingénierie territoriale", insiste-t-il. Si l'ANCT marque une rupture avec la "régionalisation" des services de l’Etat, puisque que ce sont les préfets de département qui sont aux commandes, le sénateur invite à ne pas oublier le rôle des sous-préfets.
Détérioration de l'accès aux soins
Autre point de vigilance : le financement des maisons France services. Le gouvernement a prévu de débloquer une enveloppe de 30 millions d’euros d’ici à 2022 pour le déploiement du réseau, soit une augmentation de l’engagement de l’Etat de l’ordre de 10 millions d’euros. Oui, mais les quelque 1.339 Maisons de service au public (MSAP) recensées en 2019 ont toutes vocation à se transformer en France service, à condition de monter de gamme. Le sénateur pose donc la question du surcoût généré par cette montée en gamme, qui risque d’être pris en charge par les collectivités alors même que ces maisons abritent de plus en plus des services de l’Etat. Le sénateur se refuse à ce que les schémas départementaux d'amélioration de l'accessibilité des services publics (SDAASP) soient rendus opposables (contrairement à une préconisation de la Cour des comptes), sachant qu’il y manque certains acteurs importants, tels que les trésoreries qui font l’objet d’un schéma distinct.
Le rapport constate justement la disparition de 535 trésoreries depuis 2013 et la suppression de 1.315 postes, ce qui a conduit à un éloignement du comptable public des élus.
Jacques Genest manifeste une "très grande inquiétude" quant à la détérioration de l’accès aux soins liée aussi bien à "l'appauvrissement de l'offre hospitalière qu'à un défaut de régulation de l'offre libérale". "Peu d'éléments démontrant une amélioration des résultats financiers des hôpitaux publics viennent justifier les effets observés de ces restructurations sur l'accessibilité du service public de santé", constate-t-il. Les résultats nets des hôpitaux publics "se sont dégradés depuis le milieu des années 2000". Par ailleurs, la part des médecins généralistes âgés de moins de 40 ans est inférieure à 20%, relève le rapporteur qui se montre favorable à des mesures fortes : conventionnement sélectif ou mise en oeuvre d'une "police de l'installation". De quoi faire ruer dans les brancards.